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Extrait de « L’Humanité » du 16.06.07 : Et maintenant ? Réinventer la réussite
Par Xavier Darcos, ministre de l’Éducation nationale.
De toutes les institutions de la République, l’école est sans doute celle qui est le plus intimement liée à l’idée du progrès social. Elle s’est toujours attachée à briser les injustices, imposer l’égalité, conduire ses élèves vers la liberté. Assurer la réussite de tous les élèves n’est pas donc pas un simple objectif de l’école, il est son principe même et elle n’a jamais cessé de se réinventer pour y parvenir.
Lorsque la carte scolaire a été créée en 1963, elle représentait un progrès certain pour l’institution scolaire, qui venait d’inventer les collèges d’enseignement secondaire et devait faire face à l’explosion démographique de ses effectifs. Dans une France qui ne connaissait ni les ZUP, ni le collège unique et ne se posait pas encore la question de l’intégration des enfants des immigrés qu’elle venait d’accueillir, elle était avant tout un outil de régulation des flux.
Il n’est donc pas étonnant et même légitime, que deux générations plus tard, les Français cherchent à réinventer un système conçu par leurs grands-parents pour une société totalement différente : à l’heure du MP3, qui voudrait du phonographe ? Mais faute de pouvoir adapter la règle aux réalités de notre temps, ils sont de plus en plus nombreux à la contourner, dans l’espoir d’assurer à leur enfant la réussite promise par la République. Peu à peu, à mesure que la population des quartiers urbains est devenue plus homogène, la proximité est devenue l’ennemie de la mixité. La carte scolaire, qui devait libérer les plus faibles du joug de la fatalité, les a progressivement enfermés dans un destin joué d’avance.
L’école reste le meilleur rempart contre les injustices. Mais elle ne peut continuer à l’être que si nous révisons profondément nos instruments de mixité sociale. Il ne s’agit pas de dire que certains établissements sont meilleurs que d’autres, mais d’affirmer qu’il y a des contextes sociaux qui favorisent davantage la réussite des élèves, à commencer par la diversité des origines, qui est une richesse pour tous. Au nom de l’égalité républicaine, peut-on prôner l’uniformité des origines ? Je ne le pense pas.
C’est pour cela que, comme s’y était engagé Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle, j’ai voulu desserrer le carcan de la carte scolaire dès la rentrée 2007 en autorisant davantage d’élèves à s’inscrire dans un établissement situé en dehors de leur secteur. En fixant des règles précises de sélection des dossiers, en donnant la priorité aux boursiers, j’ai tenu à placer la diversité sociale au coeur de cette première étape vers la suppression de la carte scolaire. Les recteurs d’académie veillent à la bonne application du dispositif et je suis convaincu que la rentrée 2007 se déroulera dans les meilleures conditions.
Il est toutefois un point crucial qui a pu susciter les interrogations du corps enseignant et des familles : que se passera-t-il si un collège est touché par des départs ? La réponse que je souhaite apporter est très claire : la dotation attribuée aux établissements qui perdent des élèves ne sera pas réduite en conséquence. Je m’engage, au contraire, à ce qu’elle soit maintenue pendant trois ans. Les établissements les moins attractifs pourront intégrer le dispositif Ambition réussite, qui permet de concentrer les efforts sur des établissements précis. Ce programme a déjà obtenu des résultats très encourageants. En cas de diminution des effectifs, les chefs d’établissement auront donc une marge de manoeuvre importante pour apporter des réponses personnalisées et rapides aux élèves qui rencontrent des difficultés. Ils disposeront de moyens pour imaginer des solutions originales propres à améliorer significativement les résultats des élèves.
À Guîtres, en Gironde, un collège obtenait des résultats au brevet bien inférieurs à la moyenne nationale. Cette situation a été analysée par l’équipe pédagogique qui a choisi de faire évoluer les méthodes d’enseignement. Leur décision a permis de rapprocher les résultats de la moyenne nationale. Lorsqu’on leur en laisse la liberté, les équipes pédagogiques savent élaborer des projets pédagogiques innovants et originaux. Ils sauront donc demain affiner les méthodes d’enseignement, pour permettre à chaque enfant, à chaque adolescent de surmonter ses difficultés et d’atteindre l’excellence. Je fais entièrement confiance aux personnels de l’éducation nationale pour mener à bien cette mission et je sais qu’ils feront une nouvelle fois preuve de la rigueur, de l’inventivité et du dynamisme qui les caractérisent. À terme, chaque famille pourra scolariser son enfant dans l’établissement qui lui correspond le mieux. Beaucoup de parents continueront probablement à choisir l’école ou le collège le plus proche, mais ils pourront être certains que ceux-ci sont porteurs de projets propres à assurer la réussite de chacun des élèves.
La suppression de la carte scolaire n’annonce évidemment pas le règne d’un grand marché libéral de l’école dont pâtiraient les plus faibles. Elle est plutôt le premier acte de la redéfinition d’instruments de mixité sociale adaptés à notre temps.
Réinventer la réussite, c’est aussi retrouver l’école.