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Une étude sur les immigrants africains dans les ZUS et les émeutes de 2005

30 juin 2006

Extrait de « Le Figaro » du 29.06.06 : La carte des émeutes de novembre 2005 confirme le profond malaise des immigrants africains

Peut-on comprendre les émeutes de novembre 2005 par la géographie ? Quels sont les points communs entre les villes qui ont connu des flambées ? Pourquoi dans cette banlieue-ci et pas dans celle-là ? Pourquoi des départements jusqu’ici calmes, comme l’Aisne, la Loire ou l’Eure, ont-ils connu des soubresauts ? Six mois ont passé et les scientifiques commencent à livrer leur version détaillée.

Pour le sociologue du CNRS Hugues Lagrange (1), les troubles ont éclaté pour l’essentiel dans des zones urbaines sensibles abritant une large proportion de familles africaines de plus de six enfants. Ce chercheur a examiné les caractéristiques des quartiers touchés. La plupart se trouvent en zone urbaine sensible. Mais ce sont surtout les cités disposant d’un revenu médian très inférieur à celui du reste de la commune qui ont brûlé. Les contrastes sociaux ont bel et bien alimenté la rébellion. Tout comme la présence de très nombreux jeunes. Dans ces cités, ils représentent parfois jusqu’à 40% de la population. Et paradoxalement, c’est aussi là où d’importantes opérations de rénovation urbaine ont été lancées que le feu a pris. Car pour démolir des barres, les familles sont relogées de façon provisoire, ce qui semble déstabiliser les plus fragiles, expliquent encore les sociologues.

La carte de la géographie des émeutes recoupe celle des zones à forte « concentration de grandes familles ». Habitué à travailler à Mantes-la-Jolie où sont installés de nombreux immigrés africains, Hugues Lagrange a noté que « dès la deuxième semaine d’émeutes, dans l’Ouest notamment, une série de villes qui constituent les lieux d’installation de familles originaires d’Afrique noire ont connu des violences ». Sans être des émeutes ethniques, puisque des personnes de toutes origines ont été interpellées, les feux de novembre ont révélé les difficultés d’intégration d’une partie des enfants d’origine africaine, issus de cette dernière vague d’immigration.

Les familles sahéliennes se sont installées dans les années 80 ou 90, suivies par de nouvelles populations venues du Cameroun, du Congo, de Guinée ou du Cap-Vert. Leurs foyers cumulent les handicaps. Car, le plus souvent, ces familles conservent le modèle démographique du village et les fratries y sont très nombreuses. Enfin, les mères sont souvent analphabètes. Or, le niveau d’éducation maternel conditionne largement les performances scolaires des enfants.

Le choc est aussi de nature culturelle. Les familles d’origine sénégalaise et malienne sont principalement issues d’un milieu rural. Par tradition, le père occupe une place centrale dans l’organisation familiale. Aussi « l’enfant est d’abord envisagé comme un membre de la communauté », explique Nathalie Kapko, chercheuse associée au laboratoire Cultures urbaines et sociétés (Iresco-CNRS). Ce sont donc les pères qui incarnent la loi. La transposition brutale de code culturel dans un milieu urbain occidental à la fois confiné et brutal fait vaciller les repères de ces familles et va jusqu’à les disloquer. Les écarts d’âge sont souvent très importants avec les derniers fils. Il est fréquent que les jeunes grandissent avec des pères à la retraite qui partagent leur vie entre l’Afrique et la France. Quant aux mères, elles manquent de l’ascendant nécessaire. « La plupart des enfants rajeunissent leur mère lorsqu’ils remplissent les fiches à l’école, car ils les perçoivent presque comme des soeurs », confie d’ailleurs Hugues Lagrange.

Autre déphasage culturel pénalisant, les parents reproduisent les modèles d’éducation importés de leur village d’origine. Ils imposent la soumission aux plus âgés de leurs enfants, exigeant qu’ils baissent les yeux devant les adultes. Des codes que les jeunes respectent en apparence, comme ces adolescents remplis de rage après la mort d’un camarade poignardé lors d’une rixe à Evry, au mois de mai. Ils étaient tous venus faire leurs condoléances à cette famille malienne, ont écouté les appels au calme des mères les yeux rivés au sol, avant de filer pour une expédition punitive une fois dans la rue.

Le décalage entre la norme familiale et la réalité de la société alentour est donc souvent à la fois très douloureux et profondément entravant. Certains en jouent pour échapper à toute autorité. « Dans le système traditionnel africain, rappelle à juste titre Lagrange, tous les adultes interviennent. En France, ces enfants vivent une rupture entre le discours parental et les règles externes. Or la parole adulte fonctionne lorsque tous la renforcent. » La plupart de ces familles n’ont guère de relation avec l’école. Par respect souvent, mais aussi par crainte face à une institution qu’elles ne comprennent guère. Les parents ne délèguent pas l’autorité affective aux maîtres. Au final, certains adolescents dénient toute autorité aux professeurs. Logés dans des appartements exigus, les enfants ont bien du mal à étudier. Ils sont aussi souvent victimes de rivalités entre co-épouses dans les foyers polygames, et forcés dans certains cas de défendre leurs mères contre leurs demi-frères. « Les parcours scolaires chaotiques des garçons d’origine subsaharienne témoignent aussi de la force des tensions intrafamiliales », ajoute encore Nathalie Kapko.

Il faut encore prendre en compte les familles nouvellement arrivées de pays en guerre, qui sont totalement déboussolées. Pour autant, gardons-nous de généraliser : l’émigration africaine est loin d’être homogène. Une partie est composée d’étudiants restés en France. Leurs enfants sont souvent encouragés à faire des études, tandis que les parents développent des stratégies pour s’extraire des quartiers de relégation. Car, note encore Hugues Lagrange, dans les cités à forte présence de africaine, la disparition des cadres est notable.

Les dernières émeutes ont bien fait émerger la question noire, avec une problématique sociale et culturelle jusqu’ici négligée. Néanmoins, la situation pourrait évoluer avec l’inscription croissante des femmes africaines aux cours d’alphabétisation.

(1) Émeutes urbaines et protestations, sous la direction de Hugues Lagrange et Marco Oberti. (Les presses Sciences po)

Cecilia Gabizon, grand reporter au service Société du Figaro

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