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Thèse. Que font les maîtres ? Pour un bilan de la rénovation pédagogique à l’école [en ZEP], par Houssen Zakaria, La Dispute, 2012 (tiré de sa thèse)

1er décembre 2012

Houssen Zakaria, Que font les maîtres ? Pour un bilan de la rénovation pédagogique à l’école, Paris, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », 2012, 176 p., ISBN : 978-2-84303-230-1.

Extrait de revues.org Note de lecture, par IsmaÎl Ferhat

Depuis 1981, les zones d’éducation prioritaire (ZEP) sont devenues à la fois un objet des politiques éducatives et un symbole connu de l’opinion. Déclinaison scolaire des mesures prises pour les territoires populaires en crise, la ZEP concentre les images et les clichés : « prof de banlieue » souvent perçu sous l’angle du choc des cultures et de la difficulté professionnelle, « élève difficile », délitement d’une institution scolaire remise en cause, « baisse du niveau » ou « violences scolaires »… La littérature et le cinéma n’ont pas peu contribué à ancrer cette image, notamment par des romans (Thierry Jonquet, Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte, 2006), ou par des films (Jean-Paul Lilienfeld, La Journée de la jupe, 2009) à succès.

2 Concrètement, que se trouve-t-il - d’éventuellement spécifique - dans la « boîte noire » de l’école, à savoir la pratique des enseignants de ZEP dans leurs classes ? « Boite noire » car les pratiques en classe sont souvent mal connues et relèvent de la compétence des enseignants (notion de liberté pédagogique). L’auteur, Houssen Zakaria, est un sociologue de l’éducation, spécialisé dans l’étude du rapport des familles étrangères à l’école et des établissements prioritaires. Cet ouvrage est tiré de sa thèse de doctorat soutenue à l’EHESS, sur les pratiques d’enseignants dans quarante classes d’écoles primaires relevant de l’éducation prioritaire. Il propose dans son étude quatre axes principaux d’analyses des pratiques enseignantes dans ces écoles : préparation du cours et de l’année scolaire, définition des règles, définition des règles de l’oral et apprentissage des savoirs.

3 Dans les écoles prioritaires, comment fait-on classe ? Comment les professeurs des écoles qui interviennent dans ces écoles pratiquent leur métier ? Ceux-ci – ou plutôt celles-ci, étant donnée la composition des enseignants du primaire - sont pris entre les règles nationales (notamment les programmes et les prescriptions définies par l’Education nationale) et la classe. Ainsi, la préparation des séquences et du déroulement de l’année scolaire doit être, selon la hiérarchie de l’Education nationale, faite par avance, au début de l’année, dans la « progression ». Dans les faits, les enseignants adaptent le long de l’année scolaire le déroulé de leurs leçons, laissant une place certaine à un fonctionnement au jour le jour. Or, la préparation des cours a un impact important sur les élèves, dont certains, en éducation prioritaire, sont présentés comme « ascolaires » ou peu intéressés par les activités scolaires. Le bricolage, l’expérience professionnelle et une certaine routine (savoir « ce qui marche » et ne « marche pas ») se combinent avec le caractère aléatoire du comportement d’une classe. Cet aléa est d’autant plus renforcé que les élèves d’éducation prioritaire vivent dans des conditions sociales parfois difficiles, influençant lourdement le travail scolaire.

4 Autre axe important d’analyse, la définition des règles de conduite dans l’école est un enjeu fondamental. En effet, la circulation des élèves dans la classe, la manière de prendre – ou pas- la parole et de participer aux activités à l’école sont à la base des conditions d’apprentissage. En effet, les interstices ou la non-explicitation des règles établies par les enseignants sont sources d’agitation, ou de perte de contrôle de la classe. Or, la définition claire- et suivie d’application- des règles attendues permet le plus souvent d’établir une bonne qualité de climat durant les heures de classe. Dès lors, les enseignants sont conduits à préciser les demandes en matière de comportement en classe, ou plus encore, à éviter tout facteur de débordement : travaux différenciés selon le niveau des élèves pour que tous soient occupés, non-circulation dans la classe, animation par l’enseignant.

5 L’auteur définit enfin deux autres axes structurants des écoles ZEP : l’usage de l’oral et l’apprentissage des savoirs élémentaires. Là aussi, le contexte spécifique de l’éducation prioritaire pourrait laisser imaginer des solutions adaptées. Les enseignants sont dans une position complexe : d’une part, ils souhaitent discipliner (au sens de Michel Foucault) l’usage de la parole de la part des élèves- notamment pour éviter les débordements ou les tensions verbales. D’autre part, ils souhaitent un certain niveau d’interactivité, sinon de spontanéité, qui rendrait la classe « vivante » - selon une formule parlante du vocabulaire éducatif. L’usage normé de l’oral est nécessaire pour établir l’apprentissage des savoirs. Ainsi, la définition des exercices, des énoncés ou des attendus n’est parfois pas comprise par les élèves, tant elle relève de l’évidence pour les enseignants qui ne l’explicitent pas. Autre aspect important, les « trucs » de la pratique professionnelle sont étudiés, pour montrer les montages empiriques auxquels recourent les professeurs des écoles afin de transmettre les savoirs.

6 Tout change pour que rien ne change ? Houssen Zakaria achève son ouvrage par une analyse socio-historique originale de l’école primaire. Depuis les années 1960, la direction d’école a changé de nature, perdant son caractère hiérarchique. Les écoles normales ont été remplacées par les IUFM et de nouvelles modalités de formation, qui suscitent pour ses anciens auditeurs de l’école primaire un mélange de reconnaissance et d’attentes parfois insatisfaites. L’éducation prioritaire n’a pas véritablement modifié les pratiques pédagogiques en classe. De plus, la « révolution pédagogique » des années 1970-1980 n’a pas entraîné toutes les promesses qu’elle devait porter : les apprentissages ne sont pas plus « faciles », les problèmes liés à la massification de l’institution scolaire ne sont pas toujours réglés. D’une certaine manière, la continuité est remarquable, malgré les modifications profondes de l’école française.

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