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Extrait de « 20 minutes » du 26.10.07 : « Ce prof de théâtre a changé ma vie »
Stéphane Guitline entre dans la salle et annonce : « On jette les chewing-gums, on jette les sucettes, il y a des poubelles là-bas. » Le théâtre au collège Jean-Jaurès de Montfermeil (93), c’est du sérieux. Mais aussi une grande liberté. « On peut faire de l’impro ? », demande un élève. Marie-Céline*, une comédienne qui accompagne le prof de théâtre, calme les ardeurs. « On va en faire, mais un peu plus tard. » A la fin du cours, les dix élèves se lâcheront et écriront leur prénom avec leur corps, en smurfant, en se servant des barreaux d’une chaise ou en s’allongeant.
Cela fait près de quinze ans que Stéphane Guitline, prof de français, anime l’atelier théâtre du collège. Et il faut entendre avec quel enthousiasme les élèves en parlent. « Il a changé ma vie », dit sincèrement un ancien élève, revenu assister au cours. Les professionnels aussi lui rendent hommage. Chaque année, les élèves sont invités dans des festivals à travers l’Europe où ils glanent de multiples récompenses. Guitline dit simplement : « On n’est jamais tombé au niveau des spectacles de fin d’année. On a de l’exigence, de l’ambition artistique. »
« Le théâtre est souvent un moyen de remettre les mômes sur les rails »
A première vue, le défi semble pourtant immense : comment sensibiliser à Brecht des gamins d’un collège de ZEP (zone d’éducation prioritaire) parfois très durs, violents, qui peuvent « écrire toute une rédaction sans y insérer la moindre ponctuation », comme le raconte une autre prof de français ? L’échec scolaire et le passé n’intéressent pas Guitline. « D’autant que la structure théâtrale est souvent un moyen de remettre les mômes sur les rails. » Et puis, « on n’apprend pas le théâtre comme on apprend la littérature. C’est du charnel. » Nadia, deux années d’atelier derrière elle, raconte : « J’adore monter sur scène. Le stress d’oublier son texte, avoir mal au ventre. C’est bizarre, non ? »
Le bouche à oreille assure la pérennité de l’atelier. Filles et garçons viennent en nombre (32 l’an passé), « et pas seulement ceux qui ne savent pas manier le ballon », précise le prof. Au début, les élèves redoutent la mémorisation. « Mais à la fin, ils connaissent toute la pièce par coeur. » Jusqu’en janvier, le lundi, entre 17 h et 19 h, on apprend à se déplacer, à s’étirer, à exercer sa voix. Plus tard, un week-end entier sera organisé loin de Paris. Le tout sans costumes, sans sono, sans moyens. « On a dû renoncer à se rendre à l’Institut français de Florence, une invitation extraordinaire, parce qu’il nous manquait 800 euros. Depuis seulement deux ans, on touche une subvention de la ville. »
Le théâtre comble pourtant un grand vide. « A Montfermeil, il n’y a rien, dit Guitline. Pour trouver un cinéma, il faut aller au Raincy où la programmation est accablante. L’autre jour, je les ai emmenés voir Andromaque au théâtre à Kremlin-Bicêtre : trois heures de transport. »
« Ici, il y a des trésors inexploités »
Il y a peu, ils sont aussi allés voir Médée au théâtre de l’Odéon (6e). « Plusieurs personnes m’ont dit : "Si on avait su que votre classe venait aujourd’hui, on ne serait pas venus." Alors que la pièce était ennuyeuse à mourir et que les élèves se sont parfaitement tenus pendant 2 h 30. Franchement, qui sont les bêtes fauves ? » Dans un autre théâtre, un metteur en scène accepte de rencontrer les élèves avant la pièce : « Génial ! Sauf qu’au lieu de leur parler de son boulot, il leur a fait un discours sur le code de bonne conduite à respecter pendant la pièce... »
Cela ne décourage pas les comédiens en herbe. Qui rencontrent d’autres obstacles. « Ici, j’ai eu des Rachida Brakni, un Jamel Debbouze. Mais l’une a fait une école de commerce pour pouvoir bouffer. Une autre, caissière chez Franprix. Ce sont des trésors inexploités. La littérature est un choix bourgeois. Ici, si on réussit c’est par les maths. Le français reste discriminant. La seule élève que j’ai eue qui ait imaginé faire une carrière artistique, c’était une fille de prof... »
Michaël Hajdenberg - ©2007 20 minutes
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