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Le commentaire des différentes mesures du plan "Espoir banlieue", par Alain Bourgarel

24 février 2008

A propos du plan « Espoir banlieue »

Le président de la République a présenté un plan appelé « Une nouvelle politique pour les banlieues » le 8 février 2008. La semaine suivante, le ministre de l’Education nationale et la secrétaire d’Etat à la Ville sont revenus sur ses aspects scolaires et éducatifs. Après discussions avec quelques amis, voici une opinion :

 L’éducation prioritaire n’a pas été citée dans le discours présidentiel ni dans celui des ministres, mais elle était condamnée dans le texte d’une fiche du dossier de presse distribué à l’Elysée le 8 février. Dans ces conditions, la réforme de 2006 sera-t-elle appliquée entièrement, puisque seules les dispositions concernant les RAR le sont à ce jour ?
Il semble pourtant que l’éducation prioritaire reste en place. On retrouve ce paradoxe avec les multiples condamnations, depuis 2005, de l’approche territoriale de la lutte contre l’exclusion, au profit de l’unique approche individuelle, alors que la « politique de la ville », d’essence territoriale, reste en place. Une clarification s’impose. Pour notre part, nous estimons qu’elles ne s’opposent pas et que l’approche territoriale est indispensable pour limiter les effets stigmatisants des catégorisations individuelles.

 Les mesures envisagées pour les élèves sortis du système éducatif sans qualification relancent et amplifient le dispositif d’insertion des jeunes déjà existant mais jusqu’ici trop peu soutenu. L’augmentation du nombre des « écoles de la deuxième chance » et la mise en place des « banques de stage » doivent voir leurs financements clarifiés. Cette attention aux sortants du système éducatif sans diplômes est un progrès : il faudrait en tirer toutes les conséquences dans l’école (qu’on parvienne au socle commun !) et en dehors (notamment, une réforme des finances communales au profit des plus pauvres et une application de la loi sur l’implantation des HLM).

 La relance des internats éducatifs, après 8 années de timide application, sera utile à des élèves de l’éducation prioritaire. Mais ces internats s’adressent désormais à ceux qui, selon l’expression utilisée dans le discours, « montrent de bonnes aptitudes scolaires » et qui seront choisis « dès le plus jeune âge ». Question : que signifie en pratique cette nouvelle catégorie d’élèves et qui en assurera le classement au plan local ? On a vu des dérives dans les années passées de ce type de classement (les « handicapés sociaux » entre 1965 et 1982) et ses conséquences.

 La fermeture envisagée de collèges en déshérence, idée citée dans le Rapport Thélot, s’est déjà réalisée en quelques lieux ces dernières années. Il est vrai que la question se pose ici ou là et que la volonté d’agir du Gouvernement est satisfaisante. Mais détruire n’est pas forcément la meilleure solution : en France et à l’étranger, des exemples ont montré qu’un renouvellement réfléchi et négocié des équipes éducatives pouvait redresser une situation devenue ingérable. Pas de dogmatisme, donc, dans ce domaine, et surtout pas d’annonce de nombre (50 ?), ce qui entraînerait une application irraisonnée d’une idée qui pourrait parfois s’avérer bonne.

 Le « busing » existe aussi déjà dans quelques endroits et il pourrait y avoir quelques cas en plus, s’il y a eu les concertations nécessaires auparavant. Mais annoncer un nombre (50) va inévitablement entraîner une volonté de l’atteindre rapidement sans que soient menées les études et concertations préalables nécessaires dans un domaine sensible : les expériences déjà réalisées depuis 1966 en France montrent l’importance de l’accueil, à la fois par les élèves, par les enseignants et les parents d’élèves des écoles qui recevront des enfants étiquetés négativement au départ. Un long travail de préparation et un suivi attentionné sont nécessaires. Cette mesure, a priori bonne, risque d’être appliquée de façon brutale « pour faire du chiffre » et entraîner plus d’inconvénients que d’avantages.

