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La France, raciste ? Mieux construire les termes du débat
Auteur
Michel Wieviorka
Sociologue, membre Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (CADIS, EHSS-CNRS),
Auteurs historiques The Conversation France
Le 25 avril, un jeune homme était assassiné dans une mosquée du Gard par un individu déclarant « Il est noir, je vais le faire », puis « Ton Allah de merde ». Une polémique a par ailleurs éclaté concernant l’attitude du ministre de l’intérieur et des cultes, Bruno Retailleau, qui ne s’est pas rendu sur le lieu du crime. Au-delà de cet événement, que sait-on et comment analyser l’évolution du racisme en France ?
Un soir de 1991, à l’occasion de la publication de mon livre La France raciste, un ponte de Sciences Po m’a apostrophé sur un plateau de télévision : « Comment pouvez-vous laisser entendre par ce titre que toute la France est raciste ? » Je lui rétorquai que si j’avais écrit « La France maritime », personne n’aurait pensé que toute la France a les pieds dans l’eau. De même, aujourd’hui : il existe du racisme en France, ce qui ne signifie pas que le pays serait en lui-même tout entier raciste.
Mais le phénomène est-il dans une phase d’expansion ? La prudence devrait être de mise.
D’abord, parce que le racisme transite par diverses formes – discriminations, violences, préjugés, ségrégation, etc. – les unes éventuellement à la hausse, d’autres à la baisse comme le montre Vincent Tiberj dans la Droitisation française, mythe et réalités. De plus, il suffit qu’un attentat réussisse, ou échoue, pour que les chiffres de la violence raciste s’emballent ou, au contraire, stagnent.
Ensuite, parce que le racisme se transforme, avec des continuités mais aussi des changements parfois majeurs – l’antiracisme aussi. Qui aurait dit, il y a vingt ans, que des personnes « racisées » (le mot n’était alors guère usité) se réuniraient pour parler ensemble de leur « racisation » ou du fait de s’« autoraciser » (s’approprier l’idée de race) ? Ou encore que progresserait l’idée d’un « racisme anti-blanc » ?
Un groupe social ou politique peut être vecteur d’un racisme puissant, puis le délaisser, voire cesser de le véhiculer – l’inverse aussi est possible. Ainsi, l’extrême droite institutionnelle s’efforce aujourd’hui de se défaire de son antisémitisme congénital, tandis qu’à gauche de la gauche, pointe sous un antisionisme explicite, un antisémitisme masqué jusque-là peu présent dans cette orientation politique.
La confusion est grande, aussi, car l’essentialisation vise la culture ou la foi et pas seulement la nature. Le racisme anti-Arabes vise ceux qui appartiennent à une nation. Le racisme anti-musulmans s’en prend à une religion : la culture, la foi deviennent ici une nature, elles se substituent à la race – les attributs supposés des Arabes ou des musulmans étant comme irréductibles, inscrits dans leur être biologique. Le racisme anti-noirs confond allègrement les immigrés récents d’Afrique sud-saharienne et les populations ultra-marines, françaises depuis bientôt deux siècles et issues de l’esclavage. Les Juifs, pour ceux qui les haïssent, relèvent-ils d’une nation, d’une religion, d’un État (Israël), d’une race ?
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