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Les élèves à l’école, pas à la rue
« Je ne suis pas une délinquante, ni mes camarades. Nous avons simplement décidé de refuser que des élèves dorment dans la rue. Et nous ne nous laisserons pas non plus bâillonner » déclare Aurélie, une enseignante poursuivie pour avoir mis des enfants à l’abri à Tours.
Depuis plus de 2 ans, le collectif « Pas d’enfants à la rue » entend faire respecter le droit, et au passage la convention internationale des droits de l’enfant, dans la ville de Tours. L’un comme l’autre engagent l’Etat français à mettre à l’abri les enfants qui vivent sur son territoire national. Mais on le sait, le chiffre d’enfants sans domicile a doublé depuis le début du mandat présidentiel portant à 2000 le nombre d’enfants sans solution d’hébergement. Le département d’Indre et Loire, avec sa carence de 200 places en CADA, n’échappe pas à la règle macabre. Les enseignant.es de la ville de Tours sont alors confronté.es à des situations de plus fréquentes d’élèves qui viennent en classe le matin en ayant passé la nuit dehors. Situations insupportables pour certain.es d’entre elles, comme Aurélie, que nous avons interviewée.
Aurélie, peux-tu nous raconter l’histoire du collectif « Pas d’enfant à la rue » de Tours ?
Il y a 2 ans et demi environ, un collectif s’est monté face au nombre croissant d’élèves qui, après la classe, ne savaient pas où ils allaient dormir. C’est d’abord un collectif d’alerte en direction des pouvoirs publics. Nous avons interpellé tou.tes les élu.es, les député.es, la Préfecture, notre hiérarchie … car nous estimons d’abord que c’est de leur responsabilité de veiller à l’application du droit et à la mise à l’abri de nos élèves. Nous avons rencontré toutes ces personnes, sur notre temps personnel, pour essayer de faire évoluer des situations mais les réponses sont toujours les mêmes : ce n’est pas de nos prérogatives, nous n’avons pas les moyens … et c’est comme ça que le collectif est né, en réaction à l’inaction des pouvoirs publics.
Et c’est comme cela que vous avez décidé d’héberger des enfants dans les écoles ? Comment cela se passe ?
Oui, au départ ça s’est fait un peu comme ça, parce qu’on n’avait pas trop le choix. On a installé des matelas au fond de la classe pour un élève, ses frères et sœurs et ses parents qui dormaient dehors. Ça a commencé par cette famille puis très vite on s’est retrouvé.es à devoir héberger la nuit entre 15 et 20 personnes dans l’école.
De manière pratique, on leur demande d’arriver après la garderie du soir et de partir à 7h30 max. Nous, les profs et les parents d’élèves, on se relaye pour être toujours 2 ou 3 à passer la soirée et la nuit avec. Y’a même des parents qui viennent avec des plats préparés pour manger. On fait des roulements entre nous. Parfois on se dit que ce n’est pas tenable, mais après la réalité nous rattrape. Comme par exemple quand le petit M, en CM1, nous raconte que depuis trois semaines il vit dans la rue avec son père, un objecteur de conscience russe réfugié sans logement. Dur de se dire qu’il va passer une nuit de plus dans la rue alors on a choisi ce mode d’hébergement solidaire dans l’école. Mais bien sûr on a aussi vite vu les limites de ça quand même, ce n’est pas un système tenable sur la durée et surtout ce n’est pas à des citoyen.nes de pallier les manquements de l’état.
Alors vous faites quoi ?
Eh bien par exemple un soir l’an dernier, après la trêve hivernale, on a organisé un apéro à l’école avec les militant.es et les familles hébergées. Ce soir-là, une grosse vingtaine d’élèves étaient sans toit. Ils étaient pris en charge pendant la trêve hivernale, nous ne les hébergions pas à ce moment-là. Alors on est allé au palais des sports de la ville de Tours. Il y avait un évènement, nous y sommes allé.es puis on est resté.es pour occuper un lieu public et revendiquer un logement pour nos élèves. L’occupation a duré 4 nuits et devant le remue-ménage, les pouvoirs publics ont réagi. La mairie a ouvert un gymnase pour des hébergements d’urgence et certaines situations ont pu être débloquées. C’est le cas de mon élève M par exemple qui a trouvé un logement. On a également occupé comme ça le conseil métropolitain ou bien des locaux paroissiaux.
