> III- INEGALITES : Mixité sociale, Pauvreté, Ethnicité, Laïcité... > Mixité sociale, Carte scolaire/Sectorisation (hors EP) > Mixité soc., Carte/Sectorisation (Positions de chercheurs) > Mixité sociale ; un plan avorté (Le Café). Un entretien avec Choukri ben Ayed

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Mixité sociale ; un plan avorté (Le Café). Un entretien avec Choukri ben Ayed

12 mai 2023

Mixité : un plan avorté

Le Plan mixité, c’était la trace que devait laisser Pap Ndiaye de son passage à la rue de Grenelle avait-il dit. C’était le projet qu’il déclarait porter depuis le début de son mandat. Finalement, le 11 mai, le Ministre n’avait rien d’important à annoncer. Après un terrible teasing autour d’un plan ambitieux, c’est par le biais d’un court sms envoyé aux rédactions que le plan – ou plutôt l’absence de plan a été annoncée par le cabinet ministériel.

Ce jeudi matin, Pap Ndiaye a bien réuni les recteurs et les Dasen pour parler mixité mais pas d’annonce de plan. Le but de cette rencontre était « de leur fixer comme objectifs d’accroître la mixité sociale dans les établissements publics en réduisant les différences de recrutement social entre établissements de 20% d’ici à 2027 » indique le cabinet du Ministre. Les grandes annonces tant attendues se résumeront à la création « avant l’été d’une instance académique de dialogue, de concertation et de pilotage de la mixité sociale et scolaire, associant les collectivités territoriales, les représentants des établissements et des parents d’élèves, pour partager les constats et préparer les actions adaptées à chaque territoire pour faire progresser la mixité ». On est loin du plan ambitieux qui semblait tant tenir à cœur à Pap Ndiaye.

Des annonces sans cesse repoussées

Comment expliquer ce revirement ? Le Plan mixité, c’est le dossier que portait Pap Ndiaye depuis des mois. Invité le 25 novembre dernier par le Café pédagogique à une table ronde sur l’innovation, il annonçait déjà vouloir faire « des propositions volontaristes en matière de mixité et de lutte contre les assignations sociales dans quelques semaines ». Les semaines sont devenues des mois. Initialement prévues le 1er mars, les annonces du plan ont été reportées au 20 mars puis au 11 mai, le gouvernement étant empêtré dans la réforme des retraites. Le cabinet du Ministre a finalement annoncé que ce serait pour le jeudi 11 mai.

Pourtant Pap Ndiaye semblait avoir travaillé le dossier. Le 22 février dernier sur France Culture, il en dévoilait quatre pistes de travail : la sectorisation – en se référant au cas parisien et à la réforme d’Affelnet, l’implantation des sections d’excellence dans les établissement défavorisés, l’élargissement des binômes de collège – à l’instar de l’expérimentation portée par Najat Vallaud Belkacem à Paris, et l’élaboration d’un pacte avec le privé. Des pistes que le Ministre n’a eu de cesse de vanter dans ses différentes prises de parole, que ce soit dans la presse, à l’Assemblée ou au Sénat.

La mixité scolaire plombée par la pression des Républicains ?

Mais que s’est-il donc passé ? Difficile de ne pas voir dans ce recul un calcul politique. Le gouvernement est loin d’avoir la majorité au sein de l’Assemblée comme l’a mis en évidence son utilisation du 49-3 lors de la réforme des retraites. Il n’a de cesse de faire du pied à la Droite, aux Républicains, pour essayer de gouverner. Gérard Larcher n’avait-il pas averti que toucher à l’enseignement privé sous contrat, c’était rallumer « la guerre scolaire » au micro de Franceinfo le 26 avril dernier ? Difficile de ne pas faire le lien.

Au Ministère, on temporise. On assure qu’il y aura bien un protocole de signé avec le privé et qu’il sera dévoilé le 17 mai. Mais aura-t-il aussi peu d’ambition que ce qui a été annoncé jeudi. Malheureusement, tout porte à le croire malgré les propos tenus par le Ministre devant les sénateurs le 1er mars dernier. « L’enseignement privé sous contrat participera à l’effort de mixité : sans cela, notre politique de mixité sera vouée à l’échec » affirmait-il au Sénat en avançant la possibilité de « moduler la part variable des subventions au privé sous contrat, comme l’ont fait le département de la Haute-Garonne et la ville de Paris ». Moduler les moyens « en fonction de l’engagement des établissements en faveur de la mixité sociale et scolaire » et fixer un quota d’élèves boursiers faisaient aussi partie des pistes présentées.

L’enseignement privé sous contrat mène le jeu

Mais le secrétaire général de l’enseignement catholique privé sous contrat a prévenu et n’a eu de cesse de marteler qu’il n’y aura aucun quota, pas de rattachement à la sectorisation et qu’il ne faut pas toucher aux moyens – garantis par la loi Debré selon lui. « Sur les moyens d’enseignement, on ne peut descendre en dessous du seuil du contrat d’association. Sur les forfaits, comme Paris ou Toulouse, pourquoi pas mais avec toujours l’inquiétude que si des malus trop importants sont pratiqués, cela se répercutera sur les familles, ça renforcera la non-mixité sociale » prévenait-il dans une interview accordée au Café pédagogique. Et même si finalement le futur protocole affiche des mesures ambitieuses, il ne pourra être imposé à tous les établissements privés catholiques sous contrat, le secrétaire général ne pouvant compter que sur son pouvoir de persuasion comme il l’admettait lui-même lors de cette interview.

