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Les familles immigrées, l’école, la laïcité... Deux enquêtes de l’Institut Maghreb-Europe (Paris 8) publiées en 2009 et 2013. Interview de son ex-directeur, Aïssa Kadri (article de Tout Educ)

11 juin 2015

Qu’ils soient parents ou enseignants, les populations issues de l’immigration se sentent républicains et ne remettent pas en cause l’École. Mais les opinions sur le modèle scolaire, comme la façon d’aborder et de préserver la laïcité en son sein, divergent selon qu’ils sont issus du modèle "post-soixante-huitard" ou du système de massification né dans les années 80.

C’est l’un des enseignements tirés de deux enquêtes menées en 2006 et 2009 et publiées en 2012 et 2013 par l’Institut de recherche Maghreb-Europe de l’université de Paris 8. Les principaux résultats de ces enquêtes ont été présentés par l’un des sociologues qui les a menées, Aïssa Kadri, ancien directeur de l’institut et aujourd’hui professeur émérite de l’université de Paris 8, à l’occasion d’un colloque organisé par la commission Islam & Laïcité le samedi 30 mai 2015, sur le thème de "l’école, entre laïcité et discriminations".

La première enquête portait sur un échantillon d’enseignants dits issus de l’immigration (263 sur une population de 1022 entrés à l’IUFM, soit 23% d’une population d’enseignants stagiaires), alors que la deuxième portait sur les "discriminations, malentendus et racisme latent en milieu scolaire". Cette dernière a été menée auprès d’une soixantaine de familles réparties à Aubervilliers en Seine-Saint-Denis (93), dans un quartier Nord de Paris et dans le centre de Paris, ce qui a permis de croiser les opinions de trois types de populations : "Français dits de souche, Français issus de l’immigration et primo-migrants".

Pas de remise en cause de l’école mais pour certains, le modèle doit intégrer davantage la diversité

Du côté des enseignants sondés, l’un des principaux constats est que, "de manière générale", ils ne "remettent pas en cause le modèle républicain" parce qu’ils sont eux-mêmes "les purs produits de l’École donc du système républicain", explique Aïssa Kadri. Pour autant, les chercheurs ont distingué "trois grandes catégories" : une majorité, les plus âgés, "produits de l’espace-temps post 68", sont des "républicains +", qui ne trouvent "rien à discuter", pour lesquels "il faut appliquer la laïcité de manière assez rigoureuse et tranchée". Ceux-ci, plus syndiqués que les autres, très engagés, sont convaincus que "l’École intègre" mais pensent que celle-ci "n’a pas les moyens". Pour eux, la question de l’intégration relève donc de l’Etat, du pouvoir et des moyens.

"À l’autre bout", se situe une deuxième catégorie, les plus jeunes, "produits de l’institution des années 80", davantage "dépolitisés", "moins syndiqués", qui pensent que "le modèle est à bout de souffle". Classés par les chercheurs comme étant des "écorchés vifs", ils sont partisans de "réformes profondes". Pour eux, poursuit Aïssa Kadri, "le modèle doit se réaménager complètement" et "intégrer la diversité à l’École, dans sa dimension historique, culturelle, etc.".

Face aux élèves, ceux qui font fi des origines versus ceux qui "qui jouent sur leurs ressources culturelles"
Ces deux grandes catégories affichent aussi des attitudes opposées dans leur rapport aux élèves : les premiers veulent faire "abstraction" de toutes caractéristiques socio-culturelles, "refusent d’être identifiés comme étant issus des immigrations" par leurs élèves à qui ils ne parleront pas autre chose que le français. À l’opposé, les plus jeunes "jouent sur leurs ressources culturelles", sont dans la "connivence" avec leurs élèves, y compris pour régler des problèmes de gestion de classe et n’hésiteront pas, par exemple, à parler en kabyle avec un parent d’un élève. "Ils estiment que cela ne coûte rien de changer les choses de l’intérieur, d’enseigner la langue arabe, les cultures d’origine et que les questions de voile, de signes ou tout problème de ce type peuvent se régler à l’intérieur de l’établissement", explique le sociologue.

Pour Aïssa Kadri, cette divergence d’attitude s’est "jouée au niveau de l’éducation". "Les plus vieux sont passés par une université ouverte et critique, celle de post-68 où leurs opinions étaient reconnues par les enseignants, alors que les plus jeunes sont passés par une université de masse, dans des filières cul-de-sac, comme AES, les sciences de l’éducation, etc. Ils n’ont pas été initiés à la critique. Alors que les premiers ont formé l’élite ’beur’, ces derniers se sentent laissés pour compte. En plus, on ne leur apprenait rien dans les IUFM où il n’y avait pas d’enseignement sur la diversité, sur la façon de prendre en charge les différences. Un manque de formation qui a ajouté à ce désarroi !"

