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Contre l’école élitiste (revue Démocratie et socialisme)

10 janvier 2006

Extrait de « Démocratie et socialisme » du 05.01.06 : L’école : un chantier de déconstruction

Décembre 2005 a vu se succéder une série d’annonces de mesures particulièrement rétrogrades concernant l’éducation. Il s’agit d’une accélération de la politique d’exclusion et de relégation du gouvernement. Sous couvert de réalisme, l’école devient un lieu de tri et de repérage des difficultés, afin d‘orienter le plus rapidement possible vers des filières de relégation. Le gouvernement met en place, mesure après mesure, son projet d’école élitiste.

Un « contrat de responsabilité parentale » obligatoire
Il vise en premier lieu les familles les plus en difficultés qui subissent la crise sociale au quotidien et vont devoir payer pour leurs enfants qui ne réussissent pas à l’école. La complexité du mécanisme de l’échec scolaire est totalement ignorée. L’enfant est rendu personnellement responsable de ses difficultés. Il est assimilé à un élève perturbateur, implicitement à un futur délinquant. Les parents sont sommés de remédier aux problèmes sous peine de sanctions. La conception sécuritaire de l’éducation est renforcée. Ces contrats de responsabilité parentale sur proposition des chefs d’établissement, des travailleurs sociaux du conseil général et des maires devront être respectés par les parents sous peine d’amendes, de mise sous tutelle des allocations familiales ou de suspension de ces prestations.

A l’obligation de signer ce contrat, s’ajoute l’obligation de résultats, en terme de reprise effective des cours par l’élève mais aussi de résultats scolaires. Le caractère coercitif de cette mesure en oblitère d’emblée toutes les chances de réussite. Pour les familles qui cumulent déjà nombre de difficultés, elle les fragilise et les stigmatise encore plus. Pour les professionnels elle remet en cause le fondement même de leur travail qui pour réussir doit s’établir nécessairement sur des relations de confiance, et sur l’adhésion volontaire des propres intéressés.

Dans la continuité du plan Borloo qui prévoit d’externaliser le traitement social des situations de difficultés sociales et scolaires par les équipes de réussite éducative, le service social scolaire est totalement ignoré. L’Etat se désengage et continue de réduire le nombre de personnels dans les établissements, remettant un peu plus en cause la notion d’équipes pluridisciplinaires agissants conjointement sur le terrain pour la réussite des élèves. Le mérite devient le critère pour bénéficier d’une aide (triplement des bourses au mérite, intégration dans des internats d’excellence...). Les difficultés, l’échec sont sanctionnés par un processus d’exclusion du système.

L’apprentissage à 14 ans, mis en œuvre dès la rentrée 2006
Ce processus d’exclusion va jusqu’à mettre en place comme alternative à l’école, une voie sans issue de secours : l’apprentissage dés 14 ans. Cette mesure va renforcer l’éviction précoce du système scolaire des élèves les plus en difficulté et accentuer le projet, déjà inscrit dans la loi Fillon, d‘organiser une scolarité à plusieurs vitesses, un tri social et une éviction précoce d’une partie de la jeunesse qui devra se contenter d’un socle commun étriqué. Réforme de l’éducation prioritaire : Agir sur des individus et non plus sur des territoires
L’attaque est plus subtile. Elle prend la forme de la protection et du renforcement : Nouveaux critères de classement, Arrêt du saupoudrage de moyens. Elle n’en confirme pas moins le renoncement à assurer la réussite de tous, toujours en se présentant comme une réponse réaliste : Diversification pédagogique, bagage technologique « concret » pour combler le fossé entre les élèves et la culture scolaire. La volonté d’accentuer son rôle de gestion sociale, compassionnelle, des inégalités, se renforce.

Ces mesures ne s’accompagnent d’aucun moyens supplémentaires. Elles vont conduire à des redéploiements et à un redressement sensible de la carte des ZEP : 200 à 250 établissements les plus difficiles choisis parmi les 900 classés ZEP seront labellisés collèges « ambition réussite » ainsi que les écoles qui leur sont rattachées. De nombreuses écoles et collèges sortis de cette carte vont se retrouver confrontés à des difficultés accrues.

Ces annonces sont caractérisées par la quasi-absence de mesures concernant l’école primaire, excepté la réaffirmation de l’abandon d’une méthode globale que pratiquement plus personne n’utilise, alors que c’est à ce niveau que se construit l’entrée dans la « culture écrite » et que se constituent, pour une part décisive, les « inégalités scolaires ». L’amélioration des conditions de travail et d’enseignement, la stabilisation des équipes sont absentes. Les mesures dérogatoires souvent inefficaces mais qui permettent des contournements statutaires vont se multiplier ( contractualisation des projets, profilage des postes...). Pour les élèves, l’individualisation du parcours autour notamment de la notion de socle commun et la mise en avant du « mérite » vont avoir pour principal effet l’accentuation du tri social et des évictions précoces du collège.

Forte chute des postes aux concours

(...)

