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L’écrivain Olivier Adam a enseigné dans un LP d’une ZEP de Calais

27 septembre 2007

Extrait du site de «  France 2 », le 26.09.07 : Rencontre avec Olivier Adam

Son dernier roman, "A l’abri de rien", est sélectionné pour le Goncourt, le Renaudot, le Médicis
Un beau succès pour une histoire poignante (celle de Marie, mère de famille désoeuvrée qui vient en aide aux sans-papiers), et une reconnaissance supplémentaire pour un romancier de 33 ans désormais aguerri, qui vit de sa plume à Saint-Malo, loin des milieux parisiens qui l’indifférent.

Rencontre dans le bel immeuble du Seuil (la maison mère des éditions de l’Olivier, qui publient Olivier Adam depuis le début) avec un écrivain passionné, qui parle avec chaleur de ses livres et de ses combats.

Interview d’Olivier Adam

Comment en êtes-vous arrivé à écrire sur les sans-papiers ? Vous êtes vous documenté ?

Le travail n’a pas été d’apprendre des choses à ce sujet, ç’a été de les oublier. J’ai travaillé à Calais pendant trois ans, de 2002 à 2005, pour animer des ateliers d’écriture dans un établissement professionnel situé en ZEP.

J’étais donc à Calais, avant et après la fermeture de Sangatte. Les cours finissaient à 16h30. J’avais du temps, ne serait-ce qu’en me promenant, pour sentir les lieux, et la réalité vous sautait à la figure : il y avait là des centaines de réfugiés qui cherchaient à passer en Angleterre. On les voyait dans le centre-ville, le long des routes, près du port.

Après la fermeture de Sangatte, il y avait 200 à 300 migrants qui erraient dans la ville, cherchant où dormir. Alors que je marchais sur la plage une nuit, j’ai entendu les chiens, les flics, ils étaient vingt à vider quatre réfugiés qui s’étaient abrités dans un chalet (le nom des cabanes en bord de plage). Quand je me suis approché, les policiers m’ont dit de me casser. Autre scène qui m’a marquée : près des installations portuaires, j’ai vu 150 sans-papiers à la file. Au bout, des tréteaux, des Butagaz et quatre femmes bénévoles qui nourrissaient les réfugiés.

Tout ça c’est un écheveau, ça m’a interpellé, ce côté état de siège. Le prof avec lequel je travaillais, pour les ateliers d’écriture, aidait les réfugiés. Il en avait pris un jour dans sa voiture pour les transporter, des parents se sont plaints, invoquant les maladies, le risque de contagion pour les élèves. Tout est bon pour décourager ceux qui aident les migrants, la calomnie, l’intimidation, les convocations judiciaires et même les procès. Le livre s’est nourri de tout ça, même si l’image qui fonde le livre, c’est celle de Marie, cette femme qui vide ses placards pour tout donner aux réfugiés. Et l’autre image, c’est celle du fils qui voit partir sa mère dans la nuit et sait qu’il ne pourra pas dormir avant qu’elle rentre.

Il y a dans votre livre des phrases peu amènes sur le ministre de l’Intérieur de l’époque, aujourd’hui président de la République ...

Le livre est évidemment né d’une situation politique, le sarkozysme. Marie s’engage corps et âme, elle ne peut pas dire autre chose que "cet enfoiré de ministre de l’intérieur". Quand il dit "on va fermer Sangatte", ça a l’air abstrait, mais elle sait que c’est terriblement concret. Qu’on va priver les réfugiés d’un toit, d’une infirmerie. Qu’on va leur pourrir la vie, les enfermer dans des centres de rétention. Elle sait aussi que des migrants meurent, en essayant de passer en Angleterre. Par exemple en mettant la tête dans des sacs plastiques pour échapper aux sondes CO2 (qui détectent le gaz carbonique, donc la respiration). Le cinéma anglais engagé est né sous Margaret Thatcher. On parle d’un retour au réel dans le roman français, c’est peut-être le même phénomène.

En même temps, il y a un côté quasi-mystique chez Marie...

