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Séminaire OZP du 11 octobre 2025 : Le collectif de travail. Une formation action de la Dgesco (Intervention de Fabienne Fédérini)

20 octobre

Séminaire OZP du 11 octobre 2025
Le collectif de travail

Intervention de Fabienne Fédérini, membre du collectif Langevin-Wallon
« Du travail collectif au collectif de travail, à propos d’une formation action conduite dans l’académie de Nancy-Metz (2015-2017) »

Notes  :
 voir en bas de de texte une version PDF à la mise en page plus élaborée
 le site OZP a sauvegardé les productions de Canopé concernant les formations actions de la Dgesco, notamment celles menées dans l’académie de Nancy Archives EP de Canopé : RUBRIQUE MUTUALISER, à déplier (12 actions et 4 dossiers)
 voir les autres interventions du séminaire du 11 octobre

 

Je tiens à remercier l’OZP, et en particulier Marc Douaire, de m’avoir invitée à témoigner à propos d’un travail conduit, voilà dix ans, dans l’académie de Nancy-Metz par le bureau de l’éducation prioritaire, à l’époque dirigé par Marc Bablet. Avant de commencer, je voudrais dire que je ne suis pas bien sûre d’être la mieux placée pour parler de cette formation action, puisque j’ai été l’une de celle qui l’a initiée (notamment avec Michèle Coulon, ici présente).
Peut-être aurait-il été plus judicieux, puisque la thématique porte sur le collectif, d’inviter d’autres que moi, les participants par exemple, à exprimer leur point de vue sur ce projet ; point de vue nécessairement différent du mien, compte-tenu de là où ils se trouvaient au sein de l’institution.

1. Propos liminaires sur le contexte institutionnel
Dans un premier temps, je voudrais revenir sur le contexte institutionnel dans lequel s’est déployée cette formation action :
 2015 : au moment de la mise en œuvre de la refondation de l’éducation prioritaire, c’était pour nous (c’est-à-dire l’équipe du ministère) une opportunité objective de nous rendre sur le terrain à la rencontre des équipes ;
 2015, c’était aussi le moment de la création du site institutionnel « éducation prioritaire » avec le réseau Canopé (fermé depuis novembre 2022), site qui avait été pensé autour du référentiel. En général (et ce que je vais dire là pour un site s’entend pour les circulaires ou les ressources pédagogiques), le niveau national ou académique ou départemental élabore un outil, pensant qu’il va s’imposer de lui-même. Or, si on ne fait pas l’effort d’aller le présenter (le défendre), il y a peu de chances qu’il soit connu par celles et ceux auxquels il est destiné, et encore moins mis en œuvre. C’est un SAV, comme je l’appelle, qui est rarement fait. Donc, pour en revenir au site, nous pensions qu’il devait être présenté aux équipes pour être utilisé et la meilleure manière qu’il le soit était que les équipes s’y retrouvent, c’est-à-dire qu’elles retrouvent leur travail, d’où l’idée de faire produire des ressources pédagogiques par les équipes elles-mêmes Quel terrain ? Le Grand Est, et plus particulièrement l’académie de Nancy-Metz, s’est imposé à nous, car il y avait une montée en puissance de l’éducation prioritaire mais de moindre ampleur que dans les académies de Lille, Versailles ou Créteil, terrains plus sollicités aussi.
Avec qui ? Le réseau Canopé qui avait refondé le site institutionnel avec nous et qui, à l’époque, était intéressé par la production de ressources pédagogiques pour alimenter la rubrique « Agir » en la personne de la directrice de la délégation Grand-est de Canopé et la directrice de l’atelier Canopé de Nancy ; l’académie de Nancy-Metz (en la personne de la correspondance académique) et bien sûr les équipes volontaires d’enseignants et de coordonnateurs de réseau.

