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Gérard Aschieri : « Des inégalités se creusent entre territoires »

27 décembre 2006

Extraits du « Monde » du 18.12.06 : Gérard Aschieri : "Il y a des établissements et des zones qui s’éloignent de plus en plus des autres"

Gérard Aschieri, secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire (FSU)

L’école est-elle aujourd’hui devenue un facteur d’inégalités ?

Gérard Aschieri : Les inégalités ne viennent pas de l’école. Mais l’école n’est pas en mesure de les corriger de manière suffisante. Les inégalités, souvent liées à des phénomènes de ségrégation sociale et territoriale, existent dans l’école. L’éducation nationale en souffre : le travail qui est fait permet d’éviter la catastrophe, mais on voit que ces inégalités se creusent. De plus en plus, ce sont des différences territoriales qui redoublent les inégalités sociales.

L’école n’est même plus en mesure de freiner ces inégalités ?

Gérard Aschieri : Elle limite l’hémorragie, si l’on peut dire, mais elle ne l’arrête pas. Confrontée à ces inégalités, l’école ne les répare pas suffisamment. Mais attention, si on n’avait pas un système éducatif public, ce serait peut-être pire. Cependant, ce n’est pas satisfaisant : il y a eu une dégradation de la situation ces dernières années, notamment en termes de géographie. Il y a des établissements et des zones qui s’éloignent de plus en plus des autres quant à la capacité de réussite, aux chances de réussite. Mais attention à la notion d’égalité des chances. Souvent, on a l’impression d’une compétition dans laquelle des gens ont des handicaps et qu’il suffirait de les compenser pour que tout le monde ait la même chance d’arriver au bout. Je pense qu’il ne s’agit pas d’une compétition. Car aujourd’hui, on a plutôt un problème dans l’égalité de l’accès aux droits.

Dans certaines zones, par exemple ?

Gérard Aschieri : Quand on parle de zones de non-droit, il faudrait ajouter un "s" à droit ! Ces zones dites difficiles ne sont pas des lieux où les gens sont difficiles et où la loi ne s’applique pas. Ce sont des zones où l’accès aux droits - droit à l’éducation, au logement, à l’emploi, etc. - est moindre par rapport à d’autres zones, voire nul. Et l’école, elle, se trouve au milieu de tout ça. Elle a du mal à faire face. C’est pour ça qu’un certain nombre d’établissements scolaires sont de plus en plus ghettoïsés. On a une école qui fonctionne bien dans 90 % des cas, et puis il y a 10 % d’établissements qui cumulent les difficultés scolaires, l’échec, la violence.

On reproche parfois aux organisations syndicales de ne s’attaquer qu’à la question des moyens. Est-ce la clé de toute réforme ?

Gérard Aschieri : On ne peut pas traiter la question sans moyens. Les redéploiements, ce n’est pas juste et ce n’est pas suffisant pour faire face. Cette difficulté scolaire, cette violence, elle ne se traite pas sans un apport significatif de moyens supplémentaires. Il faut compenser beaucoup plus les handicaps territoriaux que ce n’est fait aujourd’hui. Mais les moyens ne suffisent pas. Il faut savoir ce qu’on en fait : individualiser le suivi des élèves en grande difficulté, réduire les effectifs des classes, permettre aux personnels de travailler beaucoup plus en équipe. Dans les établissements qui connaissent le plus de difficultés, il faut faire un peu dans la dentelle dans le suivi, se concerter, avoir plus d’adultes présents. Mais au-delà, il y a tout ce qui se passe autour de l’école. Elle ne traitera pas les problèmes du logement, de la pauvreté, du chômage, et sans effort concerté pour traiter ces difficultés, l’école peut ramer, mais elle ne ramera jamais suffisamment.

Mais dans ces zones-là, des initiatives ont été mises en place, comme les zones d’éducation prioritaires (ZEP). Et pourtant, les résultats ne sont pas ceux qui étaient attendus...

