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"L’école, entre national et local", revue Diversité n°181, 3e trimestre 2015.
Extrait de reseau-canope.fr du 3e trimestre 2015
Additif du 07.10.15
L’école, entre national et local
Longtemps le local a été perçu comme la solution aux problèmes éducatifs. C’est cette idée que porte l’autonomie des établissements dans la réforme du collège ou le décret sur la sectorisation des collèges pour lutter contre la ségrégation scolaire. C’est cette articulation entre politique nationale et conjugaisons locales que la revue Diversité interroge dans un numéro piloté par Choukri Ben Ayed.
Et quand le sociologue regarde de près le partage des rôles impulsé par la décentralisation, son constat est amer. "Alors que le recours au local apparaît pour ses défenseurs comme un « levier » de changement et de « modernisation », les recherches soulèvent un certain nombre d’écueils et d’effets négatifs induits : fragmentation spatiale, inégalités territoriales d’éducation, accroissement des logiques ségrégatives et des marchés scolaires locaux", annonce Régis Guyon, rédacteur en chef de Diversité.
[...] Donner moins d’école aux élèves en difficulté ?
Choukri Ben Ayed, coordinateur du numéro, livre une analyse sévère de cette articulation à propos de la politique de mixité sociale. Pour lui, sous couvert de localiser cette politique, l’Etat ne remplit pas son rôle. La décentralisation de fait aboutit à une impasse sur le terrain, l’Etat se gardant de contrôler l’application effective de sa politique.
Au coeur de cette lecture du local, les établissements privés font l’objet d’un article novateur de Guillaume Dupuy. Il ne s’intéresse pas aux ségrégations entre public et privé mais au petit monde des décideurs locaux qui gèrent les ressources publiques. Dans le département qu’il étudie il relève que la grande majorité sont des usagers satisfaits du privé ou s’arrangent avec la sectorisation scolaire. Et cela n’est pas sans conséquences sur les politiques menées. Cette "trahison" des élites locales entre en concurrence avec les autorités académiques.
Plusieurs articles interrogent aussi les politiques d’aide périscolaires. Ainsi S Bonnery étudie les dispositifs d’action culturelle dans une ville de banlieue et montre les résistances, les ruses et les logiques contradictoires qui l’accompagnent. Benjamin Moignard et Juliette Garnier reviennent sur les dispositifs éducatifs locaux vus du vécu des élèves. Pour eux, le risque c’ets de donner au final plus d’école à ceux qui réussissent et de renvoyer à des formes du périscolaire ceux qui ont des difficultés scolaires.
Il reste encore à découvrir dans ce numéro de Diversité bien d’autres articles importants. L’essentiel c’ets le regard neuf et acéré que ce numéro porte sur la déclinaison entre local et national, c’est à dire au constat de l’écart entre les objectifs donnés à ces politique slocales, en gros remédier aux difficultés du système éducatif, et les résultats obtenus. Au coeur des inégalités scolaires et des échecs du système éducatif il y a bien cette question di local. La revue le démontre.
[...] . Ben Ayed : " Quand le ministère s’émeut de l’instabilité des enseignants en REP , il devrait s’interroger sur sa propre permanence"
Coordinateur du numéro 181 de Diversité, Choukri Ben Ayed revient sur le rapport entre national et local depuis la décentralisation. Pour lui on a décentralisé sans se donner les moyens de vérifier les politiques locales. " Décentraliser pour décentraliser n’a aucun sens".
Face aux difficultés scolaires, le local est souvent perçu comme la solution. C’est là que peuvent s’adapter les politiques nationales de façon à être plus efficaces car plus proches du terrain. Pour vous ce n’est pas le cas ?
Je montre qu’on a tendance à idéaliser le local et à le considérer comme une solution. Or c’est un problème à traiter. Il faut aller au delà du discours et regarder les contradictions révélées par les enquêtes de terrain.
Le local ne tient pas ses promesses ?
