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Question à Thomas Piketty au sujet de la taille des classes, par François-Régis Guillaume, membre du bureau de l’OZP

28 février 2006

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Question à T. PIKETTY et à ceux qui reprennent ses conclusions sans se poser de questions : Affecter 8000 postes de professeurs pour ramener de 22 à 17 le nombre d’élèves par classe dans les écoles de ZEP serait-il le meilleur usage que l’on pourrait faire d’une ressource aussi importante ?

« Le Monde » du 21.2.06 consacre deux pages à une seconde présentation des conclusions d’une étude, non encore publiée, de Thomas Piketty, préconisant une diminution de 5 élèves par classe dans les écoles élémentaires de ZEP. Dans ce travail de statisticien, un nombre manque : celui du nombre d’emplois supplémentaires qu’il faudrait affecter dans ces écoles, qu’on peut estimer grossièrement à 8000 (sans compter les écoles maternelles dont on dit par ailleurs que c’est là que les inégalités se fabriquent). Naturellement la question n’est pas posée du meilleur emploi possible d’une telle ressource.

Cette question n’a pas été posée, car elle oblige à se demander comment et à quelles conditions une diminution du nombre d’élèves par classe se traduit en amélioration des performances des élèves. Mais poser la question des pratiques pédagogiques efficaces n’est pas dans l’air du temps. Elle ouvrirait un débat difficile (mais peut-être fécond ?) qui diviserait les enseignants et leurs organisations. La fausse évidence de la diminution continue des effectifs par classe est plus facilement comprise de l’opinion publique.

Au moment où le Ministre se déchaîne contre le « pédagogisme », Thomas Piketty en rajoute : il ironise contre « les fins penseurs du social » ; et, pour le changement des pratiques, au lieu de l’accompagnement des enseignants, de la réflexion pédagogique et du travail en équipe, il imagine « des brigades d’inspecteurs d’académie qui viennent donner des instructions pédagogiques » !
Les réflexions des enseignants, des praticiens de terrain, comme les recherches en sciences de l’éducation sont récusées par une idéologie statisticienne, pour laquelle les chiffres parlent tout seuls.
La diminution importante du nombre d’élèves par classe depuis 30 ans ou les résultats décevants de l’expérience récente des Cours Préparatoires à 10 ou 12 élèves (sans qu’aucun effort de transformation des pratiques n’ait été mené) devraient pourtant interroger.

Quelle est la réalité de l’amélioration des performances que T.Piketty dit avoir constaté dans ses analyses ? (Les conclusions de l’étude ont été diffusées depuis longtemps et massivement et sont reçues comme des vérités scientifiques, mais l’étude n’étant pas encore publiée, il n’est pas possible de vérifier la solidité des extrapolations opérées à partir de corrélations entre variations d’effectifs et différences de performances aux évaluations nationales.)
L’amélioration des performances, en supposant quelle soit vérifiée, n’est pas massive du tout. T.Piketty écrit, graphique à l’appui, que ramener de 17 à 22 le nombre d’élèves par classe en ZEP diminuerait de 45% « l’inégalité des résultats » constatée aux évaluations nationales entre les performances moyennes des élèves de ZEP et celles de l’ensemble des élèves entrant en CE2. Le lecteur non statisticien comprend que l’échec scolaire reculerait massivement.


Il s’agit d’une illusion d’optique. L’écart actuel étant de 10 points sur 100, la diminution massive des effectifs par classe élèverait la moyenne des performances des élèves de ZEP de 4 points sur 100 (45% de 10%), ce qui ramènerait à 6 points sur 100 l’écart avec la moyenne de l’ensemble des élèves. Ce qui importe ce n’est pas la différence entre les moyennes des deux populations, mais l’écart entre les élèves en échec grave, ceux qui suivront difficilement au collège, et les autres.
Pour mieux comprendre le problème de l’échec scolaire et des inégalités, il faudrait publier le bon graphique, celui superposant les courbes de résultats des élèves en ZEP et hors ZEP qui montre la grande dispersion des résultats. En augmentant les résultats des ZEP de 4 points sur 100, on ne réduit pas massivement l’inégalité. Pour les 16 ou 17% d’élèves en échec grave l’objectif n’est pas de progresser de 4 points sur 100 mais de 15 à 20 points !
Voilà donc une « réforme » coûteuse pour un progrès bien mince !

