ZEP : Un entretien avec Jean-Yves Rochex

7 février 2006

Extrait du dossier du SNUipp sur les ZEP de janvier 2006 : Entretien avec Jean-Yves Rochex

Jean-Yves Rochex, professeur en Sciences de l’éducation à l’Université Paris VIII Saint-Denis.

« Pas de véritable démocratisation de l’accès au savoir sans transformation de l’école et de la société »

« École : non au renoncement » est le titre d’un texte signé par de nombreux chercheurs en éducation et dont vous êtes l’un des co-auteurs. Qu’est-ce qui motive une telle initiative ?

Ce qui nous a poussés, Samuel Johsua, Philippe Meirieu et moi-même, à rédiger ce texte est l’annonce successive de la possibilité d’aller en apprentissage dès 14 ans, qui signe la fin de la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, et de la refonte des Z.E.P, le tout étant présenté comme réponse à la « crise des banlieues » de novembre dernier.

Au-delà du contenu de ces mesures, qui convergent avec d’autres, tout aussi néfastes, telles que la relance, purement idéologique et très caricaturale, du débat sur les méthodes de lecture ou la réduction drastique des postes mis aux concours, ce qui nous a paru mériter une réaction d’envergure est le fait qu’un seuil a été franchi, que le choix a été fait d’un retour en arrière par rapport aux politiques antérieures (qui méritent certes examen critique) qui avaient fait de l’ensemble école-collège le corps de la scolarité commune obligatoire. Ces mesures organisent la déscolarisation des jeunes les plus en difficultés, qui appartiennent souvent aux milieux sociaux les plus victimes de la domination et de la précarisation. C’est un renoncement aux objectifs de démocratisation de l’accès au savoir. Comme souvent, la mise en avant des aspects critiques et du bilan décevant, tant du « collège unique » que de la politique ZEP, la critique nécessaire du fonctionnement élitiste et ségrégatif de notre système éducatif ne sont utilisées que pour mettre en cause ses missions de service public et pour justifier des mesures qui ne pourront qu’aggraver les inégalités sociales et sexuées.

L’apprentissage dès 14 ans, c’est l’aboutissement de cette politique du renoncement ?

Oui. Compte tenu de la situation de nombreux collégiens en grande difficulté scolaire, ce qui nous est présenté comme une solution « réaliste » est illusoire. Ces jeunes, déjà en butte à la discrimination à l’embauche au sortir de l’école, ne le seront pas moins deux ans plus tôt. Les enseignants de SEGPA ou de LP peuvent témoigner de leur énorme difficulté à trouver des stages pour ces jeunes. Il s’agit d’un « réalisme » du renoncement qui prend acte de la grande difficulté scolaire, non pour la combattre en amont, mais pour organiser la sortie précoce des élèves. Ce qui est en jeu est sans doute le renoncement à toute norme et tout objectif national(e) en matière de scolarisation, de même que l’on travaille, en matière d’emploi, à substituer les accords d’entreprise à la loi et au droit du travail, le tout au nom de l’adaptation à la diversité des situations.

En quoi les mesures annoncées pour les ZEP participent-elles de cette logique ?

D’abord parce qu’elles seront mises en oeuvre à moyens constants, alors que pratiquement tous les analystes de la politique ZEP insistent sur la dilution et la faiblesse des moyens accordés. Ensuite, parce qu’elles sont quasi exclusivement ciblées sur le collège, alors qu’il est nécessaire de s’attaquer en amont à la production de la difficulté et de l’inégalité scolaires dès l’école maternelle et élémentaire, et aux processus de paupérisation et de précarisation croissantes qui touchent les milieux populaires.
Enfin sous prétexte de ne plus donner la priorité aux zones mais aux élèves, on promeut une logique d’individualisation des problèmes et des solutions, qui tourne le dos à tous les résultats de recherche sur l’inégalité scolaire et ne pense la démocratisation que sur le modèle de l’« adaptation » des enfants de milieux populaires à un système éducatif dont le fonctionnement élitiste demeurerait inchangé quitte à promouvoir les quelques miraculés des ZEP à Sciences Po, à Henri IV ou ailleurs... Cette conception individualiste de « l’égalité des chances » était dénoncée par Wallon dès 1946. Il y opposait la visée d’« élévation sensible du niveau culturel pour la masse du pays ».

Vous dites qu’ « il est urgent de chercher à résister » à cette politique ?

Notre réaction est aujourd’hui largement partagée. Le texte, initialement signé par une trentaine de chercheurs a reçu, en quelques jours, près de 5 000 signatures, chercheurs, responsables syndicaux, politiques ou associatifs, enseignants et parents d’élèves (A signer sur le site), qui tous affirment leur refus de cette politique et qu’il n’y aura pas de véritable démocratisation de l’accès au savoir sans transformation de l’école et de la société.

Propos recueillis par Gilles Sarrotte

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