> III- INEGALITES : Mixité sociale, Pauvreté, Ethnicité, Laïcité... > Mixité sociale, Carte scolaire/Sectorisation (hors EP) > Mixité soc., Carte/Sectorisation (Positions de chercheurs) > Un entretien avec Marco Oberti, auteur de "l’Ecole dans la ville", sur la (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Un entretien avec Marco Oberti, auteur de "l’Ecole dans la ville", sur la carte scolaire

9 octobre 2006

Extrait du « Monde » du 08-09.10.06 : Le jeu faussé de la carte scolaire

La carte scolaire focalise de plus en plus les mécontentements : de nombreux parents se détournent du collège de leur secteur. Ségolène Royal suggère d’en revoir les règles, tandis que Nicolas Sarkozy veut la supprimer. Faut-il la réformer ?

Oui, sans aucun doute. Non seulement elle ne garantit plus la mixité dans certains secteurs, mais elle ne s’applique pas de façon équitable à tous. Elle enferme les catégories les plus précaires dans des lieux déjà très stigmatisés, alors que les classes supérieures font leur choix. Il faut revoir le découpage des secteurs, l’appliquer au secteur privé sous contrat et garantir la même offre dans tous les collèges.

Qui évite l’école ou le collège de son secteur ? Les classes moyennes sont souvent désignées comme celles qui contournent le plus la carte scolaire...

Je me suis toujours méfié du discours ambiant, qui présente les classes moyennes comme les principales responsables de l’évitement scolaire. En effet, une analyse fine du terrain réfute cette thèse, soutenue aussi bien par certains responsables politiques que par certains chercheurs en sciences sociales. Mon travail de recherche, dans les Hauts-de-Seine, montre que les classes supérieures sont, de loin, les plus grandes adeptes de cette pratique. Même lorsqu’elles résident dans des communes favorisées. Dans ces quartiers, le pourcentage des enfants de cadres qui fréquentent un autre collège que celui de leur commune peut aller jusqu’à 60 %. Il est de 28 % au maximum pour les enfants de professions intermédiaires, 21 % pour ceux d’employés et 18 % pour ceux d’ouvriers.

Les classes moyennes suivent donc un autre raisonnement ?

C’est une erreur de penser que tous les parents s’inscrivent dans une quête de l’élitisme. Tout le monde ne vise pas Centrale ou Polytechnique ! La plupart recherchent avant tout un milieu sûr et serein et souhaitent que leurs enfants fréquentent une école ou un collège qui leur assure une bonne qualité scolaire.
De plus, en ville, la majeure partie de la population vit dans des espaces mixtes. Notre enquête, à partir d’entretiens, sur les quartiers "moyens mélangés" montre que la situation de mixité est jugée normale - et souhaitable - par la majorité des habitants. La grande majorité de la population n’est pas porteuse d’une vision de la société sans immigrés, sans classe populaire. En revanche, lorsque ces ménages, et en particulier ceux qui appartiennent aux classes moyennes, ont le sentiment, pas toujours fondé, qu’un "déséquilibre" s’instaure, dès que leur école ne reflète plus l’idée qu’ils se font de la mixité sociale, ils tentent d’échapper à la carte scolaire. Plus qu’un refus de la mixité, c’est un refus de la ségrégation qui les conduit à fuir un établissement ou un quartier.

Vous contestez donc la vision duale de la ville, opposant des quartiers très riches à des quartiers très pauvres, qui est devenue la grille de lecture de la ville ces dernières années et plus encore depuis les émeutes de 2005 ?

Encore une fois, la plus grande partie de la population, environ 45 %, en Ile-de-France, vit dans ces espaces "moyens mélangés" que j’évoquais à l’instant et où cohabitent toutes les couches de la population. La ségrégation la plus forte concerne les classes supérieures. Ce sont celles qui se sont le plus concentrées et le plus éloignées des classes populaires et des immigrés au cours des années 1990. La tendance est particulièrement marquée chez les cadres d’entreprise, les ingénieurs du privé et les professions libérales.
A l’autre bout du spectre, il existe aussi un nombre limité de quartiers très populaires, caractérisés par une augmentation de la précarité et du chômage, qui ont en quelque sorte "décroché" du reste du tissu social et urbain. Mais ils sont loin d’être la norme. La majorité des quartiers ouvriers n’a pas vu le niveau de ségrégation augmenter.

Comment éviter le déséquilibre qui menace un grand nombre de collèges ?

Il y a évidemment un préalable : une politique de l’habitat qui combatte la ségrégation urbaine, par le biais des nouvelles constructions, en fixant les parts respectives de l’habitat privé et des différents types d’habitat social. Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas agir plus rapidement sur les flux scolaires. Ainsi, il y a urgence à offrir aux parents une qualité scolaire équivalente en termes d’offre, de diversité et de performance. Ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui.