Dans son désir de transcendance, de don, il y a un truc limite Mouchette vue par Besson, ou Bernanos revu par Pialat. Pourquoi cette quête de pureté, de transcendance, alors que je suis plutôt athée ? Je ne sais pas. Etre écrivain, c’est faire l’expérience mentale de vivre d’autres vies que la sienne. Et les clé autobiographiques ne m’intéressent pas.

Une quête de sens ?

Oui. A force de vider les choses de leur sens, de réduire l’être à l’avoir, l’être humain au consommateur, il y a le retour d’une quête de sens. C’est aussi ça qui agite Marie, tout ce qui tend à la réduire : les émissions nulles à la télé, l’appel à la consommation. Elle manque d’air, ne veut pas se laisser enfermer pour de bon. Cette bulle d’air, c’est la place qu’elle a l’impression de retrouver dans l’aide aux migrants, ce concentré d’humanité.

Vous êtes sélectionné pour le Goncourt, le Renaudot, le Médicis, le prix Francetélévisions...

J’avais déjà été finaliste du Goncourt sans rien obtenir...Je suis le Poulidor des prix littéraires et je pense que je n’obtiendrai rien. Mais bon, autant être dans les sélections qui ont d’ailleurs des côtés assez sidérants. Cette année, des noms de "goncourables" ont commencé à circuler dès mai, juin - Yasmina Reza, Amélie Nothomb- sans même qu’on connaisse la qualité des livres. Il y a 700 bouquins qui sortent et tout le feu médiatique se concentre sur une petite dizaine de romans sélectionnés pour les prix littéraires.

Est-ce que le côté « social » sert ou dessert le livre ?

Il ne l’a pas desservi auprès du public, puisqu’on a dépassé 60.000 de tirage et que jamais un de mes livres ne s’est vendu aussi vite aussi bien. Maintenant, c’est très français de coller l’étiquette « social » à un écrivain travaillant sur un terrain sociologique qui est la France majoritaire, celle qui va dans les centres commerciaux et vit avec 1500 euros par mois. Pour certains critiques , prendre le RER, c’est kitsch, parler de la banlieue aussi ....

Vous vivez à Saint-Malo, loin du milieu littéraire parisien.

Avec ma compagne et ma fille, qui a maintenant 5 ans, on est parti il y a deux ans vivre en Bretagne. C’était en 2005 : j’ai commencé à pouvoir vivre uniquement de ma plume après le film "Tout va bien ne t’en fais pas", qui m’a permis de vendre plus de 160.000 exemplaires de mon roman en poche. Je me sens mieux auprès de la mer, parfois même elle me suffit. Et de Paris rien ne me manque, sauf mes amis ...qui viennent maintenant à Saint-Malo.

A quoi ressemblera le prochain livre ?

Il sera plus posé, plus apaisé. "A l’abri de rien " était un livre écrit avec le pied sur l’accélérateur, en adéquation avec le personnage et la situation décrite. Mais rien n’est sûr. Plus un livre marche (ce qui est le cas avec "A l’abri de rien"), plus vous pouvez prendre votre temps pour le suivant.

"A l’abri de rien » sera-t-il adapté au cinéma ?

A la télévision. Jean-Pierre Ameris qui avait déjà adapté au cinéma un de mes livres, "Poids léger", va en faire une fiction pour France 3. Ca s’appellera "Maman est folle », avec Isabelle Carré dans le rôle principal, et ça devrait être diffusé un samedi soir avant Noël. Ca amènera sûrement des spectateurs à s’intéresser à une histoire qu’ils n’ont pas lue, et aux sans-papiers de Sangatte ou d’ailleurs. Ce qu’il y a de drôle, c’est qu’au départ, personne ne voulait de cette histoire au cinéma.

Maintenant que le livre marche, les mêmes producteurs qui refusaient de s’y intéresser rappellent pour faire le film.

Que pense votre fille Juliette, 5 ans, de votre carrière ?

Elle éteint la télé quand elle m’y voit ...

Anne Brigaudeau

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