Gérard Aschieri : Ils ne sont pas ceux qui étaient attendus, mais le différentiel de moyens n’est pas ce qu’il aurait dû être... Il y a deux sortes de ZEP : un certain nombre d’entre elles ont réussi à garder la tête hors de l’eau, tandis que d’autres se sont enfoncées. Notre proposition, c’est d’abord de mettre le paquet sur ces dernières. Mais attention, on ne peut pas enlever des moyens à celles qui ont la tête hors de l’eau, ce serait les enfoncer encore plus. Il y a deux autres questions qui sont fondamentales. D’abord la formation des personnels, notamment à la diversité des publics. Et ensuite, sur le plan qualitatif, il y a la question de la culture commune : qu’apprend-on à l’école et quel sens cela a-t-il ? La culture scolaire traditionnelle peut être socialement très sélective. La dissertation est un genre lié à une certaine couche sociale. On savait implicitement ce que c’était que la méthode de la dissertation. Or là, on a des élèves qui ne sont pas issus de cette couche sociale. Je ne dis pas qu’il faut jeter par-dessus bord les classiques mais il faut redonner du sens, réfléchir à la hiérarchie des disciplines. Pour la technologie, aurait-elle une place moindre que les mathématiques, par exemple ?

Certaines solutions relèvent des moyens, d’autres du domaine de la pédagogie ?

Gérard Aschieri : Bien sûr. Et pourtant, ce travail sur les contenus est rarement fait. Le fameux socle commun [mis en place par Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale] ne fait pas ce travail, et c’est en cela que c’est une supercherie. Il n’y a pas de solution clés en main. Cela nécessite un travail où les enseignants aient leur part, mais aussi les spécialistes des disciplines, les chercheurs en sciences de l’éducation aussi. Il faut qu’il y ait un vrai débat sur cette question, en se donnant un petit peu de temps. On ne va pas tout révolutionner, il s’agit de donner de la cohérence. Et au sein de cette cohérence, il faut donner une place à la diversité culturelle qui est celle de notre pays. La France est un pays marqué par la mixité culturelle et les jeunes y sont très sensibles. Je dirais même qu’ils la vivent bien. Malheureusement, je ne suis pas certain qu’ils la retrouvent dans l’école.

Outre la question des moyens, outre celle des contenus, n’y a-t-il pas une autre question relative à l’organisation du travail des enseignants ? Est-il possible d’envisager une réforme qui modifie le temps de travail ?

Gérard Aschieri : C’est ce que l’on demande. Quand je dis qu’il faut travailler plus en équipe, je dis qu’il faut changer l’organisation du travail. Simplement, on ne peut pas modifier en chargeant toujours la barque, il faut qu’il y ait des compensations. Et une manière de le faire, c’est de réduire le temps de travail devant les élèves afin de permettre plus de travail collectif. Ça a un coût énorme, c’est vrai. La proposition qu’on a faite, déjà, à plusieurs ministres, c’est de commencer par les établissements les plus difficiles. Il y a également la question du soutien aux élèves : cela relève du service public, c’est vrai. Mais, là encore, ça ne se fera qu’en dégageant du temps pour que ce soit fait. Dans les établissements difficiles, c’est souvent fait en heures supplémentaires, puisque ces établissements ont souvent des crédits pour cela. Sur cette question, il y a aussi une idée toute simple qu’on peut appliquer : l’industrialisation du cours de soutien et du cours complémentaire est liée à une seule chose, c’est la défiscalisation des cours privés, à hauteur de 50 %. C’est autant d’argent en moins dans les caisses de l’Etat ! Si on met cet argent dans l’école, dans les établissements les plus difficiles, on pourrait payer des personnes pour faire du soutien.

Ces entreprises privées qui font du soutien scolaire, sont-elles des partenaires pour l’école ou des concurrents ?

Gérard Aschieri : Ce ne sont pas des partenaires, je ne les qualifierais pas de concurrents non plus. Mais ce qui est contestable, c’est que l’Etat mette de l’argent là-dedans au lieu de le mettre dans les écoles publiques. D’ailleurs, les élèves qui ont recours à ces officines ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin.

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