Egalité des chances ou égalité des droits
Les inégalités scolaires sont d’abord liées à la position sociale. Ce sont les enfants des classes populaires qui connaissent les plus grandes difficultés à entrer dans la culture de l’écrit.

Soit on accepte ces inégalités comme intangibles, résultant de l’inégale distribution des aptitudes, qu’elles relèvent de « dons » ou d’un « handicap socioculturel », et toute action est impossible. Le système éducatif, par la sélection scolaire prend alors acte d’inégalités qui préexistent à son intervention. C’est le choix libéral de la mise en place d’un nouvel ordre scolaire, fondé sur l’assujettissement de l’école à la raison économique, productrice non de savoirs mais d’employabilité et légitimant les inégalités à travers la théorie du « capital humain » et le calcul rationnel de l’individu. C’est l’école à plusieurs vitesses où l’éducation de haut niveau n’est plus un droit universel, c’est un investissement que chacun fait en fonction des profits ultérieurs qu’il en espère. Le seul droit universel qui reste est celui du socle commun, le SMIC culturel. Ce projet porté par les libéraux et poussé par les instances internationales ( experts de la banque mondiale, de l’OCDE et de la commission européenne) est celui qui se met en place, décision après décision, sous nos yeux.

Soit on prend acte de l’éducabilité universelle de tous les élèves. Il s’agit alors d’ouvrir le chantier de la démocratisation scolaire, de ce qui lui fait obstacle, de la résistance des inégalités à plusieurs années de lutte contre l’échec scolaire. L’issue est alors dans le choix d’une politique d’urgence, massive, qui traite les problèmes le plus précocement possible, dés l’entrée dans la culture écrite. Ce choix n’est possible que par la mobilisation, la formation, des personnels qui sur le terrain, confrontés aux difficultés, n’ont souvent le choix qu’entre la peste et le choléra. Le gouvernement joue au pompier pyromane. La gauche doit lui répondre par un véritable projet alternatif.

Philippe Verdier

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2 Messages de forum

  • > 10/01/06 - Contre l’école élitiste

    11 janvier 2006 20:28, par Modnar

    Si vous étiez déja aller dans un college vous verriez que l’apprentissage a 14ans est bien meilleur pour les éleves en difficultés qu’une perte de temps dans les salles de cours où ils font des choses qui ne les interessent pas et qui ne leur serviront jamais. Que repondez vous a cela ?

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    • > 10/01/06 - Contre l’école élitiste 12 janvier 2006 00:42, par Jean-Philippe Vérité

      Je travaille dans un collège urbain classé en ZEP où je suis depuis de nombreuses années professeur principal de troisième, chargé donc d’accompagner environ 25 élèves tous les ans dans leurs choix d’orientation. En moyenne, 3 à 4 élèves souhaitent entrer en apprentissage. En 8 ans, AUCUN n’a signé de contrat d’apprentissage. Dans les autres classes de 3ème, de mémoire, et toujours sur 8 ans, 3 élèves en ont signé, et sur ces 3 élèves, deux contrats ont été rompus au bout de quelques mois.

      Quelles en sont les raisons (d’après moi) : d’une part les employeurs n’ont souvent pas envie de signer des contrats avec des jeunes en grande difficulté scolaire (et qui donc s’expriment mal, calculent mal, s’organisent mal, ont une perception irréaliste du monde dans lequel ils évoluent, ont souvent du mal à gérer leur comportement etc...). En milieu rural et semi-rural, dans lequel j’ai également enseigné, le recrutement d’apprentis se fait souvent à travers un réseau de relations familiales, de voisinage ou encore professionnelles, dont ne bénéficient pas les élèves en difficultés des ZEP. Cette année, un de mes élèves va signer un contrat... avec son père, artisan.
      Pour compenser cette méconnaissance, nombre de patrons demandent les bulletins scolaires, exigent (surtout dans les métiers en contact avec la clientèle) que le futur apprenti ait le brevet des collèges - garantie de compétences minimales - , nous appellent quelquefois pour savoir si l’élève se comporte bien...
      Après les images diffusées à la télévision de quelques jeunes délinquants brûlant des voitures, je n’ai pas entendu de réactions enthousiastes des employeurs à l’annonce de l’avancement de l’apprentissage à 15 ans pour les élèves en difficulté.

      D’autre part, les élèves savent que, quelques filières mises à part où quasiment seul l’apprentissage existe (métiers de bouche, du bâtiment...) et qui d’ailleurs peinent à recruter, les taux de chômage sont plus élevés lorsque les qualifications sont faibles. Et la voie de l’apprentissage à 15 ans ouvre sur des niveaux V bis (CAP), les plus bas.

      L’apprentissage, qui est un mode de formation tout à fait respectable lorsque l’apprenti est reconnu dans son statut d’apprenant, peine à se défaire de son image de voie de relégation. Ce projet d’apprentissage à 15 ans ne lui rend pas service.

      Jean-Philippe Vérité.

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