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La Classe Plaisir : Les deux N , par Daniel Gostain, enseignant spécialisé en éducation prioritaire

20 novembre 2019

La Classe Plaisir : Les deux N

C’est l’histoire d’un étonnement, et à partir de cette étonnement, d’un questionnement. J’exerce comme enseignant spécialisé en ce qu’on appelle aujourd’hui l’aide relationnelle (ou maître G, comme nous avons l’habitude de le dire) au sein d’un RASED. J’ai donc l’occasion de rencontrer des enfants en grande difficulté scolaire qui me sont signalés par des enseignants, d’abord en entretiens individuels et puis, pour certains, en petits groupes de besoins.

J’aimerais vous décrire le moment vécu avec N., un élève de CE1, qui est décrit, sur la demande d’aide écrite qui m’a été remise, comme élève ayant un niveau de Grande Section de maternelle. J’ai pu effectivement constater qu’il n’était pas lecteur, qu’il ne savait pas écrire des mots simples, et que des calculs comme 7+5, 10+ 10 ou 23+ 34 (écrit en colonnes) étaient compliqués pour lui.

J’ai reçu N. pour un premier entretien, nous avons donc fait connaissance. Il m’a parlé (avec difficulté) de son rapport aux apprentissages, de ce qu’il aime faire à l’école, mais aussi à la maison. Il m’a ainsi confié qu’il adore les histoires de pirates et qu’à la maison, il aimait en inventer.

A l’issue de ce temps de parole, je me suis naturellement dit que, au lieu de nous lancer dans un temps de jeu classique (pour voir son rapport aux règles, aux stratégies, au fait de gagner ou de perdre...), j’allais lui proposer de créer avec mon accompagnement une aventure de pirates. Or, dans la salle où je travaille, il y a une maquette de bateau ainsi que des figurines de marins, de pirates (et d’animaux).

Je lui ai demandé de mettre en place les personnages, de m’attribuer (ou non) un rôle dans sa mise en scène - il m’a dit que j’animerais les deux "gentils" - et une fois organisé, le jeu de rôle a commencé. Et là, j’ai découvert un enfant très différent de celui qui, péniblement, me parlait de l’école et de la classe, un enfant d’une grande vitalité, capable de faire avancer un récit d’une façon parfaitement cohérente, prenant en compte les péripéties que j’apportais avec mes deux figurines, faisant dialoguer chacun des personnages avec pour chacun une voix différente. J’étais sidéré.

Je lui ai demandé de trouver la fin de l’histoire, ce qu’il a fait avec un peu de regret, puis nous sommes passés à un troisième temps (après le temps de parole et celui du jeu), celui du bilan.

Il m’a dit son plaisir d’avoir inventé cette histoire, je lui ai donc proposé de l’écrire, sous sa dictée, pour en garder une trace et, avec son accord, la lire à sa classe.

Voici la première partie, telle qu’il me l’a racontée : [...]

Je me retrouve donc avec deux N. L’un en échec scolaire, avec une "attention limitée et une grande dispersion en classe", l’autre capable de produire un récit de qualité, totalement concentré et impliqué. Bien sûr, je sais que les conditions, celles de la classe et celles d’un temps avec une personne qui n’est là que pour lui, ne sont pas du tout semblables. Mais, reste quand même l’écart de comportement et de compétences observé chez pourtant le même enfant.

D’où le questionnement suivant :

1) Cet enfant est-il davantage lui-même dans le collectif de la classe centré sur les apprentissages ou dans l’espace de parole et de création qui lui a été ici ouvert ?

2) Comment faire pour que N. puisse utiliser dans les apprentissages scolaires ce qu’il a été capable de réaliser lors de ce temps d’aide ?

3) Comment se fait-il qu’il y ait si peu - voire jamais - d’espaces où les élèves pourraient (se) parler, (se) confier - et peut-être du coup ouvrir des pistes à l’enseignant - sans la pression des résultats, des compétences à atteindre, du programme, et donc du temps contraint ? Surtout que pour la plupart des enfants que l’on nous envoie, il n’existe pas non plus souvent à la maison de possibilités de refuge, de parole et d’écoute.

C’est pour moi un chantier vertigineux et nécessaire à lancer à l’école, celui de la réconciliation entre l’élève que nous voulons voir et la personne qui est là. Nous en sommes loin...
Daniel Gostain

Pour aller plus loin

1) Penser les empêchements à apprendre

2) L’enfant auteur

Une question : Comment donner un espace à chaque élève en classe pour qu’il puisse être lui-même ?

Extrait de cafepedagogique.net du 20.11.19

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