Réflexions sur les contrats dans l’éducation prioritaire, par Alain Bourgarel

28 mars 2007

Réflexions sur les contrats dans l’éducation prioritaire

Alain Bourgarel, membre du bureau de l’OZP

Ce texte est la transcription d’une des participations à la table ronde tenue lors de la Rencontre académique Education prioritaire organisée par le rectorat de Créteil à Cachan le 7 mars 2007, rencontre qui a réuni des principaux de collèges, IEN et coordonnateurs des territoires prioritaires de l’académie.
Thème de la table ronde : La contractualisation des REP
Le compte rendu de la rencontre sera probablement publié prochainement sur le site du rectorat.

Un terme employé abusivement
Le terme de « contrat » ici nous apparaît abusif : il renvoie à une forme juridique qui ne peut exister à l’intérieur d’une hiérarchie.
De plus, si les acteurs de part et d’autre du contrat donnent priorité à l’apparence, aux mots, à la conformité aux règlements, à la soumission aux désirs des chefs... plutôt qu’aux finalités et objectifs opérationnels, le document appelé « contrat » se révèle vite une imposture. S’ajoute à cela la question des délais : à l’administration la fixation des délais et le temps de la réflexion, aux territoires prioritaires l’exécution en un temps trop court pour l’élaboration collective, ou, tout au moins, pour le débat entre les plus concernés.

Mais, heureusement, ce n’est pas toujours le cas !
Signalons que de véritables contrats existent pourtant dans l’Education nationale : les contrats quatriennaux des Universités. Là, une partie des moyens est négociée et le système de gestion est discuté. Il y a négociation entre deux contractants ayant la possibilité de s’opposer à l’autre.

Les contrats actuels peuvent être des leviers
Cela dit, faut-il jeter aux chiens les contrats de réussite scolaire et autres contrats plus récents (COS et CAR) ? Soyons réalistes et positifs et considérons que ces contrats peuvent être des leviers : engagements réciproques, ils invitent les uns et les autres à travailler avec plus de clarté. On ne diabolisera donc pas le terme de contrat utilisé par des enseignants pour représenter les rapports qu’ils rêvent d’instaurer avec l’institution, ou galvaudé par des ministres dans des opérations de communication politique. On le prendra dans le sens banal d’engagement réciproque et non comme un instrument juridique dont l’exécution peut être appréciée par les tribunaux.

Du formalisme au réalisme
Monsieur le Recteur nous a invités à passer « de l’incantation à l’action », je vous inviterai à passer « du formalisme au réalisme ». A partir de là on peut poser deux questions :

1° - Le Recteur ou l’Inspecteur d’académie peuvent-ils sérieusement s’engager au nom de l’institution, et sur plusieurs années ? De nombreux exemples tendraient à prouver que non. On peut imaginer dans l’avenir... mais nous n’en sommes pas là.
Au minimum, il faudrait clarifier la question de l’engagement sur les moyens, puisque c’est sur ce critère que l’opinion et les enseignants jugeront si le contrat est respecté : de bien distinguer les moyens attribués au titre du contrat et les moyens attribués au titre du fonctionnement normal.
Ainsi, actuellement, les diminutions de dotations horaires ou les suppressions de postes pour la prochaine rentrée scolaire sont vécues dans certains RAR comme une reprise des moyens attribués au titre du classement en réseau « ambition réussite », donc comme un manquement à l’engagement pris, alors qu’on peut comprendre qu’une diminution des effectifs d’élèves se traduise par une diminution de la dotation, même en RAR.

Or on constate que, dans ce cas aussi, l’institution ne communique jamais avec la population. Parfois, par la voie hiérarchique, et encore ! Aussi des décisions justifiées ne peuvent être comprises. Cette impression de renoncement de l’administration vis-à-vis des engagements du contrat est habituelle. Il vaudrait mieux que l’impression et ses conséquences n’existent que quand il y a effectivement renoncement.

