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Il faut refonder l’École en prenant en compte les nouveaux territoires et nouveaux groupes sociaux constitués en France ces dernières décennies (Michel Lussault, géographe)

15 mars 2016

"Nous devons faire un pari : refonder l’École en prenant en considération les nouveaux espaces géographiques qui se sont constitués en France ces dernières décennies, tout en prenant au sérieux la capacité des acteurs locaux à définir des projets locaux avec un État régulateur qui cadre, fait la part entre ce qui est amendable ou bien non négociable...".
Telle est la recommandation faite par Michel Lussault, géographe et président du CSP (Conseil supérieur des programmes), qui intervenait hier vendredi 11 mars 2016 à l’occasion de la deuxième édition de la Conférence nationale sur la refondation organisée par la Ligue de l’enseignement et le CAPE (Collectif des associations partenaires de l’école publique) dans le cadre du Salon européen de l’Éducation.

Cette orientation revient donc à admettre, poursuit le chercheur, que "l’État puisse déléguer la définition de cet intérêt général" à l’échelle locale et non nationale. "Un changement total de fonctionnement" qui reste difficile à mettre en œuvre dans la mesure où la France n’est pas "un pays de tradition fédérale". Or, estime le président du CSP, le principe de co-éducation inscrit dans la loi de refondation de l’École est aujourd’hui "conditionné à ça".

Nouveaux groupes sociaux
Pour justifier sa position, Michel Lussault a mis en avant un double constat qui s’appuie sur les travaux qu’il mène autour des questions d’aménagement du territoire : le fait que, d’une part "l’École n’a jamais été un sanctuaire mais plutôt l’inverse, une chambre d’amplification de toutes les différences sociales" et que, d’autre part, des "bouleversements" ont marqué la société française notamment depuis les années 70, moment où la France, longtemps protégée grâce à un État régalien qui définissait seul l’intérêt général, a commencé à subir le processus de mondialisation.

Si ce processus, explique-t-il, a engendré un enrichissement global et une très forte urbanisation, il a en même temps contribué à complexifier profondément les rapports sociaux. Certes, la société s’est globalement enrichie, mais ce phénomène a été accompagné par l’apparition de nouveaux groupes sociaux et de "différentiels de plus en plus mal supportés" : d’un côté des nouveaux riches, "particulièrement riches", et en même temps "de nouvelles formes radicales de pauvreté", pauvreté dont on pensait qu’elle avait été éradiquée à la fin des années 60.

L’une des conséquences de cette évolution a été l’apparition du sentiment de "déclassement" de la classe moyenne salariées analyse le chercheur, sentiment qui explique le "déni" de cette dernière à vouloir "démocratiser l’École", "seul bien dont [elle] peut continuer de jouir", alors que cette démocratisation accentuerait ce "déclassement". Or c’est cette classe, selon lui, qui est en mesure de modifier "les positions et les termes du débat social", notamment pour l’École où les principes d’égalité et d’équité "ont toujours été déterminés" par cette dernière.

Nouvelles géographies sociales
La France a aussi subi des évolutions géographiques, dues en majeure partie à la "très grande dépendance des territoires à la rente publique" et aux "transferts sociaux". Ainsi, des différentiels territoriaux se sont dessinés en fonction de la façon dont se sont faits ces derniers, produisant parfois "des effets en chaîne dévastateurs", constate le géographe. Il cite par exemple le phénomène de littoralisation des régimes des retraites. Autres faits marquants : l’accroissement des métropoles qui a engendré l’appauvrissement des communautés urbaines intermédiaires "où se concentrent de nouvelles questions sociales que l’on n’était pas prêt à aborder", ainsi que la "péri-urbanisation intense" qui sera, selon lui, à l’origine de "nouvelles poches de pauvreté" puisqu’elle ne bénéficie pas qu’aux classes moyennes supérieures mais à des ménages plus pauvres qui risquent de ne pas pouvoir assumer "de manière durable" des problématiques qui pourront être générées par cette installation, comme les frais de mobilité.

Enfin, à cette constitution de nouveaux groupes sociaux et cette nouvelle géographie sociale s’ajoute une séparation des groupes, alors même que "la France était un pays peu ségrégué il y a encore 30 ans". Le chercheur observe que cette ségrégation se développe sur deux plans : sur le plan résidentiel d’une part et du point de vue des pratiques sociales d’autre part. "Aujourd’hui, on a besoin de faire comme ceux dont on se sent proches culturellement", observe Michel Lussault. "Or l’École est le lieu où l’on veut le plus partager ces affinités." D’où les choix d’affectation pour ses enfants.

Plus de capacité d’agir pour les territoires comme pour les établissements
S’appuyant sur ces constats d’évolution et notamment sur le développement de phénomènes "micro-locaux", Michel Lussault estime qu’il faut donc aujourd’hui non seulement concevoir l’espace local comme "un espace d’empowerment" où l’on laisse aux acteurs locaux "plus de capacité d’agir" (tout en les accompagnant au travers de projets), mais aussi prendre très au sérieux "la problématique de l’autonomie des établissements". Ces nouveaux modes de fonctionnement sont, selon lui, indispensables pour "répondre aux besoins de démocratisation".

Le président du CSP a évoqué des réflexions qui pourraient être menées autour de nouveaux modes d’organisation, par exemple au primaire, soit "à l’échelle d’un établissement, soit à l’échelle de groupements d’établissements sur un territoire". Reste néanmoins "un verrou à faire sauter", estime le chercheur, pour "sortir de la logique de co-propriété et aller vers une logique de co-responsabilité" : celui du "déni de la réalité sociale" porté par la société française.
Pour refonder l’École, il faut donc d’abord "apaiser en rendant intelligibles des situations complexes, ce qui relève des sciences sociales". Et ce afin que chacun puisse "accepter cette société telle qu’elle est, car les cadres pour la modéliser sont aujourd’hui obsolètes".
Camille Pons

Extrait de touteduc.fr du 12.03.16 : Il faut refonder l’École en prenant en compte les nouveaux espaces géographiques qui se sont constitués en France (Michel Lussault)

 

Le compte rendu des Cahiers pédagogiques

Bilan de la Refondation de l’école
« Il faut travailler à refonder l’école dans la durée »
Où en sommes-nous de la Refondation de l’école impulsée au début du quinquennat de François Hollande et traduite, notamment, dans la loi du 8 juillet 2013 ? Perspectives et points de vue d’une ministre et d’un géographe.

[...] Géographie
L’intervention de la ministre avait été précédée de celle de Michel Lussault, qui a précisé intervenir en tant que professeur des universités en géographie et non comme président du Conseil supérieur des programmes ou directeur de l’Institut français de l’éducation. Il a invité à « réfléchir sur les évolutions de la société française et de son organisation territoriale ». Car « refonder l’école c’est d’abord repenser la société », dans une formule qui fait écho au slogan du CRAP-Cahiers pédagogiques : « Changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société. »

Michel Lussault assure que « l’École n’a jamais été un sanctuaire » et se dit très hostile à cette vision de l’école, alors que depuis toujours elle est « une chambre d’amplification des tensions sociales, où la société se met en scène ». Or, la situation de la société française est « sans commune mesure avec celle des sociétés antérieures ; les référentiels intellectuels n’ont plus de pertinence ». Pourtant, il faut « accepter de considérer la société française pour ce qu’elle est et non pas en fonction de ce que nous voudrions qu’elle soit, accepter de l’affronter dans son caractère incommode comme toutes les sociétés mondialisées ». [...

Extrait de cahiers-pedagogiques.com du 14.03.16 : « Il faut travailler à refonder l’école dans la durée »

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