L’Etat se contente de déléguer ses responsabilités au niveau local sans se soucier de la façon dont le local s’approprie ces politiques. Ce qu’on observe sur le terrain c’est l’hétérogénéité. On le voit dans le traitement de la difficulté scolaire. Ou encore dans le discours sur la mixité sociale à l’école à propos des nouveaux secteurs des collèges. En dépit du discours national, c’est uniquement le local qui est concerné. Le national se décharge sur le local et prescrit peu de choses sur les dispositifs. On a un transfert de compétences dans un cadre flou avec un texte qui fait référence à la bonne volonté locale. Il oriente peules acteurs qui sont assez dépourvus pour appréhender leurs responsabilités. De fait appliquer la réforme appartient au conseil départemental. Le recteur n’a pas les moyens de faire appliquer le décret.
On peut prendre un autre exemple. Les dispositifs de traitement de la difficulté scolaire renvoient à la politique de la ville. Les acteurs locaux se débrouillent avec les moyens dont ils disposent pour une action locale peu prescrite. L’Etat ne vérifie pas comment ça se passe. De la même façon, le texte sur le transfert aux départements de la sectorisation des collèges tient en quelques lignes et personne ne vérifie ou n’évalue ses effets.
Comment expliquer ces situations ?
On a une sorte d’anémie ministérielle , des politiques éducatives qui disent tout et son contraire, pas de cap clairement défini. Il manque dans ces réformes institutionnelles un cadre qualitatif qui impliquerait l’Etat et des comités locaux. Il y a des injonctions mai speu de règlement.
Il faudrait s’intéresser aussi sur l’instabilité permanente du niveau national. Si on regarde l’organigramme du pilotage de la loi d’orientation, depuis 2013, combien de changements au niveau de la Dgesco ou du cabinet ? On a des dispositifs qui vivent de façon autonome et une bureaucratie nationale quia sa propre vie. On multiplie les injonctions mais les gens changent en permanence. Quand le ministère s’émeut de l’instabilité des enseignants en REP , il devrait s’interroger sur sa propre permanence.
C’est pourtant au niveau local qu’on peut mieux différencier les politiques..
Je ne suis pas dans la dichotomie entre local et national. Ce qu’il faut c’est évaluer ces politiques locales. Sinon on voit se multiplier les contestations locales, par exemple de sparents qui se mobilisent pour dire "venez voir ce qui se passe". Autrement dit, il faut sortir de la dichotomie entre local et national et penser aux niveaux intermédiaires plutôt qu’envoyer des injonctions vers le terrain.
Les injonctions au final atteignent les professeurs...
De tout temps les professeurs ont eu à régler les problèmes locaux. Ce qui a changé c’ets l’explosion des dispositifs locaux. L’éducation prioritaire, la politique de la ville, la diffusion des valeurs républicaines, toutes ces politiques nouvelles se déclinent localement. Mais le local a-t-il le smoyens de faire face à cette accumulation ? On entend de nombreux discours sur le local et ses bienfaits mais quand on regarde on voit que les administrations locales changent peu. Il y a bien inadéquation entre le contenant et le contenu. Le niveau national n’assume pas son rôle. Il devrait se remettre au premier plan.
La question la plus urgente pour le système éducatif c’est la lutte contre les inégalités. Ca peut se piloter au niveau national ?
En fait c’est surtout un symptome.Mais quand on parle de contribution locale à la lutte contre la ségrégation scolaire on voit qu’une grande partie de celle-ci est liée à l’organisation scolaire : au curriculum, aux filières, aux options. Autant de sujets pour lesquels le local n’est pas compétent. La mise en concurrence des établissements c’est le domaine réservé du national or c’est à l’origine de la ségrégation.
Il faudrait de nouvelles instances administratives pour articuler local et national ?
Il faudrait penser a quelque chose de nouveau où le local ne serait pas laissé pour compte face à la bureaucratie nationale. Il faudrait penser l’accompagnement du local à travers des structures hybrides associant responsables administratifs, parents, syndicats.
C’est la décentralisation qui est interrogée ?
Il n’y a pas à être pour ou contre la décentralisation. Ce n’est pas mon problème. La décentralisation doit être un moyen pas une fin. Quand on l’érige en finalité on perd les pédales. On a d’abord décrété que la décentralisation était le graal et après on se demande pourquoi on décentralise... La mettre en finalité a été une faute politique. Décentraliser pour décentraliser n’a aucun sens.
