> III- INEGALITES : Mixité sociale, Pauvreté, Ethnicité, Laïcité... > Mixité sociale, Carte scolaire/Sectorisation (hors EP) > Mixité soc., Carte/Sector. (Pays étrangers) > 19.01.07 - Un reportage dans une Grande-Bretagne sans carte scolaire

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

19.01.07 - Un reportage dans une Grande-Bretagne sans carte scolaire

19 janvier 2007

Extraits du « Nouvel Observateur » du 18.01.07 : Le collège en libre service

Elle est au coeur de la campagne pour l’élection présidentielle. En France, la carte scolaire divise. En Grande-Bretagne, elle a été abolie. Pour quels résultats ?

Reportage de Caroline Brizard

de notre envoyée spéciale à Londres

’ So complicated ! ’ Liza a dû lister par ordre de préférence six collèges où elle aimerait inscrire son fils en sixième, à la prochaine rentrée. Il lui a fallu près d’un an pour se forger une opinion. Elle avait l’embarras du choix. Rien ne l’obligeait à se limiter aux douze établissements de l’arrondissement de Wandsworth, où elle habite, au sud de la Tamise, près de la vieille centrale thermique de Battersea et ses quatre cheminées blanches. Elle a donc fait les « portes ouvertes » des collèges. Essuyé quelques refus d’emblée : « Je voulais l’inscrire dans un collège catholique qui a excellente réputation, mais on m’a demandé un certificat délivré par le curé de ma paroisse prouvant que j’allais régulièrement à la messe. Or nous ne sommes pas très pratiquants, j’ai renoncé. » Epluché les brochures. Comparé les performances... Car le ministère de l’Education joue la transparence. Une transparence diabolique. Il met chaque année sur son site les résultats aux évaluations nationales (league tables) de tous les collèges... « On croule sous les informations », résume Liza.

Dans la bibliothèque bleu et blanc de John Burns School, une école primaire de Wandsworth, d’autres mères soupirent à l’unisson. Maura Keady, la directrice de l’école, frange brune et yeux bleu vif, a passé des après-midi à aider des parents angoissés à déblayer le terrain. « Il faut faire des choix réalistes, éviter de demander un établissement trop sélectif où il n’a aucune chance d’être pris... », résume-t-elle. Les bons établissements sont très demandés. Alors ils sélectionnent, ce qui leur permet de conserver leur bonne place dans les classements. Une sorte de cercle vertueux. Tous les futurs collégiens passent donc un examen au début de CM2 fondé sur des tests d’intelligence. « D’habitude, les parents le préparent avec leur enfant à la maison, en s’aidant de livrets qu’ils achètent cher en librairie. J’ai préféré prendre un répétiteur », explique Sharon, une femme blonde d’origine irlandaise. Coût ? 30 livres l’heure (45 euros environ).

« Je reconnais que ce n’est pas simple » : dans son bureau aux boiseries claires des services scolaires de Wandsworth, Graham Carter, enfoncé dans un grand fauteuil de cuir, pratique l’euphémisme. Il a le sourire un peu gâté, le front dégarni et un regard bleu enfantin. Ce gourou des admissions a conçu un programme informatique, le Pan London Admission System, qui centralise « les quelque 3 639 candidatures à voeux multiples d’entrée en sixième, soit des enfants de l’arrondissement, soit des enfants d’ailleurs mais qui veulent s’inscrire dans l’arrondissement ».
Les listes font ensuite des allers et retours entre l’administration locale et les collèges. En mars prochain, tout le monde devrait être casé. « La suppression de la carte scolaire permet plus de brassage », estime Graham Carter, satisfait. Moyennant quoi certains collèges surfent sur une rente de situation, et d’autres sont condamnés à survivre.

En haut du classement, le collège Graveney, à Wandsworth, est l’un des établissements les plus courus de Londres. On longe de jolies maisons avec leurs bow-windows, on passe une vieille église et on atteint l’entrée de l’établissement bon chic bon genre. Les élèves en uniforme bleu marine semblent sortis d’un pensionnat des années 1950. Ici, une demande d’inscription sur dix est satisfaite. « Chaque année, sur 250 élèves qui entrent en sixième, nous prenons d’abord les 63 élèves qui ont obtenu les meilleurs résultats aux tests d’entrée, peu importe où ils habitent. Puis une centaine d’enfants qui ont déjà un frère ou une soeur dans l’école. Quelques enfants qui ont des problèmes médicaux et, s’il reste de la place, ceux qui habitent à proximité », explique Angela Buggey, l’opulente responsable des admissions... Emma, une jeune femme en veste de cuir, cheveux orange et clou sur la langue, habite à 300 mètres de Graveney. Son fils est entré au mérite. Mais la fille de sa voisine, bonne élève pourtant, a été recalée. Du coup, chaque matin, sa mère la conduit en voiture dans un collège à vingt minutes de là. « Pour l’équilibre de l’enfant, c’est absurde », tranche Emma.