2. Postulats sur lesquels repose le dispositif de formation action
Nous sommes parties d’un constat récurrent : la mutualisation des « bonnes pratiques – « bonnes pratiques » au sens de la meilleure pratique possible – ne marche pas. Ce qui est présupposé ici, c’est que ce qui serait identifié comme une « bonne pratique » pourrait être transposée ailleurs que dans le contexte au sein duquel elle a été mise en œuvre et ce, afin d’améliorer le système, c’est-à-dire en vue de le rendre plus efficient. Je ne vais pas ici reprendre toute la critique que nous développons dans notre ouvrage, notamment dans les chapitres portant sur l’innovation et sur la recherche, ce serait trop long et ce n’est pas l’objet de mon exposé.
Je voudrais juste dire que si la mutualisation des « bonnes pratiques » mène à une impasse depuis autant de temps, c’est sans doute parce que la question est mal posée. Il s’agit moins de s’intéresser aux modalités de reproduction de « modèles » qu’aux conditions et aux modalités de la transmission de l’expérience humaine, dont l’expérience professionnelle constitue une dimension. En effet, quand nous tentons de faire connaître à autrui ce que nous faisons, n’essayons-nous pas avant tout de rendre compte d’une expérience (au sens de pratique), mais aussi de notre expérience (au sens d’épreuve et de représentation mentale de ce qui s’est passé), toutes deux étant fortement liées. Dès lors, est-il possible de s’approprier l’expérience d’autrui alors même que l’on ne l’a pas éprouvée avec lui ? N’est-ce pas ce à quoi nous nous heurtons chaque fois que nous souhaitons mutualiser entre pairs ? Finalement au cœur de notre impossibilité, ou presque, à transférer, n’y aurait-il pas une difficulté à transmettre notre expérience à autrui, notamment sa dimension sensible ?

C’est à partir de ces postulats que nous avons construit un dispositif de formation action » ; dispositif qui repose sur deux hypothèses.
La première se proposait de donner à voir un making off plutôt qu’une production finale.
On ne souhaitait pas une ressource modélisante expurgée de toutes ses aspérités, on souhaitait plutôt le brouillon avec ses ratures, qui sont autant d’expressions de nos tâtonnements.
Nous pensions en effet qu’il était plus facile de se reconnaître dans un processus, qu’il soit intellectuel, méthodologique ou pédagogique, que dans une production finalisée qui soulève presque toujours des oppositions (« je n’ai pas l’équipe », « je n’ai pas les moyens », « je ne m’en sens pas capable », etc.). Il nous semblait que le cheminement était mieux à même d’être un objet de partage entre pairs, parce que c’est une matière vivante où les hésitations, les doutes sont rendus visibles.
Nous le savons bien : toute action, quelle que soit sa nature, connaît des impasses, suppose des erreurs et implique des échecs. Oser les dire c’est affirmer qu’ils font partie de notre quotidien, qu’ils font partie de l’exercice de notre métier. Mieux, c’est considérer qu’ils sont porteurs de connaissance, puisqu’ils nous forcent à réfléchir pour essayer de les surmonter. L’erreur est bien source d’apprentissage, ainsi que le dit le référentiel de l’éducation prioritaire.

Par ailleurs, insister sur le processus, c’est reconnaître qu’il est soumis au temps, puisqu’il est en train de (se) faire. Nécessairement évolutif, il peut être modifié, amélioré, complété et ainsi, il apparaît moins inhibant, plus facilement adaptable aux contraintes professionnelles de chacun·e. Mais c’est un exercice malaisé parce qu’inédit, surtout à l’éducation nationale, où le syndrome du bon élève règne partout. En effet, au cours de notre scolarité et ensuite lors de notre parcours professionnel, nous sommes rarement invitée à nous engager dans ce type de démarche où ce qui nous est demandé comme production finale n’est pas un objet achevé, clos sur lui-même, mais un travail en cours d’élaboration. Dans un système où la perfection est sans cesse recherchée – et en cela la notion de « bonnes pratiques » y participe pleinement – où chacun·e d’entre nous est formé·e avec cet état d’esprit-là, il est difficile d’en prendre l’exact contrepied. Il a donc fallu sans cesse revenir à ce principe d’imperfection qui était au fondement de ce projet, qui était LE fondement même de notre projet.
Ce principe d’imperfection permet enfin de mettre au jour ce que nous ne cessons d’oublier pour mieux souligner le résultat. Or la manière dont nous avons réalisé notre travail ne se réduit pas uniquement aux conditions matérielles et aux efforts produits, elle comprend également nos questionnements, ainsi que tout ce que nous avons appris avant et qui se trouve incorporé en nous.
La seconde hypothèse partait du constat (partagé) que la transmission de l’expérience professionnelle n’est pas chose aisée. Donner à voir ce que l’on fait au sein de sa classe, au sein de l’école ou de l’établissement est toujours difficile, car c’est exposer sa pratique professionnelle et donc s’exposer au regard, parfois au jugement d’autrui. Mais dans le même temps, c’est vouloir partager avec les collègues, vouloir cheminer avec eux, accepter les tâtonnements, le questionnement, et donc la controverse. C’est paradoxalement se sentir suffisamment armé·e pour donner à voir ce que l’on fait et en même temps douté pour soumettre à la question ce que l’on fait (un travail sur le travail) et entrer ainsi dans une démarche réflexive sur sa pratique professionnelle.
Toutefois si montrer ce que l’on fait n’est pas évident, écrire sa pratique l’est encore moins.
C’est une compétence qui est rarement travaillée au sein de l’éducation nationale. On suppose ainsi qu’elle est « innée » : chacun.e étant en capacité d’écrire sa pratique et ainsi de la transformer en « ressource pédagogique ». Evidemment, il n’en est rien. Or cette compétence est indispensable si l’on souhaite transmettre. Paradoxalement, l’écriture professionnelle est sans doute le support le plus utilisé par les professionnels de l’éducation et c’est aussi l’objet le plus impensé des formations. Comment vouloir mutualiser une pratique pédagogique sans penser au préalable les conditions de sa normalisation ? Selon nous, vouloir que les équipes écrivent leurs pratiques pédagogiques pour en faire une ressource appréhendable par autrui nécessitait un accompagnement des équipes. Nous n’avons pas présupposé des compétences, nous avons essayé de leur enseigner ce que le projet demandait comme compétences soit pour les consolider soit par les développer. Là aussi en totale cohérence avec les principes du référentiel.