 L’une des deux mesures présidentielles nouvelles est la création de « 30 sites d’excellence dans des collèges et lycées de quartiers, dont des lycées professionnels, qui auront des classes d’élite rassemblant les meilleurs élèves et bénéficiant d’un enseignement d’excellence ». Les ministres, pour leur part, ne parlent plus de collèges.
Si ces lycées sont choisis là où l’Education nationale a le plus de mal aujourd’hui à remplir ses missions d’enseignement et d’éducation, ce Plan constituera un progrès pour l’éducation prioritaire. Les détails donnés montrent que l’expérience des quatre lycées dits « Sciences Po » de Seine-Saint-Denis a été remarquée, mais, contrairement à ceux-ci, il s’agirait là de classes et non d’établissements. Dès lors, s’il s’agit de créer une filière privilégiée dans un ensemble délaissé, le lien avec les quatre lycées de Seine-Saint-Denis n’existe plus et l’inquiétude gagne quand on imagine la mise en œuvre.

 L’autre mesure nouvelle du discours présidentiel est l’obligation faite à tous les proviseurs de présenter chaque année 5 % de leurs élèves les plus méritants aux classes préparatoires, inscription automatiquement acceptée si elle est formulée par ces élèves.
Déjà expérimentée en plusieurs endroits dans le monde et réclamée en France par quelques universitaires et personnalités politiques depuis quelques années, cette mesure devra être mise en œuvre avec la plus grande attention car elle est tout à fait étrangère à nos habitudes : gageons qu’elle devrait être utile aux élèves de l’éducation prioritaire.

 Qui aurait cru que le « Plan banlieue » entraînerait la création d’un fonds destiné à l’enseignement privé ? Pourtant, c’est là le supplément ministériel au discours présidentiel. Cinquante classes seront ainsi financées et, si possible, dit-on, couplées avec des places en « internat d’excellence ». Le rôle de l’enseignement privé dans les banlieues a, sauf exception, été de donner la possibilité à des familles d’extraire leurs enfants de leur milieu de vie et le résultat en a été de renforcer la ségrégation sociale dans les ZEP. Cette possibilité pour les parents est garantie par l’Etat. Mais était-il du rôle du ministre de l’Education nationale et de la secrétaire d’Etat à la Ville d’assurer un financement public supplémentaire à ce phénomène, compréhensible du point de vue individuel des familles en question, mais nullement du point de vue du Service public de l’Education nationale ?

 Enfin, la « politique de la ville » a toujours été et reste liée aux collectivités territoriales : il semble ici qu’elles n’existent presque plus. C’est pourtant bien sur elles que seront basées une partie du financement et une partie de la responsabilité de la mise en œuvre des mesures annoncées. Ce n’est pas la rue de Grenelle qui assurera le développement des transports en commun ni le lien, si nécessaire, avec les services sanitaires et sociaux locaux. Une clarification des rôles des uns et des autres est nécessaire.

En conclusion, nous constatons que ce Plan, annoncé pour la Toussaint 2007 et remis sur l’ouvrage plusieurs fois, s’avère trop limité pour les domaines scolaire et éducatif. Il peut néanmoins apporter quelques améliorations aux territoires les plus en difficulté et ne saurait donc être négligé.
Nous regrettons par ailleurs que l’apport des travaux récents tant des Inspections générales (Rapport Armand-Gilles de novembre 2006) que de la recherche pédagogique reste ignoré alorsqu’on souhaite rendre l’école plus efficace pour les élèves de l’éducation prioritaire.

De même, nous nous demandons où est la cohérence entre d’une part les avis de la Commission Pochard (janvier 2008), ceux du Conseil économique et social, ceux du Conseil national des villes... qui viennent de travailler sur cette question et d’autre part les mesures annoncées unilatéralement aujourd’hui.
Nous approuvons néanmoins, avec les nuances et conditions indiquées plus haut, une partie des mesures annoncées, si elles sont correctement financées, mais constatons que l’éducation prioritaire n’est, à cette occasion, ni clarifiée ni soutenue.

alain.bourgarel

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