Votre étude sur l’offre scolaire dans les Hauts-de-Seine est de ce point de vue éloquente...

La répartition de l’offre dans ce département est en effet significative : l’offre d’excellence que constituent les options de langues rares, les classes à horaires aménagés, les classes européennes avec différentes langues, ou encore les classes préparatoires pour les lycées, est concentrée dans les communes riches que sont Neuilly, Sceaux, Rueil-Malmaison, Boulogne-Billancourt ou Saint-Cloud. A l’inverse, les établissements des communes les plus populaires se sont en quelque sorte spécialisés dans les dispositifs de soutien scolaire.

Evidemment, je ne dis pas qu’il faut soustraire l’aide scolaire à ceux qui en ont besoin. Il faut, au contraire, ajouter, dans ces mêmes collèges, des options attractives. Pourquoi ne pourrait-on pas proposer à la fois du soutien aux plus faibles et une offre susceptible de retenir les meilleurs élèves ? Si l’on veut de la mixité, il faut que l’offre elle-même soit mixte et alléchante.

L’institution scolaire aurait donc elle-même contribué à aggraver les inégalités territoriales ?

L’éducation nationale s’est souvent contentée de répondre au coup par coup à une pression parentale réelle dans certaines communes favorisées, sans mesurer qu’elle créait à son tour une inégalité dans l’offre. Est-il juste, par exemple, que les seuls véritables programmes bilingues soient concentrés à Saint-Germain-en-Laye et au Vésinet ? On aboutit à une quasi-privatisation du secteur public d’excellence.

Vous semblez à rebours de la tendance actuelle, qui consiste à vouloir "mettre le paquet" sur les établissements en grande difficulté...

L’action en faveur de ces établissements est indispensable et doit être renforcée. Mais l’avenir de la mixité sociale et scolaire se joue aussi dans ces quartiers banals, "moyens mélangés". Dans ces établissements, il faudrait tenir les deux bouts de la chaîne : celui de la lutte contre l’échec scolaire et celui du maintien d’une offre scolaire diversifiée et attractive, comparable à celle des collèges des communes les plus favorisées.

Une telle politique volontariste est-elle susceptible de ramener les enfants de "catégories supérieures et intellectuelles" vers les établissements de leur secteur ?

Rien n’est moins sûr. Ces familles très favorisées semblent moins animées par la fuite de certains collèges que par la quête de l’excellence scolaire. Elles évitent le collège du quartier dans les communes défavorisées aussi bien que dans les quartiers riches si l’offre scolaire voisine est plus alléchante. En revanche, cette politique peut éviter que les fuites ne continuent.

La présence du privé ne contribue-t-elle pas à aggraver ce déséquilibre ?

Incontestablement. Le privé est concentré sur les communes les plus aisées et déjà les mieux dotées au niveau de l’offre scolaire publique. Dans les Hauts-de-Seine par exemple, il n’existe aucun collège privé à Gennevilliers, Villeneuve-la-Garenne et Nanterre, mais il y en a trois à Rueil-Malmaison, quatre à Neuilly et à Boulogne-Billancourt. Cette concentration renforce donc les déséquilibres et accroît l’"effet marché". D’où une forte concurrence sur ce segment de l’excellence.

Vous suggérez de soumettre les établissements du privé à la carte scolaire. En quoi une telle mesure permettrait-elle de garantir une meilleure mixité sociale ?

Maintenir le principe de la carte scolaire n’a de sens que si l’on redéfinit les règles du jeu. Comme je l’ai dit, cela implique d’élargir les secteurs scolaires, de les appliquer au privé et de garantir la même offre partout. Les "bonnes raisons" de l’évitement seraient ainsi réduites.

Comme vous le savez, la "carte scolaire" désigne à la fois l’outil de régulation des moyens matériels et humains - le nombre de postes distribués par établissement essentiellement - et l’outil d’affectation des élèves.
L’éducation nationale répartit les moyens, qu’elle distribue selon une géographie qui ne respecte pas les frontières communales. Pour reprendre l’exemple des Hauts-de-Seine, Nanterre, Puteaux, Rueil et Suresnes forment un seul bassin. En revanche, la répartition des élèves s’effectue, elle, à l’échelle communale. Cette échelle ne semble plus pertinente. En l’élargissant au niveau du bassin scolaire, on se donnerait la possibilité de mixer davantage les populations.

Chaque établissement, public et privé, serait tenu de respecter un profil moyen d’établissement (PME), défini par bassin et en fonction des populations qui vivent sur ce territoire. Ainsi, il ne serait plus concevable de trouver ici un collège de riches et là un collège de pauvres.

Cette nouvelle géographie n’est évidemment envisageable qu’en s’appuyant sur les transports locaux et sur un système d’aides financières aux familles.

