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Marco Oberti : « Agir d’abord contre la ségrégation urbaine »

19 juin 2007

Extrait de « L’Humanité » du 16.06.07 : Agir en amont contre la ségrégation urbaine

Par Marco Oberti, sociologue à Sciences-Po Paris (1).

L’objectif de mixité sociale de la carte scolaire s’est d’emblée heurté à deux facteurs : un état de la ségrégation urbaine, d’une part, et la présence d’un secteur éducatif privé y échappant, d’autre part. S’y rajoute le recours aux dérogations ou aux fausses adresses. D’autres phénomènes plus récents ont également contribué à sa fragilisation : la peur du déclassement au sein même des classes moyennes, la stigmatisation des quartiers populaires, la diversification de l’offre scolaire, et enfin la sélectivité scolaire des classes supérieures et d’une partie des classes moyennes.

On a ainsi assisté en milieu urbain à une différenciation sociale et scolaire croissante des établissements publics et privés, en particulier des collèges, amplifiée par les pratiques d’évitement des groupes sociaux les plus favorisés et les mieux informés. Dans une grande partie de la banlieue francilienne, les établissements publics et privés les mieux dotés et les plus attractifs sont concentrés dans les beaux quartiers ou les communes favorisées. Il s’agit donc d’un dispositif profondément inégalitaire qui fixe les enfants d’origine populaire et immigrée dans les établissements de proximité les plus défavorisés et stigmatisés, alors que les classes les mieux dotées opèrent des choix plus stratégiques à une plus large échelle.

Pourtant, les précédents gouvernements, de gauche comme de droite, n’ont pas jugé nécessaire d’envisager une réforme profonde d’un dispositif si hypocrite et avalisant sur le plan scolaire des inégalités sociales inscrites dans l’espace urbain.

Doit-on pour autant la supprimer ?

C’est sans doute aller un peu vite en besogne et sous-estimer un certain nombre de dangers. Tout d’abord, celui d’un renforcement de la stigmatisation des établissements les plus en difficulté et donc des populations qui y resteront, même si l’offre scolaire est rendue plus attractive. On peut craindre également une sélection renforcée par les chefs d’établissement qui pose la question de la régulation des demandes d’affectation.

Certes, des critères sociaux, familiaux et géographiques ont été indiqués, mais ils restent flottants. Enfin, la capacité à être mobile est inégalement répartie et risque de pénaliser considérablement les classes populaires si la question de l’aide à la mobilité (et pas seulement sous l’angle financier) n’est pas davantage prise en compte. Elle implique également de mieux informer ces catégories sociales.

La dernière limite est celle de la capacité d’accueil limitée des établissements. Plutôt que de se diriger vers une réduction des effectifs dans tous les établissements, on risque de trouver, d’un côté, des classes surchargées et, de l’autre, des collèges de moins en moins demandés.
La « liberté de choix » est un leurre car tout le monde ne peut pas choisir.

D’autres pistes sont pourtant envisageables. Il n’est pas, tout d’abord, utile de penser le même dispositif pour toute la France, sachant que les contextes des zones rurales et des petites villes sont bien différents, et que la question concerne principalement les grandes agglomérations.

La première option consiste à redéfinir des secteurs plus larges à partir des bassins scolaires et donc de s’affranchir des frontières municipales dans la banlieue. La deuxième piste complémentaire consiste à rééquilibrer l’offre scolaire entre les collèges, et à l’homogénéiser.

Plutôt que de « spécialiser » des établissements dans l’accueil des élèves en difficulté, et ainsi les stigmatiser, on pourra agir directement auprès de ces élèves de façon individualisée. Il faut enfin soumettre les établissements privés sous contrat, donc bénéficiant de fonds publics, à cette nouvelle sectorisation et les impliquer dans la régulation territoriale de l’offre scolaire.

Cela pose la question de l’instance adéquate pour élaborer et décider, sachant que, depuis les lois de décentralisation de 2004, la sectorisation des collèges relève des conseils généraux, alors que les dotations, les affectations et l’offre scolaire dépendent de l’inspection académique. C’est en agissant simultanément sur les deux aspects, le profil social et l’offre scolaire, que l’on pourra atténuer la crispation des parents et se rapprocher de l’objectif idéal de l’égalité des chances.

Il serait surtout plus efficace d’agir en amont contre la ségrégation urbaine (renforcer et faire appliquer la loi SRU) et d’articuler davantage les politiques urbaines et scolaires. Toutes les études montrent que les enfants d’origine populaire tirent profit à fréquenter des établissements mixtes. Il serait inquiétant de renoncer à garantir cette mixité.

(1) Auteur de L’École dans la ville, ségrégation, mixité, carte scolaire Paris, Presses de Sciences-Po, 2007.

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