A partir de ces deux postulats, comment bâtir un dispositif de formation qui les mette à
l’épreuve ?

3. Un dispositif de formation action à différentes échelles et à multiples voix
En fait, si ce dispositif de formation action a été construit à partir de principes partagés avec l’ensemble des acteurs engagés, sa mise en œuvre a été travaillée au fur et à mesure du temps (presque deux ans dans un processus itératif.
Premier principe : reconnaître à chacun·e la même capacité à contribuer au projet à la place qui est la sienne, y compris penser la place des absents
• DGESCO : garantir le cadre de la formation (régulateur) - ne pas intervenir dans les groupes et assurer une présence continue tout au long du projet
• Académie : assurer les conditions matérielles de la formation (inscrire la formation dans le plan académique de formation) – définir la thématique retenue (« Coopérer entre élèves pour apprendre et collaborer entre adultes solidaires ») ; opérer les remplacements des enseignants en formation ; rembourser les frais de transports
• Réseau Canopé : mettre à disposition de chaque équipe une personne référente, responsable du suivi éditorial de la ressource (j’y reviendrai quand je parlerai des « ami-critiques ») ; mettre à disposition des moyens techniques de production audiovisuelle pour produire les ressources pédagogiques destinées au site national dédié à l’éducation prioritaire
• Chercheur : accompagner les équipes dans leur réflexion ; l’idée était que ce dernier devait créer les conditions pour produire entre la pratique (professionnelle) et la recherche (scientifique) « une zone d’évidence et de questionnement partagé » où le chercheur n’impose pas mais oriente, suggère, renvoie les équipes vers d’autres questionnements, etc. Il s’agissait d’être « éclairant », et non « surplombant »
• Equipes enseignantes avec le coordonnateur mais sans les pilotes du réseau : déjà exposer sa pratique pour la faire partager n’est pas évident, alors exposer ses erreurs l’est encore moins et ça ne peut pas se faire devant celui/celle chargée de vous évaluer – cette formation était un temps pour soi pour réfléchir à sa pratique entre pairs. Le groupe réunissait 5 équipes d’enseignants (13 PE et 2 professeurs du second degré). Il représentait 3 départements (Les Vosges, la Moselle et la Meurthe et Moselle) sur 5 avec des projets à des niveaux très inégaux de développement : certains projets existaient depuis 10 ans, d’autres commençaient à peine à se mettre en place ; de même sous une même thématique nous avions connaissance de problématiques variées, bref nous avions une hétérogénéité qui nous paraissait féconde, car elle supposait un avancement différencié de la réflexion entre les équipes et donc un travail collaboratif entre elles : aux interrogations et doutes des uns répondaient les expériences des autres. Là encore nous avons mis en œuvre l’un des principes du référentiel.
• Amis critiques (Canopé), souvent un ancien enseignant, accompagnant l’équipe : ils étaient chargés de l’explicitation du projet. Placés à côté des équipes (ni devant, ni derrière), ils devaient faire accoucher les équipes en leur posant des questions sur le pourquoi du comment sans juger de la pertinence de ce qui leur était dit – je rappelle qu’il fallait que les équipes écrivent sur le cheminement. D’après les retours des amis critiques, il y a eu souvent la tentation chez les équipes de montrer ce à quoi elles étaient arrivées, et pas comment elles y étaient parvenues. La figure de l’ami critique, telle que définie par Anne Jorro, doit allier à la fois la bienveillance de l’écoute sur ce qui est dit et du regard porté sur ce qui fait mais aussi l’exigence à travers la valorisation du potentiel. Il doit soutenir, aider, orienter sans jamais imposer son point de vue.
