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Présidentielle : des témoignages d’habitants de ZEP

17 avril 2007

Extrait de « La Croix » du 16.04.07 : Habitants des quartiers, ils jugent la campagne

« Le contenu de la campagne me déçoit »

Nordine Moussa, 44 ans, responsable de l’encadrement des adolescents au centre social de Saint-Mauront, 3ème arrondissement de Marseille

« Aucun candidat n’a de proposition pertinente pour les quartiers. Pourtant, après les émeutes de 2005, je m’attendais à ce que ce thème soit abordé mais ce n’est pas le cas. Ségolène Royal propose de ne laisser aucun jeune au chômage pendant six mois sans lui accorder un contrat aidé. C’est un rêve ! À Saint-Mauront, 70 % des 18-25 ans sont au chômage. Ils ne trouvent pas d’emploi à cause de la discrimination des entreprises vis-à-vis des CV aux noms à consonance étrangère.

Or, sur ce point, les candidats ne proposent aucune idée. Entre les propos maladroits de Nicolas Sarkozy qui veut nettoyer les cités au Kärcher et Ségolène Royal qui veut encadrer les jeunes en difficulté par des militaires, les politiques entretiennent une image négative du jeune et vice-versa. Pourtant, les jeunes sont très motivés pour aller voter mais ils ont le sentiment de ne pas être écoutés car lorsqu’un candidat organise un meeting à Marseille, aucun ne se rend dans les quartiers. »

« Les candidats ne parlent pas de nos vrais problèmes »

Caroline Ouaneh, 42 ans, élève seule un garçon de 14 ans dans le quartier rennais de Maurepas (Yvelines)

« On se sent montrés du doigt. Cela fait seize ans que je suis en France où je vis et je travaille et je n’ai toujours pas obtenu la nationalité française. Malgré mon bac commercial, je ne peux faire que des ménages. J’aurais voulu que les candidats parlent vraiment du travail, des salaires et surtout de l’éducation des enfants avec tout ce qui se passe dans les banlieues. J’ai l’impression au contraire qu’ils sont vraiment en dehors de tout ça. Je suis la campagne à la télé et dans les journaux mais dans le quartier on n’en parle pas trop. »

« Les zones urbaines ne marchent pas si bien que ça »

Louis Pelé, gérant, zone franche urbaine des Pyramides, à Évry (Essonne)

« Les présidentiables s’intéressent peu aux petites entreprises comme la mienne et aux zones franches urbaines. Quand c’est le cas, c’est pour nous en vanter les mérites. Mais ça ne marche pas si bien que ça. Nos entreprises sont souvent pénalisées par le mal-être des habitants. Et puis les allocations de chômage n’incitent pas les gens au travail. J’ai beaucoup d’absentéisme et un turnover très important : 10 à 15 employés par an, pour un effectif de 20 personnes !

Certains candidats prônent un allègement supplémentaire des charges. C’est essentiel. Mais il faudrait aussi rendre le gérant personnellement responsable en cas de faillite, sinon, certains entrepreneurs en profiteront et mettront la clé sous la porte dès que les exonérations s’arrêteront. Le retour aux trente-neuf heures pour relancer l’économie ? Je suis pour, mais ça ferait un tollé chez les employés. Or, ici, les gens ont déjà un très fort ressentiment contre le patronat. Quant au smic à 1 500 €, c’est une aberration. Il faudrait revaloriser tout le monde. Et je ne sais pas comment feraient les petites PME. »

« L’éducation est oubliée dans la campagne »

Benjamin Renard, professeur d’histoire, collège Romain-Rolland d’Argenteuil (Val-d’Oise)

« La campagne, nous l’avons vécue de près. Quand les candidats parlent de banlieue, ils évoquent la rénovation urbaine, la politique de la ville mais malheureusement pas l’éducation au sens strict. Mon collège est situé dans le quartier de la dalle d’Argenteuil, très médiatisé depuis que Nicolas Sarkozy y a parlé de « racaille ». Il est classé « zone sensible » et « prévention violence ». Au fil du temps, les résultats se sont dégradés. Nous avions 80 % de réussite au brevet il y a cinq ans, et seulement 50 % aujourd’hui. Nous nous battons actuellement pour récupérer nos heures de soutien scolaire. Mais on nous demande de remplir des contrats d’objectifs qui sont des carcans. Nos écoles sont différentes : il faut nous donner de l’autonomie et le droit d’expérimenter !

