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Critères ethniques ou critères territoriaux ?

6 septembre 2006

Extrait du «  Figaro » du 05.09.06 : L’intégration à la française proscrit les critères ethniques

La politique actuelle est plutôt centrée sur les différences territoriales.

Quand il a annoncé la prochaine nomination d’un « préfet musulman », en souscrivant à cette logique de « discrimination positive » qui a désormais ses faveurs, Nicolas Sarkozy a, en une phrase, opéré une conversion politique et proposé une innovation conceptuelle. Jusqu’à présent, la gauche avait la mainmise sur ce débat lancé dans les années 80, à la suite de l’offensive « communautariste » de Sos-Racisme. Aujourd’hui dans l’opposition continuent de s’affronter Jean-Pierre Chevènement, défenseur sourcilleux de l’égalitarisme républicain, et certains socialistes et Verts, partisans d’un État qui conduit des actions inégalitaires, afin de répondre aux inégalités dont sont victimes certaines « communautés ».

A droite, seuls quelques rares libéraux, inspirés par le modèle américain, ont théorisé la correction des handicaps dont souffrent certaines populations par un traitement socio-économique différencié. Pour autant, à l’UMP comme à l’UDF, c’est une approche pragmatique qui s’est imposée dans le cadre classique de l’État républicain.

Les aides accordées à tel ou tel membre défavorisé de la communauté nationale sont fonction de l’évaluation sociale, économique et territoriale. Ce sont, par exemple, les zones d’éducation prioritaire ou les zones franches. Les critères ethniques et communautaires n’ont, à ce jour, jamais été retenus la Constitution ne le permet pas. Et jamais, avant Nicolas Sarkozy, la question religieuse n’avait été prise en considération. Serviteur de l’État laïc, un préfet ne peut, par définition, être musulman, juif ou chrétien. Aussi veut-on croire que le ministre de l’Intérieur entend nommer, pour ses qualités professionnelles, un préfet issu de l’immigration maghrébine...

En France, la « discrimination » est inscrite dans les textes. Un quart de l’activité professionnelle est ainsi interdite aux étrangers, ceux-ci ne pouvant être fonctionnaires ou s’installer dans tel ou tel secteur libéral, puisque ces emplois sont réservés aux nationaux. Autre spécificité française, la loi constitutionnelle interdit tout recensement démographique et études sociologiques fondés sur des critères ethniques. Les primo-arrivants sont certes classés en fonction de leurs pays d’origine. Mais leurs enfants, généralement français car nés sur le sol français, ne sont plus catalogués selon ce critère. Le voudrait-on, il serait impossible à l’Etat de conduire une « discrimination positive ethnique ».

L’« affirmative action » américaine n’est donc pas transposable. Depuis les années 60, ce pays, où la « race » de chacun est répertoriée, réserve aux Noirs les plus méritants des places dans les universités et la fonction publique. A l’origine, l’« affirmative action », sous-tendue par le concept chrétien de « repentance », rappelait la dette contractée auprès des descendants d’esclaves. La politique de « discrimination positive » qui en a découlé s’est au fil des ans appliquée aux Asiatiques et Hispaniques, jusqu’à ce que le système montre ses limites (voir ci-contre).

Loin du modèle anglo-saxon, la France s’est peu à peu résolue à conduire des politiques ciblées sur certaines parties du territoire. Conçus à la fin des années 80 par Lionel Jospin, les établissements classés en ZEP, les zones d’éducation prioritaire, bénéficient de moyens matériels et pédagogiques supplémentaires. Au début des années 90, le gouvernement Juppé a créé des zones franches et consenti des dérogations fiscales aux entreprises s’implantant dans ces mêmes quartiers « difficiles ». Les actions de « rénovation urbaine » menées par l’actuel ministre de la Ville, Jean-Louis Borloo, sont également concentrées dans les banlieues. Enfin, l’Institut des sciences politiques de Paris, organisme privé, a poussé plus loin l’expérience, en réservant un quota de places à des élèves sélectionnés dans certaines académies.

Si les populations bénéficiaires sont très majoritairement issues de l’immigration, aucun critère ethnique ou communautaire n’est retenu. Si les handicaps sociaux sont à la base du raisonnement, rien n’empêche un fils de cadre, pour peu que son établissement soit en ZEP, d’intégrer Sciences po. Sans doute joue-t-on quelque peu hypocritement sur les mots, dans un pays qui ne reconnaît qu’une seule communauté, la communauté nationale. Mais, si tant est qu’il existe une « discrimination positive à la française », c’est au principe d’égalité républicaine entre les territoires qu’elle répond.