Propos recueillis par François Jarraud
Extrait de cafepedagogique.net du 07.10.15 : l’école, entre national et local
Diversité Ville-École-Intégration
Référence : N° 181, 3e trimestre 2015
Thème : L’école, entre national et local
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"Ce qui m’a toujours frappée en France, et c’est encore le cas aujourd’hui, c’est la barrière qui existe entre le pouvoir central et la communauté locale, cette dernière étant perçue, notamment en milieu rural, comme une source d’obscurantisme", confie Agnes Van Zanten, directrice de recherche au CNRS et sociologue à l’Observatoire sociologique du changement (OSC) de Sciences Po, dans une interview accordée à la revue Diversité qui consacre son dernier numéro à "L’école, entre national et local" (à paraître fin septembre).
Revenant sur ses travaux passés, la chercheuse déclare avoir été "très frappée par cet aspect missionnaire qu’avaient encore les instituteurs, l’inspecteur d’académie, comme s’il s’agissait de lutter contre les forces obscures du milieu local au sein duquel les rapports ne peuvent être que clientélistes – que ce soit le clientélisme consumériste des parents ou le clientélisme des forces locales diverses, des groupes de pression multiples qui peuvent se développer".
Le travail dans les établissements scolaires conditionné par le devenir des élèves
Quant aux problématiques de relégation dans l’espace local, la sociologue estime que les dynamiques de ségrégation, mais aussi de concurrence entre les établissements, n’ont pas faibli aujourd’hui. Sur ce point, elle cherche à montrer comment le travail dans les établissements scolaires est très fortement conditionné par le devenir probable des élèves : les classes préparatoires pour tel établissement, les BTS pour tel autre...
Interrogée sur la réforme des rythmes scolaires, elle juge que l’école adopte une posture très défensive sur ce sujet. "Il est évident que les enseignants sont des professionnels et que l’on ne peut pas accepter n’importe quelle intervention extérieure – et toute intervention n’est pas légitime – mais on peut négocier avec différents groupes locaux, à commencer par les parents mais aussi les associations, à partir du moment où l’on a un projet", souligne-t-elle.
Carte scolaire : "alternances entre phases de laisser-faire et de reprise en main hiérarchique" (Choukri Ben Ayed)
Dans un autre article de ce numéro de la revue Diversité, Choukri Ben Ayed, professeur de sociologie à l’université de Limoges, estime que la mixité sociale à l’école constitue "un bon analyseur des relations problématiques entre national et local". Revenant sur les différentes réformes de la carte scolaire, le chercheur montre comment cette question a d’abord été ignorée, puis a trouvé un regain d’intérêt. Selon lui, la mixité sociale révèle les contradictions des politiques éducatives "qui se sont sédimentées depuis au moins trois décennies, consistant à renvoyer de façon croissante le traitement de questions complexes à l’échelle locale".
Toutefois, ce processus demeure voué à l’impuissance "s’il n’est pas accompagné de dispositifs de concertation, de suivi et d’accompagnement." Un exemple : à la suite d’un nouvel assouplissement de la carte scolaire en 2007, l’action des collectivités en matière de sectorisation a été court-circuitée par les décisions d’attributions massives de dérogations. "L’incitation sans précédent adressée aux familles de contourner la sectorisation ainsi que l’injonction autoritaire adressée par l’État aux instances locales de l’Éducation nationale d’accepter massivement les demandes de dérogation ont démontré le caractère incohérent de cette dissociation des responsabilités", analyse Choukri Ben Ayed.
Une illustration, à ses yeux, "des contradictions de la gestion étatique dans ses adresses aux acteurs locaux : alternances entre phases de laisser-faire et de reprise en main hiérarchique, absence de participation aux décisions prises, injonctions paradoxales, etc." En conséquence, le chercheur plaide pour l’instauration de nouveaux modes d’administration des politiques éducatives "davantage soucieux de leur pertinence, des réalisations réelles, et de leurs effets."
À noter aussi dans ce numéro, un entretien avec Jean-Paul Delahaye qui dirige la mission "Grande pauvreté et réussite scolaire".
Extrait de touteduc.fr du 17.09.2015 : Agnès Van Zanten : l’école française, marquée par une "barrière entre le pouvoir central et la communauté locale" (revue Diversité)