Pap Ndiaye a donc fini par entrer dans le jeu politique. Pour participer à ce gouvernement, il faut savoir ravaler son chapeau semble-t-il.

Lilia Ben Hamouda

Extrait de cafepedagogique.net du 12.05.23

 

Choukri ben Ayed : « Les ordres venus d’en haut étaient plus forts que les alertes venues d’en bas »

Choukri Ben Ayed, chercheur spécialiste des questions de mixité scolaire, réagit à l’abandon du plan mixité par le ministre de l’Éducation nationale. Un abandon d’autant moins compréhensible selon le chercheur qu’il est le fait d’un ministre pas comme les autres. D’un ministre issu lui aussi du milieu scientifique, un ministre qui sait l’importance de la mixité dans la lutte contre les déterminismes.

Une image contenant Visage humain, personne, habits, sourire Description générée automatiquementFinalement, aucune annonce pour le grand Plan mixité. Qu’est-ce que cela signifie selon vous ?

C’est bien évidemment la stupéfaction ! On peut prendre le choses de deux manières. Soit que concerter localement c’est bien et imposer d’en haut c’est contreproductif. Soit considérer que cette vision par le bas est hyper documentée depuis 2015 et qu’il n’est pas nécessaire de tout recommencer au vu des connaissances produites. On pourrait penser que pour un ministre lambda ce n’est pas facile à saisir mais là nous avions un collègue, venant de la communauté scientifique, travaillant sur la discrimination et la cause noire en France. Comment aurions pu nous imaginer son indifférence à la mixité sociale ? Qu’il ne discute avec aucun collègue, avec aucune organisation collégiale. Nous lui avons fourni des actes, des préconisations. Aucun retour. Depuis 2015, nous travaillons sur les territoires, nous échauffons une politique nationale de mixité sociale livrée presque clés en mains au Ministre. Depuis quoi ? Le silence. La fermeture du ministère sur lui-même. Cela prouve au moins une chose, faire défendre les intérêts des dites « minorités » par l’un de ses membres n’a aucune plus-value voire peut-être pire. Finalement, il y a bien un changement de style mais nous avons un scénario à la Jean Michel Blanquer : pas de sujet, fichez le camp, y’a rien à voir. Est-ce digne du parcours de ce prestigieux collègue ? J’en doute. La politique décidément broie les personnes. Les ordres venus d’en haut étaient plus forts que les alertes venues d’en bas. Chacun sa conscience…

Quelles sont les mesures qu’auraient pu prendre le Ministre pour un Plan mixité ambitieux ?

Il y a une certaine lassitude à répondre à cette question. Tout est documenté y compris dans l’historique des pages du café et notamment dans les actes des rencontres nationales de Toulouse. Chercheurs, acteurs de terrains, élus nous avons fait beaucoup de choses depuis 2015, depuis l’impulsion voulue par Najat Vallaud Belkacem. Nous sommes las de toujours tout répéter, face à un ministre qui feint de reconnaitre jusqu’à notre existence. Les lecteurs du café pédagogique semblent plus documentés que le Ministre, inutile de lui faire des rappels, il n’a qu’à jeter un œil aux archives du café pédagogique.

Le protocole avec l’enseignement privé devrait être annoncé la semaine prochaine. Le secrétaire général de l’enseignement catholique annonce dès à présent qu’il n’y aura ni quotas ni sectorisation. Est-ce acceptable ?

Là encore, je me suis déjà exprimé longuement dans le café pédagogique sur l’enseignement privé, je ne vais pas reprendre tous mes arguments. Ce n’est pas d’un protocole dont nous avons besoin mais d’une politique publique. Un protocole imposé par l’enseignement privé c’est tout simplement contraire aux valeurs de la république. Une mixité sociale sous conditions strictes de l’enseignement privé : qui peut y croire ?

Plus globalement en matière de mixité sociale avec la nomination de ce ministre atypique et méritant à bien des égards, nous pensions avoir un bon allié pour construire des politiques publiques dans l’intérêt supérieur de la République. Il se révèle qu’il devient un obstacle. Pas de sa propre personne, mais du contexte politique dans lequel il évolue plus généralement et qu’il a finalement fini par épouser.

Aujourd’hui, la communauté éducative doit être bien triste car depuis 2014 nous avions fini par convaincre que l’école doit mettre au centre de ses préoccupations les plus faibles et les plus fragiles. Le plus dur était fait et avec conviction. Ce jour, au lendemain d’annonces ministérielles sans conférences de presse, ni dossier de presse, les théories de Pierre Boudieu sur la reproduction sociale vont être confortées. Il ne pensait peut-être pas de son vivant qu’un de ses proches s’en rendrait complice et même proactif. Quel triste monde. Permettez-moi d’avoir une pensée pour les enfants des « quartiers » mis au banc une nouvelle fois de la République.

Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda

Précédents entretiens dans le café pédagogique :

Le 6 mars

Le 13 mars

Extrait de cafepedagogique.net du 12.05.23

 

Voir le détail de la sous-rubrique Mixité sociale, Carte scolaire/Sectorisation (hors EP)

Répondre à cet article