• Les absents : les pilotes de réseau ne sont pas invités à participer à la formation (en raison du lien hiérarchique) mais doivent réfléchir aux modalités de la diffusion des ressources pédagogiques produites, notamment au sein du réseau et dans le cadre des instances formalisées (conseil des maîtres, conseil pédagogique, conseil Ecole-Collège, etc.).
En tout, ce dispositif de formation action a mobilisé 38 professionnels.
Deuxième principe : mettre en œuvre une logique de don / contre don sous la forme d’engagement, mais pas que…
Les équipes s’engageaient à produire des ressources pédagogiques pour le site national, en contrepartie l’institution (DGESCO, rectorat, Canopé) s’engageait à leur donner les moyens pour y parvenir :
• construire un cadre sécurisant pensé de manière horizontale, suffisamment souple pour s’adapter aux besoins et s’inscrivant dans le temps ;
• être transparentes sur l’engagement (le temps bénévole) que ce projet nécessiterait de chacun·e en dehors des temps de regroupements ;
• et surtout s’assurer que les relations entre chaque composante du projet (les équipes,
leurs amis-critiques, l’enseignant-chercheur (Sylvain Connac), le formateur spécialiste de l’écriture professionnelle (Patrice Bride) et nous, l’équipe-projet (entre nous et avec eux)) reposaient bien sur le principe d’un « compagnonnage réflexif », à partir duquel pouvait s’opérer un croisement des regards (non jugeant mais éclairant) entre professionnel·les.
En général, la journée de formation se déroulait de la manière suivante :
 un rappel rapide de la session précédente ;
 une mise au travail en groupe (souvent entre les regroupements les équipes avaienttravaillé) ;
 un temps collectif de mise en commun de l’état d’avancée des travaux par chaque groupe et échanges entre équipes, avec les amis critiques et avec les représentants de l’institution.
Cette organisation reposait sur un principe simple maintes fois constaté dans les études : un changement de pratique est plus susceptible de se produire si on est instruit par ses pairs que par des conférenciers en position de surplomb. C’est pourquoi, nous avons souhaité susciter le dialogue à partir d’objets professionnels dans un cadre qui, parce qu’il reposait sur une estime et une confiance réellement éprouvées entre les différents acteurs du projet, autorisait chacun·e à s’exprimer sans être jugé·e. C’est ce qui a favorisé le partage tant au sein des équipes qu’entre elles, mais aussi avec les amis-critiques et avec nous lors des temps collectifs. Au fil du temps, les conditions d’une dynamique collective de travail se sont progressivement installées. Au travail coopératif des élèves, qui était le sujet de leur projet respectif, répondait celui de notre collectif à ses différentes échelles. Du travail collectif sur un objet, on est passé à un collectif de travail comme sujet.
Très vite aussi, il nous a semblé que la diversité des accompagnements proposés et assurés régulièrement dans le temps participait des conditions de mise en œuvre de cette dynamique collective avec toujours la volonté de ne pas être en surplomb, renvoyant souvent aux équipes d’autres questions que celles qu’elles se posaient. Cet accompagnement d’un genre particulier a permis à chacun·e des membres des équipes engagées dans ce dispositif de faire souvent un pas de côté, parfois de revisiter ses pratiques professionnelles, tout en apportant l’étayage (scientifique et/ou pédagogique) nécessaire, quand certains avaient des interrogations ou des doutes.
L’ensemble de ces conditions a permis de créer un espace réflexif commun, ce qui a favorisé la co-production d’un savoir ayant une forte dimension praxéologique et, en conséquence, de générer de puissants effets de (trans)formation des professionnels y participant.

