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Extraits du site de « Confrontations », le 12.03.07 : Eduquer aux convictions : le tiers-lieu educatif
Des dangers menacent le passage des jeunes à l’âge adulte : le repli communautariste, la domination d’une doctrine officielle ou d’un « politiquement correct » trop souvent véhiculé par les grands médias, la marchandisation des loisirs. Mais aussi, malgré la multitude des sollicitations dont les jeunes sont l’objet, l’anomie et le repli devant un monde trop souvent indifférent aux problèmes qui les préoccupent. Minoritaires en effet sont ceux qui sont vraiment aidés à construire leur identité.
La société a besoin d’individus aux convictions fortes. Ils sont les vecteurs du progrès. Il faut des lieux où on se préoccupe de l’acquisition des convictions.
Il existe dans la société plusieurs institutions et divers lieux qui contribuent à l’éducation des jeunes. Cette pluralité est un fait, et elle est justifiée en droit. Demander à l’école d’être responsable du tout de l’éducation, c’est la surcharger inutilement. En complément de leur famille et de leur école, les jeunes ont besoin d’un troisième lieu.
La conviction de l’éducabilité de tous les jeunes est selon nous au cœur de toute entreprise éducative. Elle doit fonder l’effort que nous attendons des pouvoirs publics pour que l’éducation des convictions par le tiers lieu éducatif ait un sens et soit possible.
Dans la construction des convictions de chacun, il faut rappeler que le choix des critères correspond à deux mouvements distincts. Il est en effet nécessaire de distinguer
- d’une part l’apport de valeurs que la société considère comme des universaux, qui sont traduites dans le droit positif et doivent être partagées par tous (droits de l’homme, égalité homme/femme, bioéthique, liberté dans le choix de ses engagements etc.)
- d’autre part l’appropriation individuelle des convictions lorsque ces mêmes valeurs sont reçues et adoptées par les individus pour commander leurs décisions et leur action. Elles peuvent résulter de choix propres à chaque personne, philosophiques, religieux, sociaux, politiques...
La laïcité fournit un cadre pour l’organisation de l’ensemble et le dialogue entre les diversités.
En pratique, des lieux où les jeunes puissent construire leurs convictions pour l’action et la réflexion sont nécessaires. A côté des savoirs objectivement établis et des valeurs communes qu’enseigne l’école, les convictions relèvent de la liberté du sujet ; elles se réfèrent au croire ou à la signification que chacun donne à sa vie, qui, par nature, échappe au cadre scolaire mais qui est indispensable à la vie démocratique et à l’exercice de la liberté du citoyen.
Ces lieux constituent ce que nous appelons le « tiers lieu » éducatif, qui comprend aussi d’autres lieux spécialisés, par exemple pour les loisirs, le sport, la musique, les arts etc. Chacun comporte, ou peut comporter, des aspects spécifiques qu’il y a lieu d’analyser et d’évaluer : par exemple, les valeurs du jeu de rugby ne sont pas celles du football.
L’association est le mode juridique d’existence de ces divers lieux. Beaucoup d’entre eux ont leur histoire, ils sont l’expression locale de mouvements d’éducation populaire, de mouvements de jeunesse, riches de traditions éducatives qu’il importe de valoriser dans le temps présent.
Les diverses institutions éducatives ne peuvent vivre enfermées sur elles-mêmes, une émulation entre elles mais aussi une complémentarité sont nécessaires. Celle-ci est rendue possible par la procédure d’agrément par les pouvoirs publics. Ces derniers ont nécessairement leurs critères qui traduisent les universaux de la société : respect des droits de l’homme, des valeurs du développement humain et de la solidarité. Ils doivent aussi respecter la diversité des engagements, éviter des carcans réglementaires qui étouffent des initiatives, comme pour l’éducation au risque par exemple.
Les municipalités, parce qu’elles sont proches des populations dont elles sont issues, ont un rôle fondamental à jouer pour susciter et réguler le tiers lieu, préciser les objectifs et articuler entre elles les diverses institutions éducatives. Au plus près des acteurs, elles peuvent organiser par exemple la coopération entre Ecole et associations pour l’accompagnement à la scolarité. Elles ont les moyens de procéder à l’analyse des besoins, d’aider les associations : pour la formation de leurs cadres, par des aides matérielles (subventions, locaux...). L’ouverture à tous est un critère important pour l’attribution de l’aide publique.
La régulation du tiers lieu éducatif est un moyen de surmonter la tension parfois vive chez les jeunes entre le « vivre ensemble » et l’affirmation des différences. Là se construit la paix civile.
Rendre possible l’éducation des convictions au bénéfice de tous les jeunes est aussi un moyen de lutter contre des discriminations sociales et géographiques : ce doit être une grande ambition pour notre pays.
Ce document a recueilli la signature notamment de
Guy Aurenche, Arnold Bac, Francine Best, Guy Coq, Georges Dupont Lahitte, Eric Favey, secrétaire national de la Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente,
Jean Gasol, Michel Gevrey, Farid Hamana, président de la Fédération des conseils de parents d’élèves de l’école publique, ( FCPE), Christian Join-Lambert, Guillaume Légaut et Françoise Parmentier, président et vice-présidente des Scouts et Guides de France, Philippe Meirieu, Didier Motchane, Blaise Ollivier, président de Confrontations AIC, Jean-Louis Piednoir, Jean Planchais, (récemment décédé), Bertrand Schwartz et Edmond Vandermeersch.
A l’initiative de Confrontations AIC (association d’intellectuels chrétiens), s’est formé un groupe de personnes de sensibilités ou d’organisations différentes, chrétiennes et laïques, jamais réunies dans ces conditions jusqu’ici. Présenté sous forme d’une analyse suivie de propositions, et dûment signé par ses auteurs, le texte qui suit est la conclusion du travail d’un groupe qui s’est réuni à partir de février 2004 sur le thème de l’acquisition des convictions dans un espace dénommé « tiers lieu éducatif ». Cinq réunions ont été organisées et ont donné lieu à débats dont les comptes-rendus ont été distribués en leur temps, Ils témoignent, au-delà d’une irréductible diversité des points de vue, de constatations communes notamment sur les origines de nos difficultés éducatives et sur les remèdes à y apporter.
Deux constatations importantes fondent notre analyse.
Il y a mutation, c’est-à-dire crise, des grands systèmes de convictions politiques, économiques, philosophiques ou religieuses. Un bref rappel est nécessaire. Les grandes idéologies sont en déclin. Les causes en sont diverses. L’individualisme méthodologique progresse, quand ce n’est pas la revendication d’identité ou d’indépendance des petits et des grands groupes sociaux. S’y ajoute l’éclatement des structures de tous ordres qui ont longtemps servi d’ancrage aux individus. Les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire vivent difficilement. Soumis à des influences contradictoires, et devant des problèmes nouveaux que les adultes ne leur commentent pas suffisamment, trop de jeunes sont tentés par le repli sur eux-mêmes et l’anomie...
La nécessité de l’éducation n’a jamais été aussi vivement ressentie. A l’appui de ce second constat, on citera comme témoins : les parents, qui souhaitent être aidés pour répondre aux conséquences de la démocratisation des collèges et des lycées, les enseignants, de plus en plus convaincus que l’éducation est un pré-requis de l’enseignement des disciplines, alors que tout apprentissage est éducatif. Les médias, de leur côté, sauf exceptions, confisquent une influence éducative au service de leurs seuls intérêts.
Les propositions ci-dessus sont faites pour être soutenues par ceux qui veulent agir. Elles portent sur le contexte, les choix fondamentaux et les perspectives concrètes à retenir aujourd’hui.