Dans ce marché scolaire sauvage, on trouve à l’inverse des collèges qui n’accueillent plus que les bras cassés. Ils ont de mauvais résultats, qui entretiennent le désamour des parents. A John Paul II, par exemple. En 2004, le collège comptait 600 élèves. En 2006, 470. Une véritable hémorragie. Planté en haut d’une colline couverte de parcs et de jardins, c’est un bâtiment sans caractère, à grandes baies vitrées. « Si nous ne redressons pas la situation, le ministère menace de fermer l’établissement », résume Robert Cooper, un concentré d’élégance anglaise. Ils sont sept, à Londres, à être ainsi menacés. Robert Cooper, un homme de marketing, est envoyé par le ministère de l’Education pour reconstruire l’image du collège. Dans son bureau sans confort, il a punaisé les mesures décidées avec la direction depuis la rentrée. D’abord : « Réduire le temps de récréation et de repas : les élèves ont moins de temps pour se battre », explique-t-il. Autre mesure vitale : trouver de l’argent... Robert Cooper monte un dossier pour solliciter les entreprises.

La menace peut être salutaire. Si le collège John Paul II est aujourd’hui sur la corde raide, Battersea, un autre collège de Wandsworth, a réussi son rétablissement. Dans le hall, l’administration a affiché les photos d’un match de foot hautement symbolique, les bien-nés de la très aristocratique pension privée d’Eton (voir encadré) contre les pauvres de Battersea. « 2 à 0 pour Battersea ! » énonce fièrement Gale Keller, un homme roux au regard bleu, le visage grêlé, deux grosses bagouses de manouche à l’annulaire qui contrastent avec son costume de flanelle grise. C’est lui le principal survolté de ce collège que le ministère considérait comme perdu il y a cinq ans. Son prédécesseur, épuisé par les revers, avait jeté l’éponge. Gale Keller est arrivé en 2001. « La première année a été si dure que j’ai pensé tout abandonner », avoue-t-il.
Mais il a recréé une équipe. Resserré la discipline. Martelé son message : « Je pense passionnément que l’éducation est la clé de la liberté. » Les meilleurs élèves sont gratifiés de petites clés de métal, de couleurs différentes, à clipper sur leur veste. Au début de son mandat, 4% des élèves avaient obtenu la moyenne à l’examen final (GCSE) que l’on passe à 16 ans. En 2006, 50%. « Nous avons reçu le prix de l’école qui avait le plus progressé en Angleterre, ce qui nous a valu d’être reçus au 10 Downing Street », dit-il.

Le système permet à de telles personnalités de donner le meilleur d’elles-mêmes. Il reste pourtant terriblement injuste. « On fait croire aux parents qu’ils ont le choix, mais c’est faux ! Ce sont les écoles qui choisissent », peste Margaret Tulloch, une syndicaliste à petites lunettes rondes qui milite depuis trente ans pour un système éducatif plus juste. Pis : « Les parents les plus pauvres, à moins d’avoir un enfant exceptionnellement brillant, n’ont pas les moyens d’être admis dans les bons collèges.
 » En 2005, une étude de la prestigieuse School of Economics de Londres a fait grand bruit. Elle montre que la mobilité sociale en Grande-Bretagne a baissé depuis trente ans. Comparé à d’autres pays développés, le royaume de Sa Majesté est la lanterne rouge, loin derrière le Canada, l’Allemagne ou les pays nordiques. Une mauvaise performance attribuée aux effets de la mondialisation... et au libre choix de l’école laissé aux familles. « Depuis dix ans, les écarts se creusent entre les meilleures écoles et les moins bonnes, confirme Stephen Ball, sociologue au London College for Education.

Le gouvernement tente bien de multiplier l’offre scolaire, mais toutes les mesures faites pour mieux partager le gâteau profitent surtout aux classes moyennes. » A bon entendeur...

-----------

Le secondaire en Grande-Bretagne
 4 millions d’élèves
 5 948 établissements privés et publics
 11% des établissements sont classés « remarquables »
 12% des établissements sont classés « en échec grave »

-----------

Caroline Brizard

Le Nouvel Observateur

Répondre à cet article