4. Enseignements à tirer de ce dispositif de formation action du point de vue des pilotes ou comment accompagner un collectif au travail pour qu’il devienne un collectif de travail ?
De cette action de formation action, que pouvons-nous en retenir ? Un seul mot nous semble résumer son esprit : accompagnement. Mais qu’est-ce que cela signifie « accompagner » à l’échelle nationale, quand on sait de surcroit combien le terme revêt des formes et recouvre des réalités différentes ? C’est ce que je vais essayer de préciser maintenant.
Nous concernant, nous n’avons pas pensé l’accompagnement ni comme une vérification de la conformité de la pratique pédagogique aux textes, ni comme une recherche de son adéquation aux normes. Il n’avait pas non plus pour visée de corriger ou de réguler ce que faisaient les équipes. Nous y avons plutôt vu un excellent moyen de valoriser les équipes tout en leur offrant les conditions et les modalités de réfléchir sur ce qu’elles faisaient dans l’ordinaire des classes.
Nous nous sommes inscrites dans ce que j’ai appelé un « compagnonnage réflexif » ; ce qui a supposé, de notre part, à cause de la place qui est la nôtre, une attitude professionnelle toute en
« retenue ».
Accompagner, c’est d’abord s’engager à assurer une présence régulière et continue lors des temps de regroupements des équipes ; cette assiduité marquait un intérêt sincère à leur travail, elle était aussi la condition nécessaire pour s’assurer de notre rôle de garant du projet, mais cette assiduité n’a pas manqué d’avoir un effet sur les équipes.
Par notre présence (et pas nous en tant que telles, mais ce que nous représentions), les collègues se sont sentis, en tant que professionnels, reconnus et donc soutenus par l’institution. Ce que nous mettions à l’œuvre là, c’était tout simplement le même principe que celui adopté lors de l’élaboration du référentiel de l’éducation prioritaire : nous les reconnaissions comme professionnels, et en tant que tels détenteurs d’un savoir produit par l’expérience. En leur donnant les moyens de produire des ressources pédagogiques à partir de ce qu’ils avaient fait dans leur classe, nous reconnaissions leur expertise et les valorisions.
Pour autant, la seule présence ne saurait suffire, il faut aussi changer de posture : être à l’écoute de manière active et bienveillante, porter un réel intérêt au travail mené en classe par les équipes, être consciente aussi de leur difficulté de donner à voir ce qu’elles font avec les élèves, parler enfin un langage empreint de sincérité et de transparence. Dès le début, nous avions dit que nous nous embarquions dans une aventure que nous n’avions pas écrite par avance, que nous allions la vivre avec eux. Cette prise de risque, nous la partagions, tout en ayant bien conscience qu’elle se déclinait à des degrés différents pour chacun·e d’entre nous :
 pour le ministère, le rectorat, le réseau Canopé, l’incertitude portait sur le mode collaboratif du projet jusqu’ici inédit ;
 pour les équipes, en écrivant ce qu’elles faisaient, elles prenaient le risque de s’exposer au regard d’autrui ; l’une des équipes nous a d’ailleurs dit : « il fallait accepter une certaine forme d’inconfort liée à la nouveauté, à l’inconnu » ;
 pour les accompagnateurs Canopé, c’était le fait d’être mis dans une position nouvelle : celle d’ami-critique.
Si tout le monde a pu accepter cette prise de risque, c’est sans doute parce que le cadre, plus que le protocole, était sécurisant.
De surcroît, quand on initie ce type de dispositif, on doit être consciente des effets qu’il ne manque pas de produire chez les collègues (rectorat, Canopé). En effet, même lorsqu’une telle initiative ne revêt pas la forme d’injonctions ou de prescriptions, le fait qu’elle émane du ministère suffit à l’imposer comme une commande, les obligeant à l’accepter. De côté des équipes enseignantes, ce qui s’est joué n’était pas de même nature, puisqu’elles étaient volontaires. Toutefois, sans parler de défiance, il y avait au départ de la méfiance mêlée d’étonnement vis-à-vis de la démarche : qu’est-ce que cachait cette attention portée à leur travail ? En quoi ce qu’elles faisaient pouvait intéresser l’institution ? Il faut bien mesurer ici tout ce que représente LE ministère, cette instance parisienne loin du terrain et de ses préoccupations, d’où partent les injonctions. En être les représentantes crée de fait une distance.

