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Les fondamentaux et la dictée (dossier) : - l’étrange histoire de la focalisation (Claude Lelièvre dans le Café) - un fétichisme monarchiste et non républicain (Philippe Champy) - un retour à l’ancien régime (J.-P. Véran)- la position du SNUipp...

16 janvier 2023

L’étrange histoire de la focalisation sur la dictée

Les « cacographies » ont précédé la dictée au tout début du XIX° siècle et ont eu beaucoup de succès vers la fin du premier Empire. Il s’agissait d’ouvrages comprenant des mots, des phrases et des textes à rétablir dans leur orthographe juste. On faisait valoir que ce type d’exercice favorisait une attitude active voire réfléchie de la part des élèves plutôt que la mise en œuvre d’automatismes non éclairés. Mais, à partir des années 1830, les « cacographies » sont pourchassées (au profit de la dictée), car l’on invoque alors les risques de mémorisation de l’erreur plutôt que la correction.

L’orthographe (versus « dictée ») va devenir la discipline reine de l’École des enfants du peuple, de l’école primaire, sa distinction et sa fierté. Cela s’explique avant tout par le fait que l’orthographe devient d’abord (à partir de la Monarchie de Juillet et de la généralisation des écoles normales primaires de garçons par la loi Guizot de juin 1833), la discipline reine de la formation et surtout de la sélection des instituteurs. L’épreuve couperet du brevet de « capacité » (l’examen qui donne le droit d’enseigner dans le primaire) est une dictée où l’élimination est prononcée au-delà de trois fautes. Comme on a souvent tendance à reproduire ce qui vous a fait (surtout lorsque la sélection a été rude), on ne devrait pas être surpris que cela a anticipé le rôle de la dictée dans l’examen emblématique du « certificat de fin d’études primaires », avec son épreuve couperet : une dictée où l’élimination est prononcée au-delà de cinq fautes.

Contrairement aux idées reçues, Jules Ferry – le fondateur de l’École de la Troisième République – a condamné sans appel devant le congrès pédagogique des inspecteurs primaires du 2 avril 1880 l’importance accordée à l’enseignement de l’orthographe et à la dictée : » Il faut réduire, dit-il, la part des matières qui tiennent une place excessive : la vieille méthode grammaticale, la dictée – l’abus de la dictée – qui consument tant de temps en vain […] A la dictée – à l’abus de la dictée – il faut substituer un enseignement plus libre […]. C’est une bonne chose assurément que d’apprendre l’orthographe. Mais il y a deux parts à faire dans ce savoir éminemment français : qu’on soit mis au courant des règles fondamentales ; mais épargnons ce temps si précieux qu’on dépense trop souvent dans les vétilles de l’orthographe, dans les pièges de la dictée, qui font de cet exercice une manière de tour de force et une espèce de casse-tête chinois“.

Il s’en prend même le 31 mars 1881, lors d’un débat au Sénat portant sur le brevet (c’est-à-dire sur l’examen qui permet alors de pouvoir être instituteur), à ce qu’il appelle, » la prétention excessive de l’orthographe […] Mettre l’orthographe, dit-il, au premier plan de toutes les connaissances, ce n’est pas faire un bon choix : il vaut mieux être capable de rédiger un récit, de faire n’importe quelle composition française, dût-on même la semer de quelques fautes d’orthographe, si le travail est bien conçu et s’il sert à montrer l’intelligence du candidat“

Le ministre de l’Instruction publique Léon Bourgeois décide en 1890 de consulter les enseignants du primaire par le truchement des conférences pédagogiques (où ils ont la possibilité de se prononcer et de voter) en posant deux questions significatives : « Y-a-t-il lieu de maintenir au certificat d’études la dictée comme épreuve écrite spéciale, ou faut-il la remplacer par une épreuve de rédaction qui réunirait le double caractère de devoir de composition française et de devoir d’orthographe ? Si la dictée est maintenue comme épreuve spéciale et distincte, ne serait-il pas souhaitable de lui enlever son caractère d’épreuve éliminatoire ? » Mais les maîtres du primaire se prononcèrent massivement pour le statu quo. Et l’on en resta là.

La dictée apparaît finalement comme une réponse incontournable ; et elle est encore plébiscitée dans l’opinion française. Et cela même si elle est dans la pratique autant source de multiples problèmes qu’une réponse assurée et évidente. Dès le début de sa promotion, « la dictée » n’a cessé de poser question. Quels types de textes ? Selon quels rythmes ? Selon quelles préparations en classe ou à la maison ? Selon quels enchaînements et quelles progressions ? Des progressions (syntaxiques ou lexicales) fondées sur quels principes ? Quel rôle réserver en la matière à « la grammaire » ou plus précisément (comme l’a montré l’historien André Chervel) aux « grammaires orthographiques » ad hoc ? Qui « corrige » les « fautes » ? Et que corrige-t-on ? Il y a eu (et il y a encore) de nombreuses « valses hésitations » à propos de toutes ces questions (non exhaustives).