L’idée c’est de faire avancer la cause, de la rendre publique, de dire qu’on ne tolère pas que nos élèves dorment dans la rue. Et cela permet des petites avancées, comme l’ouverture d’un centre d’hébergement dont les charges ont été financées par le Métropole et la ville de Tours, pouvant accueillir 90 personnes pendant 1 an au lieu de 2 mois avant. Mais c’est épuisant.
Est-ce cette inertie des pouvoirs publics qui vous a conduit.es à occuper un collège ?
On cherche des pistes d’action oui, et à faire avancer la cause. C’est comme ça qu’on a décidé cette année aussi de diriger nos actions envers notre administration pour lui montrer que la situation n’est pas tenable pour des enseignant.es. Là encore c’est à la fin de la trêve hivernale que nous avons cherché un mode d’action efficace. D’autant que 4 ou 5 familles étaient hébergées de manière provisoire dans une salle appartenant au diocèse mais jusqu’à la date du premier avril de cette année.
L’intersyndicale a d’ailleurs déposé une grève pour ce jour-là avec un mot d’ordre reprenant celui du collectif : pas d’enfants à la rue. Il y a quand même eu 60 grévistes dans l’agglo et 3 ou 4 écoles fermées.
On a également organisé un rendez-vous devant l’inspection car après tout, ce sont des élèves et notre administration est aussi concernée. Puis l’appel a été donné de se rassembler à nouveau devant le palais des sports, où la police nous attendait. Les militant.es et les familles se sont alors dirigé.es dans un collège tout proche. Certain.es enseignant.es les ont accompagné.es, dont moi. Nous sommes rentré.es tranquillement dans l’établissement et tout s’est plutôt bien passé.
Dans la soirée, des personnes sont venues avec des matelas pour les faire rentrer dans le collège et là les choses ont un peu mal tourné car la police a voulu arrêter cette action. La tension est montée mais rien n’est véritablement arrivé. De plus, le soir-même, le préfet débloquait des nuits d’hôtel pour 38 personnes. Comme quoi la mobilisation ne sert pas à rien.
Le collège a déposé des plaintes contre toi et les militant.es ?
C’est par la voie du principal qu’une plainte contre X a été déposée suite à cette mise à l’abri dans le collège, qui encore une fois s’est passée sans heurts et sans casse. Mais le parquet a retenu une « intrusion en réunion dans le but de troubler l’ordre et la tranquillité d’un établissement scolaire ».
J’ai d’abord été auditionnée et sachant que je n’avais rien fait de spécial, j’y suis allée seule expliquer comment ça s’était passé, le combat que nous menions … Mais 3 semaines après j’ai reçu un « avertissement pénal probatoire ». Sorte de rappel à la loi en plus musclé, que l’on sort soit pour la petite délinquance soit pour museler des manifestant.es. Mais moi je ne suis pas une délinquante, ni mes camarades. Nous avons simplement décidé de refuser que des élèves dorment dans la rue. Et nous ne nous laisserons pas non plus bâillonner.
Il y a une pétition en ligne, elle a déjà reçu plus de 14 000 signatures et le soutien de nombreuses personnalités du monde de l’éducation, de la culture, de la politique, du syndicalisme … On espère que l’affaire s’arrêtera ici.
Propos recueillis par Frédéric Grimaud
Pour soutenir Aurélie et sa collègue Vanessa, la pétition est en ligne
Le collectif « Pas d’enfant à la rue » de Tours vient de sortir un communiqué appelant à la vigilance pour que des enfants ne se retrouvent pas à la rue pendant les vacances d’été.