Je trouve bénéfique le débat, même limité, sur la carte scolaire. Car elle ne fonctionne pas. À Argenteuil, le privé est plein et le nouveau collège public va drainer les élèves de classe moyenne de mon établissement. Résultat : nous allons encore baisser de niveau. »

« Les gens débattent dans la rue »

Michel Obiégala, maire (PS) de Behren-lès-Forbach (Moselle), une des villes les plus pauvres de France, 10 000 habitants, dont la grande majorité en cité.

« Pour nous, une campagne électorale, c’est mauvais signe, car tout le fonctionnement des institutions est au ralenti. Notre projet de zone franche urbaine, par exemple, piétine, car il y a moins de présence sur le terrain des représentants de l’État, soumis au droit de réserve. Je trouve aussi que les candidats n’ont pas assez parlé des quartiers, et quand ils le faisaient, c’était en mal.

Mais j’ai aussi senti durant cette campagne une mobilisation formidable des habitants, un intérêt pour le fait politique, que je n’avais pas perçu il y a cinq ans ni même il y a encore trois semaines. Des associations s’organisent pour amener au vote, proposent des conférences sur la citoyenneté. Les gens débattent dans la rue. Quand ils prennent rendez-vous avec moi on sort des réclamations sur son propre petit bout de trottoir. Certains viennent juste dire qu’ils veulent s’impliquer politiquement. »

« Les candidats ont tous les mêmes idées »

Brian, sans emploi, 23 ans, habitant du quartier de Hautepierre, à Strasbourg

« La politique, ça ne m’intéresse pas, lance Brian. J’ai vu la campagne vite fait à la télévision, mais je préfère regarder les séries. Les candidats, ils parlent pour ne rien dire, c’est trop long. Ils ont tous les mêmes idées et ils veulent tous le pouvoir et l’argent. Dès que je vois un de ces personnages je change de chaîne. Ici, on fait un trait sur eux, ils ne nous rapportent rien à nous, les gens des cités. »

« J’ai envie d’y croire »

Fikri, peintre décorateur, 20 ans, quartier de Hautepierre, à Strasbourg

Dans un autre groupe de jeunes du même quartier, Fikri est beaucoup plus enthousiaste : « C’était très intéressant la campagne électorale. Cela parle de la vie de tous les jours. Je me suis informé sur les programmes à la télévision, dans les journaux gratuits et dans les Dernières Nouvelles d’Alsace que je trouve au café. Les candidats proposent plein de choses pour les jeunes générations, même si ce n’est pas encore assez. J’ai envie d’y croire. Il y a aussi des choses qui m’ont révolté, comme “la France, on l’aime ou on la quitte”, de Sarkozy, ou Ségolène, qui parlait de mettre les jeunes à l’armée. C’est la première fois que je vais pouvoir dire ce que je pense, alors je me sens libre. »

« Les candidats n’ont pas fait des quartiers une priorité »

Jamel Ghazouani, 24 ans, éducateur sportif (La Reynerie) à Toulouse

« Après les émeutes de 2005, les jeunes attendaient du concret. En vain. Ils ont l’impression depuis de lire une longue introduction, mais que le premier chapitre ne vient pas. La campagne ne change rien à cette frustration. Les jeunes, plus qu’avant, s’intéressent à la politique, se sont inscrits pour voter, mais n’entendent toujours pas des réponses à leurs questions. Beaucoup hésitent encore, comme moi, entre Bayrou et Royal. Ils espèrent de leur part un vrai programme à destination des jeunes, dans les quartiers et au-delà. S’adresser à toute cette jeunesse qui se désespère devrait être une priorité. Les candidats ne me semblent pas le réaliser. »

« C’est l’impression d’un manque de considération qui domine »

Karim Bouzembil, 37 ans, animateur socio-éducatif (Bagatelle), à Toulouse

« Franchement, les quartiers ont été abordés pendant la campagne surtout sous l’angle négatif de la lutte contre la délinquance. Une fois de plus, c’est l’impression d’un manque de considération qui domine. Alors les gens hésitent, ne sont vraiment rassurés par aucun des candidats.

La plupart des jeunes campent sur le « tout sauf Sarkozy ». Certains par provocation disent vouloir voter pour lui, pour voir si les choses tourneront vraiment à la guérilla urbaine. Tandis que des parents, inquiets, misent plutôt sur lui pour rétablir l’ordre. Les gens ne savent pas sur quel pied danser. Un exemple : aucune sensibilisation à l’écologie n’existe sur les quartiers. Autre exemple : la question de la carte scolaire. Mais, là encore, personne n’apporte de réponses très claires. »

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