2° - A quelles conditions un principal de collège ou un Inspecteur de l’Education nationale peuvent-ils engager la communauté scolaire en signant un contrat ? Là aussi, il y a abus si l’on n’annonce pas clairement la réalité des faits.
D’abord, il faut respecter les conditions d’élaboration du contrat : du temps est nécessaire pour la réflexion, le débat. Ce temps là ne peut pas s‘insérer dans le calendrier resserré d’un ministre désireux de montrer à l’opinion des résultats convaincants dans des délais courts. Ceux qui tiennent les délais, sans caricaturer la démarche de contrat, sont ceux qui étaient déjà prêts et mettent à jour les résultats de travaux collectifs antérieurs.
Actuellement, on demande, au hasard d’impulsions ministérielles, à tous les établissements - ou à toutes les ZEP - de fabriquer dans des délais impossibles à tenir, des contrats de réussite ou des projets pour les RAR.

Il est très regrettable que l’immense acquis qu’a constitué l’élaboration des projets de zone en 1982 et 1990, puis des contrats de réussite en 1999 et des « CRS », contrats de réussite scolaire, à partir de 2003, ne soit utilisé : on a expérimenté à travers toute la France différentes méthodes d’élaboration pour intéresser, questionner, faire débattre ceux qui auraient ensuite à mettre en œuvre ces projets et contrats. De nombreuses descriptions ont été faites, notamment par le Centre Alain Savary (INRP). Et malgré cela, on recommence aujourd’hui à élaborer des contrats entre « quatre z’yeux », ceux du responsable et ceux du coordonnateur.
Il n’est pas facile d’associer un grand nombre d’enseignants à l’élaboration des contrats (encore faudrait-il toujours essayer). Aussi est-il nécessaire de prévoir un temps « d’adoption » une fois le contrat signé. Faute de cette étape, le contrat restera un document sans effets. Pourquoi, alors, l’avoir signé ?

Les contrats qui représentent vraiment une partie des enseignants qui les mettront en œuvre sont ceux qui ont été élaborés petit à petit par concertations et expérimentations. Si l’administration demande alors un projet, il sera vite élaboré et correspondra à l’adaptation de la réglementation nationale aux réalités du territoire concerné. Ce sera, hélas, une minorité.
A l’opposé, il faut considérer les territoires où les difficultés sont immenses et les dysfonctionnements anciens et profonds. Il est alors nécessaire que l’administration prenne toutes ses responsabilités : les équipes en place, oppressées par les urgences, ne peuvent élaborer de texte utile. Un plan d’accompagnement doit alors être décidé au niveau de l’inspection académique ou du rectorat. Le dispositif RAR, en principe, devrait supprimer ces situations, mais il est trop tôt pour pouvoir assurer que la question ne se pose plus.

Un peu de prospective
Pour terminer, faisons un peu de prospective : en ce qui concerne l’éducation prioritaire, et dans le cadre des développements récents de la politique de la Ville, pour sortir de l’impasse d’un contrat peu crédible entre un principal de collège et son recteur, on pourrait imaginer un contrat tripartite.
Il y aurait l’institution (Recteur ou IA), la communauté éducative (dont les parents d’élèves, qu’on ne questionne que rarement, ce qui est une manière de se créer des problèmes d’image et de manque de soutien) et les collectivités territoriales (avec la population du quartier).

La question délicate est évidemment d’organiser la représentation du troisième pôle. Mais l’expérience de 25 années de décentralisation commence à indiquer aux uns et aux autres leur place respective dans la pratique, au-delà des textes. Et finalement, ça ne se passe pas trop mal. Les avantages qu’aurait l’implication des collectivités territoriales dans de tels contrats seraient sans doute beaucoup plus importants que les inconvénients que nous avons, nous, membres de l’Education nationale, l’habitude de souligner.
Institution et réseaux ainsi s’engageraient devant la population et afficheraient les engagements, les initiatives, les innovations, les dispositifs mis en place et les résultats obtenus.

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1 Message

  • > Réflexions sur les contrats dans l’éducation prioritaire

    16 avril 2007 16:51, par Des enseignants en éducation prioritaire et "ambition réussite"

    D’accord avec votre critique sur le principe même de contrat appliquéà l’administration publique.
    Pour information, nous vous invitons à prendre connaissance de la contribution d’enseignants consultable à partir du lien ci-dessous.
    Dans notre établissement, le contrat "ambition réussite" est une compilation faite à la hâte de pratiques et dispositifs pour l’essentiel existants depuis de nombreuses années. Il a été signé avant d’être présenté en CA, de même qu’un avenant conclu à la veille des vacances avec la municipalité, dont les enseignants ne connaissent pas la teneur à ce jour.
    cordialement

    Voir en ligne : manifeste "15+3" pour une refondation de l’éducation prioritaire

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