Par contre, sur le terrain, on trouve, et ce ne sont pas des exceptions, des ZEP qui réussissent et qui parviennent à réduire massivement l’échec grave. Les déterminants de ces réussites ont été analysés en 1997 dans le rapport de Catherine Moisan et de Jacky Simon, il serait temps de s’en inspirer et de comprendre que si l’éducation prioritaire demande des moyens, ce n’est pas principalement pour diminuer le nombre d’élèves par classe, mais pour instituer un accompagnement dense des enseignants, leur donner du temps pour travailler en équipe, assurer un suivi individualisé des élèves etc.

L’OZP essaye de faire passer l’idée que la ressource rare ce sont "les équipes capables de réussir dans un contexte difficile". C’est parce les décisions récentes du Ministre annoncent l’instauration d’un véritable pilotage et amorcer une nouvelle politique de gestion des ressources humaines, qui ne sont possibles que dans un nombre limité de territoires, que l’OZP a approuvé la plupart de ces annonces. Que les 1000 postes créés puissent servir, à temps partiel, à l’accompagnement des enseignants et à la mise en œuvre d’innovations, est très positif.
Bien sûr un effort plus important (que ces 1000 postes et que les postes d’assistants pédagogiques) serait le bienvenu, mais que des statisticiens ne les destinent pas d’avance à la diminution des effectifs !

François-Régis Guillaume

membre du bureau de l’OZP

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3 Messages de forum

  • F.R. Guillaume, en réponse à T. Piketty au sujet de la taille des classes, me semble dire que c’est le travail d’équipe qui permet les progrès les plus importants des élèves.
    Je ne trouve pas que cette opposition entre effectifs et équipe soit pertinente, les deux facteurs me paraissant liés.

    Le fait d’être dans une classe de 25 ou de 17 élèves n’a pas du tout le même effet sur la personne de l’enseignant en termes de fatigue, d’énervement , de disponibilité, d’efficience intellectuelle, d’envie de s’investir dans un travail d’équipe, d’envie de rester dans une école ou un établissement « prioritaire » certes (encore que certains s’amusent à le contester), mais où les situations sont en permanence complexes et exigeantes.
    Faut-il ajouter que cela n’a pas non plus le même effet sur la personne de l’élève ?

    Un raisonnement par exagération montre qu’effectifs humains et pédagogie n’ont pas à être opposés : dans une classe à plus de 40 élèves il doit être extrêmement difficile de ne pas fonctionner sur le modèle de la caserne et du déversoir, et dans une classe à moins de 10 élèves il serait aberrant de ne pas différencier sa pédagogie pour permettre à chacun de réussir.

    Pascal B.

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  • Si Piketty ne parle pas de pédagogie, de travail en équipe des enseignants, c’est que là n’est pas son objet (ni son domaine de compétence scientifique d’ailleurs, puisqu’il est économiste)
    Il se borne à mettre en évidence une corrélation entre réduction de la taille des classes, et amélioration des performances scolaires des élèves en ZEP. Et quand je regarde le graphique qu’il publie, bien que n’étant pas statisticienne, j’ai quand même assez de souvenirs de mes études de géographie pour remarquer que la corrélation saute aux yeux.

    Les idées de Piketty sur l’importance ou non de la pédagogie importent peu (je ne les connais pas, il faudrait lui demander). Certaines de ses propositions posent question : financer la baisse des effectifs par classe en ZEP par leur alourdissement, même minime, partout ailleurs, n’est-ce pas mettre plus en difficulté les élèves en échec qui ont la malchance d’être hors ZEP ?