Thierry Portes

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Extrait de « Libération » du 05.09.06 : La première étude sur les enfants d’immigrés fait polémique

Des démographes ont obtenu une autorisation inédite en France : celle de mener une étude, et donc de créer un fichier, sur des personnes dont un parent est venu de Turquie ou du Maroc.

« L’objectif de notre enquête n’est absolument pas de renforcer les représentations négatives à l’égard des groupes enquêtés, ni de faire des fichiers, mais d’améliorer les connaissances sur les conditions d’existence et de vie, et sur les choix et les projets » de certains descendants d’immigrés, plaide Patrick Simon, chercheur à l’Institut national d’études démographiques (INED). Au cœur de l’été, l’information était passée inaperçue : le 18 juillet, le ministère de l’Education nationale a autorisé l’INED à mener une étude nécessitant un traitement informatisé, auprès de personnes nées en France dont au moins un parent est originaire du Maroc ou de Turquie. La publication, dimanche, de cette décision au « Journal officiel » a provoqué lundi un début de polémique. Légalement, en effet, la constitution de fichiers « ethno-raciaux » est interdite en France. Si des chercheurs comme Patrick Simon se sont prononcés en faveur d’un « comptage ethnique » affirmant vouloir ainsi lutter contre les discriminations, des associations de défense des droits de l’homme s’y opposent au motif que de tels fichiers « n’ont jamais servi à combattre la discrimination raciale mais toujours à l’amplifier ».

Pour pouvoir lancer son enquête, l’INED a également eu besoin du feu vert de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil). Et pour arracher cet accord, cet institut a dû plaider sa cause. « C’est une enquête européenne coordonnée par un institut néerlandais qui sera menée dans huit pays avec les mêmes questions et le même protocole, et auprès des mêmes populations : des descendants d’immigrés », explique Patrick Simon. Objectif : « mesurer l’intégration des secondes générations turques et marocaines et contribuer à remédier ainsi à l’insuffisance actuelle de données statistiques dont souhaitent disposer les pouvoirs publics pour définir et mettre en œuvre des politiques en matière d’intégration », expose le ministère de l’Education nationale. « De nombreux pays européens traversent les mêmes cycles : ils ont connu une immigration de main d’œuvre importante dans les années 30, puis une période de regroupement familial », poursuit le chercheur. « Maintenant, la grande question est : que deviennent les descendants de ces immigrés. Est-ce qu’ils entrent de plain-pied dans la société ? Est-ce qu’ils se singularisent ? Dans les différents pays, les modèles d’intégration ne sont pas les mêmes, les politiques d’intégration ne sont pas les mêmes. Et cela a probablement des conséquences sur la situation sociale des immigrés et leurs perspectives. C’est ce que nous cherchons à mesurer. »

Au départ, l’accord de la Cnil n’était pas garanti. « Nous avons été à deux doigts d’être refusés », reconnaît Patrick Simon. La Commission aurait tiqué sur la méthode d’échantillonnage : les personnes interrogées seront sélectionnées de manière aléatoire dans l’annuaire téléphonique selon la consonance de leurs noms et prénoms, lesquels seront ensuite analysés par des linguistes. « Aux Pays-Bas, les registres de population comportent des informations sur le pays de naissance des individus et de leurs parents. En France, cette information n’existe pas », explique Patrick Simon. « Du coup, on a pas mal réfléchi et la solution trouvée, qui a l’avantage d’être pragmatique, a été de faire l’enquête sur la base de l’annuaire avec une reconnaissance onomastique de noms et prénoms probablement d’origine turque et probablement d’origine maghrébine. » L’INED a présenté ses arguments, et la Cnil a donné son feu vert. « Elle a décidé qu’au vu de tous ces éléments, que l’intérêt public était en jeu, que les résultats de cette enquête avaient de l’importance dans le débat actuel, et que l’INED offrait des garanties de sérieux et de confidentialité », poursuit le chercheur.

Lundi, deux associations ont réagi. Samuel Thomas, vice-président de SOS-Racisme, plutôt favorablement : « Nous ne sommes pas défavorables à la réalisation d’études mettant à jour certains processus discriminatoires, ce que nous refusons c’est la constitution de fichiers ». Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) a exprimé en revanche « son inquiétude et sa plus grande réserve », estimant que « ce type de démarche, quelles que soient les précautions prises, participe à l’entretien de préjugés vis-à-vis de certaines populations tout en n’offrant aucune garantie dans le traitement de l’échec scolaire ».

Pour cette association, « l’interprétation ethnique, se substituant à une analyse sociale, présente le danger de racialiser certaines données », alors qu’il faudrait au contraire chercher « des solutions pour éviter les discriminations et les faire disparaître sans ghettoïser les élèves et étudiants ».

Catherine Coroller

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