Propos recueillis par Maryline Baumard et Brigitte Perucca

-----------------

Signalons l’article d’ « Alternatives économques » N°251, octobre 2006, « Faut-il brûler la carte scolaire ? », un entretien avec Nicole Geneix, anicienne secrétaire générale du SNUipp et Marco Oberti (voir ci-dessus).

Le site d’ « Alternatives économiques »

-------------------

Extrait du « Journal Euskalherria » du 09.10.06 : Si la carte scolaire n’était pas détournée

L’opinion d’un député de la Côte-d’Or.

Maintien, suppression ou assouplissement : la carte scolaire fait débat. De nombreux parents échafaudent aujourd’hui de redoutables stratégies pour contourner la carte scolaire. Ils choisissent pour leurs enfants des options rares, ils communiquent l’adresse de l’un des membres de la famille, ils louent une boîte aux lettres ou se portent acquéreur d’un logement dans le secteur de l’établissement qu’ils souhaitent. Le comble de l’ironie, c’est que souvent ces mêmes parents sont les premiers à dénoncer le scandale de l’école à deux vitesses.
L’inquiétude de certains parents se conçoit. Mais, le texte de 1963 qui a instauré la carte scolaire était à l’origine une bonne loi. Son objectif est louable puisqu’il s’agit de créer puis de garantir une mixité sociale au sein des établissements scolaires.

J’observe que si la carte scolaire n’était pas sans cesse détournée, si nos politiques du logement depuis trente ans n’avaient pas conduit à la "ghettoïsation" sociale, raciale et religieuse de quartiers entiers, si nous avions aussi eu le courage de réformer notre école sur le plan organisationnel et pédagogique, nous n’en serions pas à faire de la carte scolaire un sujet de polémique.

Les dérogations à la carte scolaire sont trop nombreuses et trop faciles à obtenir. Le résultat, c’est la création, d’un côté, d’une école des "HLM" pour "gamins difficiles ou défavorisés", et d’une école des "quartiers résidentiels", de l’autre. Autre conséquence : l’explosion des inscriptions dans les écoles privées.

La carte scolaire, c’est l’arbre qui cache la forêt. N’est-ce pas plutôt en renforçant les équipes dans les établissements, en développant des projets du type "ambition réussir" (qui permet aux élèves de ZEP obtenant la mention TB au brevet des collèges de choisir l’établissement de leur choix), en répartissant mieux les moyens, en instaurant une vraie liberté pédagogique de l’enseignant, en donnant la possibilité aux écoles et enseignants oeuvrant en ZEP, ZUS ou REP, de s’adapter aux réalités locales, avec une vraie autonomie d’action pédagogique, administrative et budgétaire, en révisant nos politiques d’orientation et notre principe du redoublement systématique... que nous parviendrons à redresser notre système éducatif ?

N’est-ce pas plutôt en cessant d’accorder des dérogations que nous lutterons contre le développement d’une école à deux vitesses ? N’est-ce pas plutôt en renouant avec une politique de logement ambitieuse et en répartissant géographiquement les logements sociaux que nous pourrons en finir avec la ghettoïsation ?

La proposition de Ségolène Royal de donner à chaque parent la possibilité de choisir librement entre trois à cinq établissements est la porte ouverte à toutes les dérives. Les travers que nous connaissons actuellement seront exacerbés. Fatalement, les écoles dites ou jugées sensibles ou difficiles se videront des meilleurs élèves et des enfants des classes moyennes et supérieures. L’idée de Mme Royal est dangereuse pour notre école. Elle ne ferait que renforcer la ghettoïsation des quartiers et des écoles. Ce n’est pas, je crois, le projet de société que nous voulons.

Bien sûr, on me rétorquera qu’un temps le président de l’UMP a envisagé, à terme, de supprimer la carte scolaire. La position de l’UMP sur cette question est moins tranchée et radicale. La carte scolaire n’est pas une question politique ; c’est une question d’éthique, de choix de société et d’objectifs de réussite.

Par ailleurs, et plus prosaïquement, assouplir ou abandonner la carte scolaire impliquerait une vraie désorganisation du système éducatif. Comment et par qui les demandes d’inscription seraient-elles gérées ? Sur quels critères tel ou tel élève serait-il accepté ou refusé par un établissement ? Comment les crédits et les postes seront répartis sans iniquité et en respectant le calendrier ? Autre sujet de débat : la récente proposition socialiste de mettre deux professeurs par classe. Quelle utopie et surtout quel mépris de l’enseignant principal à qui l’on adjoindrait un collègue. Pour faire quoi ? Le surveiller, l’assister, le juger ? Sans parler du coût d’une telle mesure !

Soyons sérieux et finissons-en avec les effets d’annonce. La carte scolaire n’est pas une question politique, c’est une question d’éthique.

Bernard Depierre / membre du Haut Conseil d’évaluation de l’école - Député de la Côte-d’Or

---------------

Les précédents articles du « Quotidien des ZEP » sur la carte scolaire

Répondre à cet article