    Bref, il y a matière à débat, mais on ne va pas s’en plaindre ? Les remèdes à l’échec scolaire, s’ils étaient simples, auraient été trouvés depuis longtemps, et il est un peu lassant que le débat soit tantôt inexistant, tantôt binaire (les "pédagogistes" contre les "classiques", l’"innovation" contre les "moyens budgétaires", etc...).

    Le mérite de Piketty, c’est de remettre sur la table le facteur "effectifs", longtemps écarté comme négligeable sur la base des publications les plus connues en France.

    A l’occasion du premier article de Piketty l’an dernier, on a pu découvrir (en tout cas pour ma part ce fut une découverte !) que dans les pays anglo-saxons notamment, des travaux scientifiques de qualité portent depuis des années sur le problème de l’effet de la taille des classes sur les performances de élèves, que ces travaux fondés sur le suivi de cohortes massives sur plus de 10 ans débouchent sur des conclusions très explicites, et ont d’ailleurs conduit ici ou là les autorités à modifier leurs politiques en matière scolaire pour en tenir compte.

    L’étude américaine "STAR" a ainsi démarré en 1985 dans le Tennessee, sur un panel de 11 000 élèves. Elle a inspiré un autre programme de recherche, anglais cette fois, réalisée par Peter Blatchford de l’Institute of Education de l’Université de Londres, portant également sur des cohortes massives. On trouvera sur http://www.ecoledemocratique.org un résumé en français de ces travaux par un chercheur belge, Nico Hirtt, qui vaut d’être lu.

    Personnellement, j’en retiens que si les baisses drastiques d’effectif ont bien une efficacité, il serait temps de les mettre en oeuvre, ce qui n’interdit nullement d’impulser le travail en équipe ni de promouvoir des démarches pédagogiques innovantes. Bien au contraire, autant il est difficile de remettre en question les pratiques professionnelles archaïques sur lesquelles on se recroqueville quand les conditions de travail sont pénibles, notamment à cause d’effectifs surchargés, autant l’amélioration des conditions de travail crée des conditions facilitantes pour sortir de l’urgence et inventer collectivement autre chose.

    Il est vrai que pour l’heure, si j’en juge par ce qui se profile l’an prochain dans mon collège EP1, il n’est question ni d’abaisser les effectifs par classe, ni d’intégrer la concertation dans les services des enseignants, donc on ne risque pas d’additionner les bénéfices, avérés ou supposés, de ces deux facteurs.
    Chercheurs, praticiens, simples citoyens, continuons le débat, mais ne perdons pas de vue qu’il risque de se trouver rapidement sans objet, si la liquidation de l’éducation prioritaire engagée par Robien n’est pas stoppée....

    Marianne

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    • > Question à Thomas Piketty au sujet de la taille des classes 2 mars 2006 10:56, par François-Regis Guillaume

      Réponse à Marianne

      Vous avez vu dans « Le monde » l’article et les graphiques de T.Piketty et vous avez vu un résultat extraordinaire : les inégalités diminuent de 45% ! C’est un contre sens, ce qui diminue c’est l’écart entre la moyenne des élèves de ZEP et la moyenne de l’ensemble des élèves : l’écart de 10 points sur 100 est ramené à 6 points.

      Et maintenant, regardez le graphique (il n’apparaît qu’au bout de quelques secondes) en bas de mon article sur ce forum et vous verrez que la dispersion des performances est telle qu’une augmentation de 4 points sur 100 des performances des élèves de ZEP ne change pas grand chose aux inégalités. Pour répondre à la question, demandez vous si dans une école à 10 classes (avec 10 enseignants) de 22 élèves chacune le meilleur usage possible de 3 postes supplémentaires serait d’avoir 13 classes à 17 élèves ?
      En préconisant une baisse massive des effectifs T.Piketty fait de la pédagogie et ce n’est effectivement pas de sa compétence.
      F R Guillaume

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