Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Le cinéma s’engage sur les chemins de l’école
Que ce soit par la fiction ou en documentaire, les enseignants et leurs élèves continuent d’inspirer le grand écran, qui croit encore aux vertus républicaines de l’institution, sans en occulter les failles.
Analyse. Le cinéma a fait sa rentrée début septembre. Tout comme l’école, à laquelle il ne manque pas, timing oblige, de s’intéresser de près. L’affaire n’est pas nouvelle : le sujet est porteur et facteur de succès de fréquentation. Plus fondamentalement, il touche les familles dans ce qu’elles ont de plus cher, l’éducation des enfants et la transmission des valeurs. Il y a toujours eu, si l’on peut dire, deux écoles dans les films sur l’école : les voyous des chemins buissonniers et les zélés de l’éducation nationale.
Côté mauvais garçons, Jean Vigo (Zéro de conduite, 1933) et François Truffaut (Les Quatre Cents Coups, 1959), même s’ils ne boxent pas dans la même catégorie, donnent la main à Claude Zidi (Les Sous-Doués passent le bac, 1980) et à Philippe de Chauveron (L’Elève Ducobu, 2011). Dans le camp des bons élèves, Nicolas Philibert (Etre et avoir, 2002) et Laurent Cantet (Entre les murs, 2008) marchent de concert avec Christophe Barratier (Les Choristes, 2004) et avec Pierre-François Martin-Laval (Les Profs, 2013).
Mais la question n’est plus vraiment là. Bien plutôt dans le fait que, loin du sanctuaire de la neutralité politique et de l’égalité des chances, l’école n’échappe plus depuis belle lurette (si cela avait jamais été le cas) au poids des maux de la société qui l’entoure. Révisons à ce sujet Passe ton bac d’abord (1978), de Maurice Pialat, Ça commence aujourd’hui (1999), de Bertrand Tavernier et, plus près de nous La Vie scolaire (2019), de Grand Corps Malade et Mehdi Idir.
[...] A regarder de plus près les films qui traversent ces mois-ci le grand écran, on notera pourtant, aussi lucide et critique fût-elle, la rémanence d’une croyance en ce creuset républicain. L’exemple en est donné par le roi des cancres, Ducobu, héros d’une saga populaire inaugurée en 2011. Ne voilà-t-il pas que le dernier et quatrième opus – Ducobu président, réalisé par Elie Semoun et sorti le 13 juillet – se range sans crier gare du côté du maître old fashion en blouse grise interprété par Semoun, contre les menées délétères d’un faux pédagogue teuton (Ary Abittan), qui voudrait instaurer l’horreur de la pédagogie alternative sur notre glorieux pré carré éducatif.
Loin de cette galéjade, mais pas tant que ça, documentaires et fictions conjuguent leurs efforts pour louer tout à la fois l’abnégation des profs et les ressources d’une institution dont ils ne sont pourtant pas les derniers à dénoncer l’impéritie. Passons rapidement sur la comédie estivale La Très Très Grande Classe (10 août), qui enfonce le clou un peu rouillé des élèves infernaux et des profs dépassés. Regardons plutôt ce qui réunit des films aussi différents que La Cour des miracles de Carine May et Hakim Zouhani (28 septembre), Etre prof d’Emilie Thérond (5 octobre), Un bon début d’Agnès et Xabi Molia (12 octobre), L’école est à nous d’Alexandre Castagnetti (26 octobre), ou La Générale de Valentine Varela (23 novembre).
[...] Et que dire des véritables enseignants que nous révèlent les documentaires, si ce n’est qu’ils sont probablement plus impressionnants encore ? Ces trois institutrices du tiers-monde continuant, qui au Burkina Faso, qui en Sibérie, qui au Bangladesh, leur mission contre vents et marées, dans des environnements socialement et climatiquement désastreux, où l’école elle-même n’existe pas (Etre prof). Ces rudes battantes de la classe de seconde du lycée Emile-Dubois à Paris, qui bataillent pour maintenir à niveau des élèves qui décrochent (La Générale).
Last but not least, palme non académique du prof le plus génial du moment, Antoine, qui exerce au lycée Guynemer de Grenoble dans une classe de 4e, absolument unique en France (dispositif Starter), accueillant des élèves en rupture totale de scolarité (Un bon début). Rien vu de semblable, en termes d’abnégation, de sensibilité et de compétence, depuis Etre et avoir, de Nicolas Philibert. On en est donc là, et l’on comprendra aisément que ces films hagiographiques – qui revigorent à travers ces figures de saints notre croyance en l’école comme lieu des possibles – témoignent paradoxalement de ce qui y demeure encore impossible sur le plan de l’institution.
Jacques Mandelbaum