Enseignement de l’histoire des religions : une manière d’exister pour les uns, un danger pour la laïcité pour les autres
La deuxième enquête montre également, cette fois-ci du côté des parents, des perceptions très différentes selon les origines socio-culturelles, en particulier sur les questions du racisme et la façon d’aborder la laïcité à l’école. Les résultats restent néanmoins difficiles "à généraliser", précise le chercheur, notamment parce qu’ils sont issus d’entretiens durant lesquels "on sent des parents très mal à l’aise face aux questions du racisme", et qui, "selon leur capital social, sont dans des formes de réponses non tranchées", "voire contradictoires pour certaines".

Premier constat, si la majorité des parents estime que l’enseignement de l’histoire des religions "s’avère indispensable", "les réponses sont à nuancer" selon les zones sondées. En Seine-Saint-Denis, ils sont 71% à revendiquer l’enseignement de l’histoire des religions mais "ils semblent avoir du mal à la distinguer de l’enseignement des religions elles-mêmes", remarque le sociologue. Pour ces parents, "revendiquer cet enseignement c’est se donner le sentiment d’exister et sans cela, ils ne comprendraient pas le sens de la laïcité". À côté, le groupe des Parisiens apparaît davantage "partagé", 57% pensant que "la place de la religion chrétienne doit être préservée pour faire contre-poids à une religion musulmane jugée croissante et envahissante", les autres "farouchement laïques, s’opposant à l’enseignement des religions à l’école", pour "préserver une laïcité durement acquise et ne pas réveiller les vieux démons des guerres de religions".

Des visions très différentes sur les questions de racisme selon les origines
Le racisme est également perçu de manière très différente selon les populations. Alors que les Parisiens "minimisent l’existence du racisme dans la société et au sein de l’école" et considèrent que les discriminations relèvent plutôt "d’un fossé culturel, linguistique, religieux, difficile à surmonter ou d’une présence ingérable de l’immigration, parce qu’elle est massive, ou encore tout simplement de problèmes individuels", plus de la moitié de ceux qui vivent en périphérie font part de son "existence au sein de la société" et pour 44% au sein de l’école, ces proportions s’élevant à 61% en Seine-Saint-Denis et 51% pour l’école.

Pour autant, note le chercheur, malgré les divergences de vue, l’ensemble des groupes le perçoit comme relevant de l’individuel et non du système. Le racisme serait ainsi, explique le chercheur, "davantage le résultat de manquements individuels face à la loi" ou encore "la conséquence des limites de celle-ci".

Intégrer davantage l’histoire de la colonisation et de l’immigration dans les programmes
La majorité se retrouve aussi dans l’idée que la prévention et l’éducation contre les discriminations doivent être faites d’abord par l’école. Si les Parisiens pensent que cette éducation passe par l’application des lois, l’ouverture d’établissements prestigieux à des enfants d’origine étrangère méritants et le renforcement de l’éducation civique dès la maternelle, les parents des deux autres zones estiment que l’application des lois contre le racisme "ne se fait pas de manière satisfaisante" et qu’un "racisme latent" échappe à ces dernières. Ces derniers revendiquent, au sein de l’institution scolaire, l’élaboration d’une charte contre les discriminations, l’instauration d’une véritable mixité scolaire et d’un dialogue entre les équipes éducatives et les familles.

Interrogé par ToutEduc sur les réponses qui lui sembleraient pertinentes à mettre en œuvre pour atténuer ces divergences de points de vue et d’attitudes, tant chez les enseignants que chez les familles, Aïssa Kadri s’est dit convaincu de l’importance de revoir la formation des enseignants mais aussi de "revoir les choses du point de vue des programmes". "On parle de jeunes qui se radicalisent, moi j’y vois une logique de défi", confie le professeur émérite. "La réalité c’est qu’ils n’ont aucune culture : sur la religion, l’histoire de l’immigration, de l’intégration. Ils sont dépossédés de leur histoire car leurs parents ne leur en parlent pas. Il faut les récupérer en leur enseignant cette histoire qu’ils vont sinon chercher auprès d’imams incultes. La colonisation, l’histoire de l’immigration est peu ou mal enseignée à l’école, tout comme l’histoire du monde ouvrier. Je suis pour l’école républicaine et je ne la remettrais pas en cause. Mais si elle prend en compte davantage l’histoire de ces populations, je pense qu’elle pourra réparer des choses."

Camille Pons

Extrait de touteduc.fr du 08.06.15 : Enseignants et familles issus de l’immigration ne remettent pas en cause le modèle de l’École mais sont divisés sur les questions de laïcité (Institut Maghreb-Europe)

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