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"Reprendre en mains l’école", "tout désétatiser" (confidences de ministres et de proches de l’Elysée au Figaro). Commentaires : Le Café, Philippe Watrelot, Roger-François Gauthier

11 juillet 2023

Additif du 12.07.23

Autoritarisme présidentiel et logiques privées : jusqu’où dans l’obstination ?

Pour Roger-François Gauthier, inspecteur général honoraire, spécialiste d’éducation comparée, le gouvernement qui s’oriente vers une logique « néo-libérale » en matière d’éducation, « c’est vouloir régler des problèmes complexes par une politique de l’encre de seiche, cherchant à désemparer les acteurs, à oublier l’histoire et à fuir d’importantes responsabilités ». Il livre son analyse aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique.

Les temps sont incertains pour la politique éducative. Un ministre qui était venu pour réparer les excès de son prédécesseur peut-être déjà partant, et des propos qui circulent, qui montreraient notamment le souhait du pouvoir présidentiel de s’investir et de décider plus directement en matière d’éducation.

Ce n’est pas nouveau sous la Vème République, car De Gaulle ou Giscard d’Estaing sont intervenus en la matière d’une façon personnelle et profonde, que les historiens nous ont permis de mieux cerner, si on pense notamment aux travaux de Claude Lelièvre ou d’André Robert. Cela mérite donc toute attention.

Ce qui est nouveau, c’est le contexte idéologique dans lequel cette question se trouve posée : en effet, l’Ecole devrait selon divers discours qui circulent être à la fois « renationalisée », c’est-à-dire davantage pensée et organisée en référence aux besoins et projets de la nation, et « désétatisée », c’est-à -dire pensée et organisée en référence à des logiques de privatisation, qui abandonneraient des points durs de définition de l’éducation nationale, comme par exemple le recrutement des personnels par concours pour qu’ils y fassent carrière.

Marcher de façon aussi décomplexée que ce que prônent certains discours vers une logique de désengagement de l’Etat , dans la logique « néo-libérale », en matière d’éducation c’est étrangement vouloir régler des problèmes complexes par une politique de l’encre de seiche, cherchant à désemparer les acteurs, à oublier l’histoire et à fuir d’importantes responsabilités. Et cela procède d’une analyse bien incomplète de la situation de l’Education nationale.

L’Ecole en France n’est en effet pas rien pour la République, et certains de ses marqueurs, comme le statut de ses enseignants, ou de la définition nationale des programmes, ainsi que d’examens garantis par l’Etat font sans doute partie de ce qui en a assuré, pendant des décennies et surtout d’une façon qui était claire à tous et faisait consensus, la valeur, restée incontestée jusqu’à il y a quelques années. Attaquer cela est dangereux car il s’agit de repères sociétaux importants, dont bien des pays sont dépourvus.

Les gouvernants prêts à brader cela auront beau jeu ensuite de vouloir faire enseigner aux élèves les « valeurs de la République » quand ils auront largement contribué à les saper.

A l’origine pourtant des décisions envisagées existent des problèmes réels de l’éducation nationale qu’il ne s’agirait surtout pas de nier comme ils l’ont été trop longtemps. L’Ecole de France est injuste et inadaptée, la démonstration a été faite tant de fois qu’il est sans doute indispensable de soulever de grandes questions autour du sens de « national », quand l’adjectif est accolé à « éducation », comme du sens de l’action de l’Etat en cet immense domaine.

Sait-on que le sens national de l’Ecole n’est pas un problème seulement français, mais que la question a été traitée ailleurs d’une façon bien étrangère à nos logiques : en beaucoup de pays existe un référentiel fort de valeurs et de finalités, dont la force-même donne paradoxalement aux acteurs une grande liberté d’agir sous son ombrelle. Ce sont par exemple tous ces pays où les « programmes » d’enseignement sont à la fois plus clairs sur les finalités et bien moins détaillés et pointillistes au niveau national, laissant aux acteurs locaux l’ajustement et l’enrichissement qui ne peuvent être construits qu’en référence à un contexte, de société, de vie, de ressources et de projets.

Or en France ces deux choses manquent. Premièrement, il n’existe pas de texte de référence, à haut rang juridique, qui définirait les finalités de cette éducation nationale, comme cela existe en bien des pays. Cela correspond sans doute en France à l’idée que tout cela peut rester « implicite », ou qu’il n’est pas lieu d’en discuter. Et cela laisse aux ministres successifs toute liberté pour jouer avec des décisions qui ne sont en effet rattachées à aucune finalité supérieure et permanente : une partie du désarroi vient de là : on ne sait pas où l’Ecole va.