« Des moutons…Des moutons…étaient en sûreté dans un parc ; dans un parc (Il se penche sur l’épaule de l’élève et reprend). Des moutons…moutonss (l’élève le regarde ahuri). Voyons, mon enfant, faites un effort. Je dis moutonsse. Étaient (il reprend avec finesse) étai-eunnt. C’est-à-dire qu’il n’y avait pas qu’un moutonne. Il y avait plusieurs moutonsse » (Topaze, le héros éponyme de la pièce de théâtre de Marcel Pagnol, 1928, scène I)

Claude Lelièvre

PS : voir le chapitre 4 « La dictée au centre ? » in « L’école d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire » paru aux éditions Odile Jacob en 2022

Extrait de cafepedagogique.net du 16.01.23

 

Par-delà la dictée à la papa
« Il est nécessaire que les élèves automatisent les règles de grammaire et d’orthographe. Un entrainement régulier grâce à des exercices de toute nature, notamment de dictée brève quotidienne, est essentiel. » (B.O. 12 janvier 2023). La dictée à la papa vient de faire son énième retour politique et médiatique. Pour travailler l’orthographe, d’autres voies sont pourtant possibles, centrées sur l’apprentissage plutôt que l’évaluation, visant à faire des élèves moins des automates que des praticiens réflexifs de la langue. Ainsi de la Twictée qui déploie sa saison 10 dans plusieurs centaines de classes pour mettre en œuvre un dispositif de « dictée négociée, coopérative et interactive ». Le principe : « adapter la correspondance scolaire de Célestin Freinet aux réseaux sociaux ». Avec actuellement un nouvel épisode motivant : « Du mercredi 04 janvier au vendredi 03 février 2023, il est temps d’aller faire un tour chez notre voisin Miyazaki pour une twictée chargée de poésie et de personnages hauts en couleurs… »

Le site de la Twictée

La Twictée dans Le Café pédagogique

La dictée par Eveline Charmeux

Extrait de cafepedagogique.net du 16.01.23

 

Voir aussi dans les Cahiers pédagogiques, avril 2020

Petit cahier n°7 : La dictée, les dictées
Article publié le 21 avril 2020 |

Pour un droit d’accès aux savoirs pour tous, sans privilèges ni ostracismes !
Philippe Champy
Auteur & ancien éditeur

Loin d’être socialement neutres, les savoirs enseignés (leur sélection parmi une infinité et leur programmation) ont un rôle déterminant pour orienter les élèves par le jeu de droits d’accès hiérarchisés. Des savoirs sont survalorisés, d’autres minorés. Certains sont inaccessibles à certains élèves, d’autres exclus de l’École. Une telle « politique des savoirs » fait barrage à sa démocratisation.

[...] Le « lire, écrire, compter » (de François Guizot et de la monarchie de Juillet) est mis sur un piédestal au lieu d’être considéré comme un élément au sein d’un ensemble d’apprentissages plus vaste et plus riche, faisant sens pour les élèves en raison de ses liens avec la découverte de la vie et de la culture humaine. Dans cette perspective, d’autres savoirs et d’autres apprentissages que ceux du fameux triptyque sont indispensables pour former des enfants à l’école primaire dans l’optique d’en faire des individus épanouis et des citoyens actifs et responsables. C’est ce qu’ont rappelé en leur temps les républicains, Jules Ferry, le premier. Et ce n’est pas le moindre paradoxe de cette instrumentalisation politique typiquement électoraliste que d’attribuer une étiquette « républicaine » à une politique des savoirs qui est d’origine monarchiste et qui avait pour objectif, après les Trois Glorieuses de 1830, d’empêcher le peuple révolté de s’émanciper de l’emprise des notables et des curés[3].

Extrait de blogs.mediapart.fr du 09.01.23

Voir aussi la tribune de Ph. Champy dans Le Monde du 16.01.23->dans Le Monde https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/16/constatant-une-crise-de-l-ecole-republicaine-nous-cherchons-a-comprendre-les-echecs-des-reformes-successives_6157984_3232.html]

 

Les « savoirs fondamentaux » : la dystopie en marche
En martelant une priorité sur le lire, écrire, compter plutôt que sur la culture indispensable pour comprendre les enjeux du monde d’aujourd’hui, c’est un retour à l’école d’ancien régime et un renforcement de l’école injuste que préparent les deux notes de service publiées le 12 janvier 2023.

