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L’enseignement professionnel, qui accueille en majorité des enfants de milieu populaire, victime de l’académisme à la française, une analyse de Vincent Troger, sociologue de l’éducation (IUFM Nantes)

21 janvier 2013

L’enseignement professionnel victime de l’académisme à la française

L’enseignement professionnel paie cher la survalorisation des disciplines académiques et la dévalorisation des savoirs appliqués au sein du système éducatif français. L’opinion de Vincent Troger, sociologue de l’éducation.

[...] Les élèves des lycées professionnels sont donc majoritairement les enfants de l’échec scolaire : 60% d’entre eux ont redoublé au moins une fois à l’école élémentaire ou au collège. Et comme l’échec scolaire touche prioritairement les enfants des milieux populaires, ces derniers sont très majoritaires dans les LP. Ce qui, dans les banlieues de certaines grandes métropoles, là où les classes populaires comprennent une part importante de populations d’origine étrangère, se double d’une présence très majoritaire d’enfants de l’immigration. Or comme l’a souligné le sociologue Aziz Jellab, cette ethnicisation des LP en accentue la dévalorisation puisqu’elle rend physiquement visible l’origine des élèves et leur donne le sentiment d’être doublement stigmatisés : par leur orientation et par leurs origines ethniques. Enfin, il est évidemment très rare que celles et ceux qui ont accès à la parole publique soient issus des lycées professionnels ou que leurs enfants y soient scolarisés. Tout concourt donc à ce que les LP constituent la part d’ombre de notre enseignement secondaire. [...]

L’historien Antoine Prost a montré que dans les années cinquante, ces cours complémentaires avaient permis assez efficacement la promotion d’élèves d’origine populaire qui rejoignaient les lycées en seconde dans les filières scientifiques. C’est la voie qu’avait suivi le prix Nobel Georges Charpak, fils d’émigré polonais. L’autre solution consistait à reproduire au collège le modèle beaucoup plus élitiste du lycée, où les élèves étaient directement confrontés à des méthodes et à des programmes académiques dont la finalité étaient de sélectionner les meilleurs pour les conduire aux filières d’excellence de l’enseignement supérieur. Pour des raisons trop longues à expliciter ici, c’est ce second modèle qui a été privilégié. La première conséquence de ce choix est connue : c’est, dès la classe de sixième, la confrontation d’une forte proportion de jeunes dont les acquis de l’école primaire sont moyens ou médiocres et dont les familles ne disposent pas d’un capital culturel élevé avec des enseignants porteurs d’une conception universitaire et spécialisée de leur discipline. Cette confrontation produit chaque année son lot d’échec scolaire. Dés 1984, Hervé Hamon et Patrick Rothman avaient identifié ce processus dans leur livre « Tant qu’il y aura des profs » (Ed. Seuil).

Mais plus profondément, ce choix du « lycée unique », et non d’un collège adapté à la massification des publics, a généralisé à l’ensemble de l’enseignement secondaire un système de valeurs qui place en haut de la hiérarchie scolaire les savoirs académiques les plus abstraits, comme en témoigne l’ordre de présentation des matières sur les bulletins scolaires. Simultanément, ont été disqualifiés ou dévalorisés tous les savoirs appliqués, qu’il s’agisse de sciences appliquées, de technologie ou d’art, et avec eux tous les élèves qui maîtrisent plus facilement ce type de savoirs que ceux où l’abstraction langagière ou logico-mathématique s’imposent d’emblée. Logiquement, l’enseignement supérieur a aligné ses critères de sélection sur ceux du secondaire massifié, privilégiant systématiquement les bacheliers S ou ES, qui investissent ainsi toutes les filières dont les débouchés professionnels sont assurés, y compris celles initialement destinées aux élèves de l’enseignement professionnel ou technologique comme les BTS et les IUT.

[...] Paradoxe de l’histoire, alors que dans le système antérieur à la « démocratisation », la distinction précoce, dès la sortie de l’école élémentaire, de voies primaire supérieur (les cours complémentaires) et technique indépendantes de la voie générale permettait de dégager des élites professionnelles qui accédaient à des emplois de cadres dans l’industrie , le commerce et même l’administration, le collège unique soumis à l’hégémonie de la culture académique transforme inéluctablement tous les enseignements de savoirs appliqués en voie de relégation. [...]

Il serait évidemment totalement anachronique aujourd’hui de prôner un retour à une sélection précoce des élèves. Si une volonté politique existe réellement de revaloriser les savoirs professionnels, technologiques et de sciences appliquées, elle passe par le développement des possibilités de poursuites d’études offertes aux élèves de l’enseignement professionnel ainsi que par une transformation des enseignements au collège. C’est le seul moyen de réduire la réticence des familles à l’égard de ces filières et de diversifier le recrutement des élites professionnelles. C’est bien l’esprit de la réforme du baccalauréat professionnel en trois ans. Mais l’annonce faite par l’actuel ministère d’imposer un quota de bacheliers professionnels en BTS ou en IUT suppose de la part des enseignants de ces filières l’effort d’adapter leurs pratiques pédagogiques, et surtout d’accepter l’idée que certains des jeunes issus des voies professionnelles sont capables, à condition qu’on leur en donne les moyens, de maîtriser les mêmes savoirs que ceux qui viennent des filières générales. Il n’est pas sûr que tous y soient prêts.

Vincent Troger est sociologue de l’éducation, maître de conférences, IUFM de l’université de Nantes.

Extrait de cafepedagogique.net du 21.01.13 : L’enseignement professionnel victime de l’académisme à la française

Lire l’article intégral sur inegalites.fr->http://www.inegalites.fr/spip.php?article1701]

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