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Claude Jacquier, sociologue au CNRS, revient sur la politique de la ville et « les villes rouges - oranges et vertes »

29 novembre 2007

Extrait du site de l’Inter-réseau DSU, le 19.11.07 : Politique de la Ville : il faudrait y aller de la couleur maintenant ?

Interrogée sur la politique de la ville au 20 h de France 2 le mercredi 7 novembre 2007, la ministre Fadela Amara y est allé de déclarations fortes : « Il y a trop de sigles », « On s’y perd. Il faut simplifier ». Clou de son propos : « Il faut y aller de la couleur maintenant : du rouge pour les quartiers difficiles, de l’orange pour les quartiers fragiles, du jaune pour ceux en situation de presque basculement ». Comment se peut-il que personne n’y ait pensé : une ville en couleur ! Saisi d’un doute, n’aurais-je pas bien compris le message subliminal ?

Ces fortes paroles ont été prononcées au moment de la publication d’un nième rapport officiel, celui de la Cour des comptes, qui à nouveau s’en prend à cette pelée et à cette galeuse qu’est la politique de la ville. Combien de chapeaux ne lui a-t-on pas fait porter depuis une vingtaine d’années qu’elle existe ? C’est à se demander, d’ailleurs, si elle n’existe pas exclusivement pour cela, pour éviter qu’on se pose les bonnes questions sur nos absurdes manières de gouverner ! Serait-elle un leurre ?

Mais qu’est-ce que la politique de la ville et tout d’abord pourquoi a-t-elle vu le jour ? Des réponses à ces questions éclairent un peu mieux les décisions à prendre.
La politique de la ville a une longue histoire. On pourrait dire que ses prémisses remontent aux années soixante-dix quand on a commencé à se rendre compte que le devenir de la ville ne pouvait relever que de politiques sectorielles, celles du logement ou de l’urbanisme, et qu’il fallait aborder conjointement tout ce qui conditionne la vie des gens.

Diagnostic banal s’il en est, solutions aisées à formuler mais qui se révèleront de mise en œuvre bien plus délicate. Faire travailler ensemble de multiples acteurs privés et publics, étatiques et locaux, chacun ayant sa propre légitimité, sa propre déontologie, sa propre manière d’agir, c’est un défi impossible d’autant qu’on ne peut plus désormais se contenter du simplisme des aménageurs de l’après-guerre qui construisaient les villes à la campagne. Il s’agit moins de « faire la ville » dans ces sites « vierges » à la périphérie des villes que de « faire avec la ville » telle qu’elle s’est construite au fil du temps. Il s’agit désormais de faire avec les trois composantes essentielles d’un territoire à savoir avec des lieux, avec des gens et, surtout, avec des institutions généralement fortement bureaucratisées.

Telle a été l’objectif assigné à des missions et commissions successives, la plus célèbre d’entre elles ayant été celle présidée par Hubert Dubedout, ancien maire de Grenoble, et dont les conclusions figurent dans un rapport « Ensemble, refaire la ville » publié en... 1984.

Ces conclusions souvent inappliquées restent pourtant largement pertinentes et donc d’actualité. Sur quoi ce rapport mettait-il surtout l’accent ? Essentiellement sur la nécessité de réformer l’organisation politico-administrative du pays. En bref, les difficultés rencontrées par certains territoires de la ville apparaissaient moins comme la conséquence de l’état des lieux urbain (un urbanisme inhumain de grands ensembles, « criminogène » comme certains ont pu le dire) dont il suffirait de faire tabula rasa ou des caractéristiques des gens qui y vivent (ah ! dissoudre le peuple, rêve ultime du politique ou des opérations de pacification urbaine) que du disfonctionnement des institutions.

En effet, les villes sont surtout malades de leurs institutions balkanisées (multiplicité des communes et des instances locales de gestion), empilées (multiplicité des niveaux hiérarchiques, du quartier à l’Europe) et cloisonnées (multiplicité des administrations spécialisées et sectorisées) auxquelles se sont ajoutées, chaque année, des prothèses appelées « dispositifs » (dont ceux de la politique de la ville) pour former une impressionnante usine à gaz qui consomme plus d’énergie pour elle-même qu’elle n’en restitue aux territoires nécessiteux, une usine à gaz désormais bien incapable de réguler des sociétés urbaines de plus en plus fragmentées spatialement, socialement et ethniquement.

La politique de la ville n’est en rien responsable de tout cela si ce n’est d’avoir pu créer l’illusion que des réformes essentielles pouvaient à chaque fois être différées à savoir la création de pouvoirs politiques intégrés à l’échelle des régions urbaines, la suppression de certains niveaux hiérarchiques inutiles (communes et départements), la suppression des administrations déconcentrées de l’Etat (dont les préfectures) et la réduction du nombre de services qui souvent doublonnent en une floraison corporatiste. Nul autre pays européen ne se paie le luxe d’une telle organisation bureaucratique coûteuse et inefficace. Belle exception française !

A notre connaissance aucune des commissions mises en place pour réfléchir aux réformes de l’Etat et des politiques publiques n’a envisagé de telles mesures. Couleurs aidant, celles de la ministre ou celles des partis (bleu, rose, vert), bureaucraties, corporatismes et usines à gaz pourront sans doute encore faire illusion mais les territoires délaissés de la ville ne se contenteront sans doute pas longtemps encore de telles mesures cosmétiques.

Claude Jacquier Directeur de recherche au CNRS et Spécialiste des villes européennes

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