[...] On constate sans surprise que, dans ces notes de service, le mot « culture » est absent, comme, faut-il le préciser, le mot « socle[2] ». A quoi bon en effet se préoccuper des « langages pour penser et communiquer », des « méthodes et outils pour apprendre », de « la formation de la personne et du citoyen », « des systèmes naturels et des systèmes techniques », des « représentations du monde et de l’activité humaine », puisqu’il suffirait, en 2023, de savoir « lire, écrire et compter » ?

Il y a là une forme stupéfiante de retour en arrière, à un modèle de formation d’ancien régime, qui ne répond en rien aux besoins de sens des apprentissages pour les élèves et leurs enseignants d’aujourd’hui ni aux exigences d’une culture partagée par tous les élèves aujourd’hui. Ce modèle ne peut que priver les élèves qui en ont le plus besoin d’une entrée dans une culture dont leur milieu familial ne peut leur transmettre qu’une partie. Avec la focalisation sur les savoirs prétendument fondamentaux, au détriment, par exemple, de l’enseignement de la technologie en 6e, les « enfances de classe[3] » analysées par Bernard Lahire et son équipe de recherche vont jouer à plein pour renforcer les inégalités scolaires, culturelles et sociales. Plus que jamais, il faut lutter contre l’école injuste, qui hiérarchise les savoirs et les élèves, comme nous y invitent, pour le Collectif d’interpellation du curriculum, Philippe Champy et Roger-François Gauthier[4].

Extrait de blogs.mediapart.fr du 14.01.23

 

Une réforme du cycle 3 centrée sur les« fondamentaux » s’annonce. Alors que toutes les études montrent que l’écart de performance entre élèves issus des milieux les plus populaires et ceux des plus favorisés ne cesse de se creuser, et que cet écart est bien supérieur en France que dans d’autres pays de l’OCDE, Pap Ndiaye poursuit la même politique que son prédécesseur. Il annonce un renforcement des « fondamentaux » et crée un nouvel outil de pilotage : le Conseil académique des savoirs fondamentaux. Le SNES-FSU oppose à cette vision des apprentissages et à l’encadrement des pratiques qui en découle, une culture commune construite sur un réseau de savoirs et de compétences.Elle doit permettre aux jeunes de quitter le système éducatif avec les clés de compréhension du monde, leur permettre émancipation et participation citoyenne, et leur donner les moyens de continuer à se former.

Trois questions à Guislaine David,co-secrétaire générale duSNUIPP-FSU.
J.-M. Blanquer a fait du resserrement sur les « fondamentaux » un des marqueurs de sa politique éducative. Comment cela s’est-il concrétisé dans le premier degré ? L’accent sur « Lire, écrire, compter » a conduit à une vision très étriquée et techniciste des apprentissages en mathématiques et en français et à l’instauration de « normes nationales », avec des préconisations en terme de contenus et de temps passé sur ces apprentissages en contradiction avec les programmes. La France est le pays d’Europe qui consacre à l’école primaire le moins de temps aux autres disciplines : 42,5 % en moyenne contre 65% dans les autres pays européens. Des évaluations nationales standardisées en français et en mathématiques pilotent les enseignements, en induisant les contenus et les pratiques sur lesquels mettre l’accent pour permettre aux élèves de réussir les tests. Elles ont été accompagnées de préconisations, de guides sur la lecture, la grammaire, le vocabulaire, d’un plan français, d’un plan maths... et de formations. Quel bilan fait le SNUIPP-FSU de cette politique ? Le SNUIPP-FSU et une grande partie de la recherche et des mouvements pédagogiques s’y opposent. Les enseignant·es ont le sentiment d’être dépossédé·s de leur métier de concepteurs et conceptrices. Les élèves les plus en difficulté sont persuadés qu’ils viennent à l’école pour « lire écrire compter », les autres savent que c’est pour comprendre le monde. Quelles sont les propositions du SNUIPP-FSU ? L’ensemble des élèves doit accéder à une culture commune émancipatrice avec des contenus leur permettant de comprendre et d’agir sur le monde. Il faut créer les conditions nécessaires pour y parvenir : reprendre la main sur les évaluations, alléger les effectifs, repenser la formation initiale et continue, réactiver les RASED, le « plus de maîtres que de classes", former les professeur·es concepteurs et conceptrices de leur enseignement en exécutant·es appliquant des procédures technicistes et formatées. Cette conception de l’enseignement va à rebours des besoins. Pour mieux faire réussir tous les élèves et créer les conditions d’une école véritablement inclusive, le SNES-FSU revendique une diminution du nombre d’élèves par classe, et des moyens fléchés nationalement pour des groupes à effectif réduit.

Extrait de snes.edu du 14.01.23 (page 5)

 

Voir :
la rubrique Socle commun, Curriculum et Programmes
le MC Socle commun, Curriculum et Programmes (gr 5)

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