Ensuite, il existe une peur injustifiée du « local », certes liée à l’histoire, mais qu’il convient de dépasser. L’enseignement du peuple s’est bâti autour d’écoles communales et donc d’un niveau « local » qui, dans un cadre national ferme sur ses principes et finalités, a donné d’excellents résultats, y compris en termes de développement démocratique. La massification de l’Ecole initiée dans les années 1960, notamment au niveau des collèges, s’est en revanche faite « hors sol » : bâtiments conçus à Paris, enseignants nommés à l’échelle nationale étrangers aux populations qu’ils rencontraient, programmes et examens nationaux impératifs dans les moindre détails. Quand la collectivité départementale a été mise à contribution, ce fut pour payer, non pour créer un lien de territoire allant jusqu’à ce qui s’enseigne. Déresponsabilisant tous les acteurs, enseignants, familles, élus, responsables associatifs ou culturels.

Ce n’est que dans ce lien entre un échelon national bien plus assuré et des échelons locaux bien plus valorisés que peuvent se résoudre les dilemmes de l’éducation nationale en France. Il y faudra du temps et de la résolution, mais il y aura au bout du compte des élèves qui se trouveront mieux que dans l’actuelle Ecole injuste et inadaptée et des enseignants qui seront rendus pleinement à une fonction à la fois régalienne et d’intellectuels au service.

Les budgets de l’éducation ne devront de leur côté plus être pensés comme ceux d’un service public qui coûte de l’argent, mais comme ceux d’une mission majeure bénéficiant à tous, et réglant certaines des difficultés à vivre que la communauté nationale vient une nouvelle fois d’exhiber.

Roger-François Gauthier

Contre l’École injuste

Extrait de cafepedagogique.net du 12.07.23

 

L’Éducation nationale à l’Élysée

Dans un article publié dans les colonnes du Figaro le 8 juillet, on apprend qu’à l’Élysée on veut reprendre en main le dossier de l’Éducation nationale en le renationalisant. On réfléchirait aussi à la désétatisation de l’École et à la fin du concours de recrutement des professeurs… L’article qui se fonde sur des confidences de ministres et proches du chef de l’État sonne le glas du statut des professeurs mais aussi de Pap Ndiaye. Pour le remplace, plusieurs noms circulent déjà … aucun de rassurant pour le monde enseignant.

Dans cet article, on apprend que l’Éducation nationale est « un naufrage », que « le corps enseignant est malade » et que c’est la fin de l’occupant actuel de la rue de Grenelle… Plusieurs noms circulent : Édouard Philippe, « l’ancien premier ministre publiera justement un livre à la rentrée sur l’éducation. « S’il n’y avait qu’une option pour faire revenir Édouard Philippe au gouvernement, ce serait celle-là, observe un ministre. Et puis ça aurait de la gueule ». Sans compter que cela permettrait aussi de neutraliser un candidat en puissance pour la prochaine élection présidentielle en le cantonnant à un seul sujet ». Autres noms évoqués, Jean Castex, « profil plus rond pour négocier avec des syndicats qui ne manqueront pas de se braquer », Olivier Véran, Gabriel Attal – qui s’était déjà positionné en 2022 ou encore Aurore Bergé, qui avait déclaré être intéressée par le poste de la rue de Grenelle dans une interview.

L’Éducation nationale : nouveau dossier régalien ?

Le suspense reste pourtant entier. Le prochain ministre de l’Éducation nationale devra accepter que les décisions de son portefeuille, c’est au palais de l’Élysées qu’elles se prennent. Un des proches cité par le Figaro le confirme d’ailleurs. En effet, le chef de l’État souhaite « intégrer à la liste des sujets régaliens, au même titre que la sécurité, la justice ou la défense » l’Éducation nationale.

Mais n’est-ce pas déjà le cas ? Depuis son installation à la rue de Grenelle, Pap Ndiaye n’a pas décidé grand-chose. Revalorisation, Pacte, annonces faites à Marseille (que le ministère semblait découvrir dans la presse)… c’est de l’Élysée que semble gérer le dossier de l’Éducation national. Mais Emmanuel Macron va plus loin cette fois-ci selon les affirmations de plusieurs de ses proches indique le Figaro. « Il y a une volonté du président de renationaliser son plan pour l’Éducation… Cela se traduit concrètement par une reprise en main du sujet, nouveau domaine réservé du chef de l’État, au même titre que les relations internationales ou l’armée ».

