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Extrait de « Figaro » du 30.09.06 : Hakim, diplômé de Sciences po promotion ZEP
Les premiers diplômés issus de la filière réservée aux brillants lycéens des quartiers difficiles ont réussi leur entrée sur le marché du travail. Certains ont choisi de poursuivre leurs études.
Ils avaient fait leur rentrée sous les flashs, en septembre 2001. Les dix-sept étudiants venus de lycées situés en zones d’éducation prioritaires (ZEP) ont obtenu leur diplôme de Sciences-po en juin dernier et voudraient maintenant intégrer le marché du travail dans l’anonymat, las de devoir sans cesse prouver que des enfants des quartiers difficiles peuvent réussir. Cinq préparent les concours de la haute fonction publique, à l’instar d’Hakim. Les autres sont dans la banque d’affaires ou l’industrie. Ils n’ont eu aucun mal à trouver du travail, assure Cyril Delhay, responsable du programme ZEP à Sciences po (1). Certains étaient même spécialement courtisés, au nom la « diversité » en entreprise. Cette année, la filière ZEP de Sciences-po accueille 75 étudiants sur plus de 500. Toutes les grandes écoles ont créé des dispositifs destinés aux élèves de milieux défavorisés.
Hakim Hallouch est l’un de ces élèves de ZEP débarqués rue Saint-Guillaume, au coeur de Saint-Germain-des-Prés, il y a cinq ans, sans passer par la case concours. L’arrivée de ces étudiants recrutés sur simple entretien avait laissé craindre le pire aux partisans de l’excellence académique. On allait créer une voie de recrutement au rabais pour minorités, disaient les détracteurs de cette nouvelle filière. « A posteriori, toutes ces polémiques paraissent tellement absurdes, sourit Hakim. Avant de vouloir m’embaucher, L’Oréal ne m’a pas demandé par quelle porte j’étais entré, mais si j’étais créatif. » Cela tombe bien, il l’est. Pour l’entretien, le jeune homme de 22 ans a apporté trois maquettes de parfums, noms, genre, public cible, campagne de lancement... Et il est reparti avec une proposition d’emploi.
Mais le rêve d’Hakim, c’est plutôt « de représenter la France à l’étranger ». Aujourd’hui, le jeune homme prépare le concours du Quai d’Orsay. À sa maîtrise de l’arabe et du turc, il veut ajouter le persan puis l’hébreu, afin de dominer « les quatre langues principales de l’Orient ».
Toujours studieux
Aurait-il eu la même perspective sans le coup de pouce de Siences-po ? « J’aurais réussi de toute façon, assure-t-il, mais sans Sciences-po, cela aurait été beaucoup plus laborieux. Mes bons résultats ne m’auraient pas conduit spontanément dans une grande école. »
Sans rage, mais avec la détermination d’un fils qui a vu sa mère, institutrice en Algérie, s’user dans des petits boulots en scandant : « On n’a rien sans rien. Tu seras médecin », Hakim, toujours studieux, a affronté sans broncher les railleries de ses camarades de la cité de Saint-Ouen. « Quelqu’un de la même cité qui réussit leur renvoie une image qu’ils n’ont pas envie de voir. » En banlieue, dit-il, la culture de l’échec est dominante. Les succès sont des exceptions, pas des leçons. « Moi, j’avais décidé que je n’irais pas à la fac, car on sait que cela ne mène nulle part. »
À Sciences-po, Hakim a découvert qu’il était « pauvre » (« Pour moi, les chaussures les plus chères, c’était les Nike ») mais qu’entre personnes cultivées, on se comprend. Il se croit désormais à l’abri du racisme : « Sciences-po, c’est un label. »
(1) Promotion ZEP, Cyril Delhay, Hachette Littératures, 262 pages, 19 euros.
Cécilia Gabizon
Extrait de "Alternatives économiques" du 5 octobre 2006 : Promotion ZEP. Des quartiers à Sciences Po
par Cyril Delhay
Ed. Hachette littératures, 2006, 262 p., 19 euros.
Verre à moitié plein ou verre à moitié vide ?
On se rappelle les vives controverses sur le lancement, en 2001, des conventions d’éducation prioritaire (CEP) par Sciences Po en direction des jeunes des quartiers ZEP. Discrimination positive ou égalité républicaine ? Le débat n’est toujours pas tranché. Cheville ouvrière de cette initiative, Cyril Delhay, lui-même professeur d’histoire à la Courneuve, nous présente bien sûr la version verre à moitié plein. Avec moult détails sur les batailles dans l’arrière-cour et sur les motivations des acteurs : celles des jeunes des quartiers, les siennes, présentées avec une grande franchise, et celles de son mentor, le grand manitou de l’expérience, Richard Descoing, le directeur de Sciences Po.
Pour connaître le verre à moitié vide, il fallait regarder le 6 septembre le dossier de la chaîne Téva consacré à ces jeunes en CEP : on y comprenait que l’ouverture des élites ne va vraiment pas de soi dans une France en pleine transformation, où les nouveaux Bretons s’appellent Salem ou Nadia. Sur ce plan, Cyril Delhay arrive à nous convaincre que l’initiative a en grande partie atteint ses objectifs : 250 jeunes des quartiers sont entrés à Sciences Po depuis 2001 et, surtout, le thème de la diversité et du recrutement méritocratique des élites françaises s’est imposé un peu partout en quelques années.
Reste la masse des autres jeunes, des quartiers et d’ailleurs. L’approche élitiste rencontre ici ses limites. Espérons que le même esprit d’innovation, la même énergie s’imposent pour eux. C’est déjà le cas dans de très nombreux établissements où des enseignants plus anonymes font preuve d’une grande imagination. L’expérimentation menée à la rentrée dans quatre lycées de Seine-Saint-Denis avec Sciences Po va dans le même sens. Souhaitons-leur bonne chance.
Note de lecture par Jean-Joseph Boillot (n° 251)
Rappel : l’article de "Ouest-France"