On peut le déplorer, mais c’est une réalité. La refuser est la pire des choses. Il faut au contraire en être consciente sans pour autant en tirer profit.
Assumer cette position et ce qu’elle représente sans chercher ni à la dénier ni à s’en servir à mauvais escient, c’est finalement savoir conjuguer la dissymétrie des places avec la symétrie relationnelle. C’est pour tenir compte de cela que nous avons refusé – et ce n’est pourtant pas l’envie qui nous a manqué – de nous immiscer dans les groupes de travail. Nous savions en effet que par notre seule présence, même silencieuse, nous allions modifier l’attitude de chacun·e des membres de l’équipe, qu’il n’y aurait pas la même liberté de parole, que les échanges s’en trouveraient nécessairement perturber. Au fil de nos rencontres, la confiance, que nous avions donnée, dès le début et de manière inconditionnelle aux équipes (sachant que nous les embarquions dans un projet qui, au départ, était le nôtre) – confiance qui est rappelons-le, le gage de la réussite de tout projet – nous a été rendue et le regard porté sur l’institution a progressivement changé ; ce qui n’est pas la moindre de nos satisfactions.
Par ailleurs, nous avons impulsé ce projet sans brutaliser les équipes. Nous souhaitions les inciter à faire quelque chose pour nous (produire des ressources pédagogiques), mais cela supposait de notre part de créer les conditions pour qu’elles puissent le faire. Ainsi, nousn’avons pas imposé un travail supplémentaire aux équipes, nous leur avons dégagé du temps pour travailler à ce projet. Pour autant et comme nous le leur avions annoncé, leur investissement a été tel que le temps de travail, qu’elles ont fourni entre deux regroupements, a été largement supérieur à celui dégagé lors des sessions de formation. Comme quoi, la motivation provient bien de l’intérêt porté à son travail, elle n’est pas première.

5. Et après ?
Cette formation action qui partait du postulat de l’impossibilité de l’essaimage a en fait essaimé : certains projets d’école ont été repris au niveau de leur circonscription ; la démarche de coopération entre élèves a « rayonné » (selon les termes mêmes d’une équipe) au sein de l’école (inscription dans le projet d’école) ; d’autres équipes nous ont dit que cette démarche de coopération entre élèves avait été intégrée dans le plan de formation des circonscriptions ou qu’elle avait fait l’objet d’échanges au sein des conseils écoles/collège. L’année suivante, cette formation action a essaimé dans l’académie de Reims sur la thématique des réseaux apprenants.
Et puisqu’en commençant cette intervention, j’ai regretté que les principaux participants soient absents, je voudrais cités les propos qu’elles et ils ont tenus dans le cadre de l’évaluation collective du projet.
➢ A la question « se remémorer une situation dans laquelle la mayonnaise a pris ? », les participant·es ont répondu :
 écriture comme objet de travail
 écrire sa pratique à la première personne du singulier
 prise de conscience de l’intérêt de l’institution
 envie préexistante de transmettre l’expérience professionnelle

➢ A la question « qu’est-ce qui a permis à l’équipe projet de fonctionner ? », les participant·es ont déclaré :
 investissement individuel et collectif (temps, disponibilité)
 conditions de la prise de parole et échanges au sein du groupe (bienveillance, confiance, estime, connaissance et reconnaissance, absence de discours descendant)
 cadre de travail formalisé et structurant (formation en alternance avec échéances régulières et programmées, modalités de travail variées)
 accompagnement
 regards croisés et pluralité de points de vue
 engagement du coordonnateur (interface avec l’institution)
 situation de l’écriture mettant chacun·e au même niveau
 feedback entre les membres de l’équipe, les accompagnateurs (canopé chercheur)
 conditions techniques
➢ A la question « qu’est-ce que le groupe de l’équipe-projet vous a donné/appris ? », les participant·es ont indiqué :
 explicitation de sa pratique professionnelle
 réflexivité
 valorisation de sa professionnalité (crédibilité, légitimité, assurance)
 reboostage
➢ A la question « en quoi vous a-t-il aidé ? », les participant·es ont mis en avant :
 formalisation de sa pratique professionnelle
 ajustement de sa pratique grâce à l’accompagnement d’un chercheur
 enrichissement de sa pratique
 travailler avec les autres et pour les autres
 être en sécurité.

Je vous remercie pour votre attention.
Fabienne Federini

 

Note : le site OZP a sauvegardé les productions de Canopé concernant les formations actions de la Dgesco, notamment celles menées dans l’académie de Nancy
Archives EP de Canopé : RUBRIQUE MUTUALISER, à déplier (12 actions et 4 dossiers)

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