Les motifs d’une telle reprise en main ? Les émeutes. Le Président estime qu’elles sont de la responsabilité de l’École qui aurait failli dans sa mission. « L’école doit désormais contribuer puissamment à la formation républicaine » indique un ministre. « l’Éducation nationale est un naufrage. Il va falloir se montrer très radical. Il faut tout désétatiser. Le drame de l’Éducation nationale, c’est que lorsque le président de la République ou la première ministre dit quelque chose, les syndicats n’en ont rien à faire. Ils empilent les circulaires en attendant la suite. Il y a un vrai sujet d’exécution en France. Or, sans exécution, la parole publique est discréditée… Le corps enseignant est malade. Il faut lui redonner de la vigueur et du prestige ».

Là où d’autres auraient repris le dossier de l’Éducation prioritaire, laissé de côté depuis 2017, le Président semble qu’il faille trouver la solution dans l’autorité…

Et comme mater les professeurs ne s’avère pas si simple, ben on fait le choix d’accélérer la casse du statut des enseignants. Et plus vite que prévu. Le pacte ne suffit plus, le gouvernement accélérerait la libéralisation, s’inspirant très largement de la Cour des Comptes et du Conseil Supérieur des Programmes. La reprise en main de l’Éducation nationale passerait par la « fin du concept du concours de recrutement par concours pour un emploi à vie. Ou (le fait) de permettre aux enseignants de n’exercer leur fonction que pour une durée limitée en leur garantissant des formations pour changer de carrière s’ils le souhaitent » écrit le Figaro qui estime le sort de Pap Ndiaye, ministre « transparent depuis sa nomination » scellé. « Pour rebâtir l’éducation, monument français menacé d’effondrement, et dont personne n’imagine qu’il puisse être reconstruit en quatre ans, le chef de l’État cherche un profil à la Jean-Louis Georgelin, ancien général et maître d’œuvre de la reconstruction de Notre-Dame de Paris ».

Cela fait des semaines que le remaniement est évoqué. Pap Ndiaye devrait être un des premiers sacrifié au profit d’une alliance avec Les Républicains (LR) et l’extrême-droite. Si le Président veut continuer de gouverner, il lâchera son ministre, un ministre qui ne semble avoir été nommé que pour calmer le jeu avec le monde enseignant après Blanquer. Hélas, on ne se souviendra pas de grand-chose de l’action de Pap Ndiaye. Même le dossier de la mixité sociale, dont il semblait vraiment vouloir se saisir, a fait pschitt.

Lilia Ben Hamouda

Extrait de cafepedagogique.net du 10.07.23

 

« Reprise en main » de l’École ?
Philippe Watrelot
Ancien professeur de Sciences économiques et sociales, formateur, militant pédagogique,

Un article du Figaro du 8 juillet se fait l’écho de propos du Président de la République où il dit son intention de « durcir l’Éducation nationale pour remettre de l’autorité à l’école » pour reprendre le titre de la publication. Ou comment cumuler erreur de diagnostic avec le fantasme d’un pouvoir vertical dans l’EN pour aboutir à malmener encore plus l’École, les élèves et les enseignants…

Tout le reste de l’article du Figaro est du même tonneau. On y parle de faire de l’Éducation un « sujet régalien » (ie contrôlé par le Président…). On y rapporte aussi les propos d’un ministre : « L’Éducation nationale est un naufrage, Il va falloir se montrer très radical. Il faut tout désétatiser. Le drame de l’Éducation nationale, c’est que lorsque le président de la République ou la première ministre dit quelque chose, les syndicats n’en ont rien à faire. Ils empilent les circulaires en attendant la suite. Il y a un vrai sujet d’exécution en France. Or, sans exécution, la parole publique est discréditée. » En filigrane de ce papier, le départ de Pap Ndiaye semble acté : pas assez présent et visible, pas assez préoccupé par l’autorité… On fantasme sur un homme à poigne du type du Général Georgelin qui pilote à marche forcée la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame.

Erreur de diagnostic [...]

Extrait de blogs.mediapart.fr/phlippe-watrelot du 09.07.23

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