Journée OZP 2004. Travailler sur l’image de la ZEP, avec Alain Bourgarel

2004

Journée nationale de l’OZP, mai 2004

Pour la totalité des Actes

TRAVAILLER SUR L’IMAGE DE LA ZEP,

FAIRE, MAIS AUSSI FAIRE SAVOIR

Animatrice : Claude Vollkringer

Intervention d’Alain Bourgarel

I - Un sujet mal traité

L’éducation prioritaire a pour but clairement défini la réussite scolaire pour tous les élèves. Celle-ci est légalement définie depuis 1989 : sortir du système scolaire avec au moins le niveau V de qualification professionnelle. Pour la majorité des élèves, et c’est heureux, un tel niveau ne saurait être une réussite scolaire : ces termes sont donc relatifs selon les individus et les groupes sociaux. Cependant, pour les élèves vivant dans des conditions socio-économiques difficiles, voire dramatiques, cet objectif reste souvent une exigence complexe pour les enseignants. Ces élèves ne sont pas répartis uniformément sur le territoire français : ils se trouvent regroupés, pour une part, du fait de mécanismes indépendants de l’école, dans certaines zones. D’où la nécessité du dispositif de zones d’éducation prioritaires.

L’objectif des ZEP étant défini, les moyens pour y parvenir concernent à la fois, et de manière coordonnée, des aspects internes et externes à l’école. Les uns et les autres ont été, depuis plus de vingt années, répertoriés et repensés de façon à rendre efficaces les ZEP. Ainsi, la pédagogie, l’organisation des cycles, la liaison entre les niveaux scolaires, l’orientation, etc. ont fait et continuent de faire l’objet d’adaptations. Ainsi, pour ce qui concerne l’extérieur de l’école, l’accompagnement à la scolarité, les activités culturelles et de loisirs, mais aussi les actions touchant au logement, à l’urbanisme, etc. ont-elles, par le biais de la politique de la Ville, contribué à l’amélioration des conditions de vie, lesquelles ont eu un impact favorable sur la réussite scolaire, tout cela étant dit pour des quartiers stables et non pour ceux qui se dégradent.

Il apparaît cependant que, parmi tous ces moyens mis en œuvre à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école pour favoriser la réussite scolaire dans les ZEP, l’un d’eux est plus évoqué rapidement que réfléchi, plus cité occasionnellement que travaillé : il s’agit de « l’action sur l’image de l’école ».

Probablement, cette absence, ou cette discrétion, est-elle due à deux raisons : d’une part, l’image renvoie à « propagande, publicité, bluff et mensonge » : on s’en méfie. Cacher ou trahir la réalité est rejeté. Mener une campagne de promotion est mal vu. De plus, ces affaires ne concernent pas les enseignants dans leur fonction traditionnelle. Une action sur l’image vise l’opinion publique. Or celle-ci, pense-t-on, doit être tenue à distance d’une école qui se veut libre, détachée des influences locales, des ragots, bruits et rumeurs. Que « les gens » disent ceci ou cela sur l’école ou le collège de la ZEP, « on n’y peut rien » et on s’en désintéresse.
C’est donc une question qu’on laisse de côté, quand on n’y joue pas un rôle dans le mauvais sens, mais nous y reviendrons.

II - La nécessité d’agir

L’image de l’école est cependant à prendre en compte. Nécessairement. Elle relève de la responsabilité des acteurs de l’école comme des partenaires locaux, elle se situe à cheval sur l’école et le quartier. Pour en parler, rapprochons deux convictions :
 a) L’enfant ou le jeune apprend s’il est en posture d’apprentissage, s’il vient à l’école ou au collège pour apprendre, s’il sait que l’institution qui l’accueille est faite pour l’enseigner, qu’il y a sa place et qu’il est capable d’y apprendre. Evidence, certes, aujourd’hui, mais est-ce aussi clair dans tous les esprits ? N’a-t-on pas tendance au contraire à postuler a priori l’existence de cette posture d’apprentissage ? La recherche pédagogique nous montre pourtant que, dans les ZEP en particulier, cette posture chez les élèves n’est pas une donnée automatique.
 b) L’école et le collège sont des institutions au service de la population scolaire du quartier, faites pour enseigner les enfants et les jeunes, relativement efficaces pour assurer cette mission, et ceux qui la fréquentent sont aptes à apprendre sous la seule condition de faire des efforts réguliers et à leur portée. Dans ce cas, les autres moyens à mettre en œuvre pour la réussite scolaire (pédagogie, organisation scolaire, etc. d’une part, partenariat, politique de la Ville, etc. d’autre part) ont à jouer leur partition. Mais l’idée que se font les habitants de la ZEP, en particulier les élèves et leurs parents, correspond-t-elle toujours à cela ? L’image qu’ils ont de l’école ou du collège est-elle si claire ?

L’observation de certaines écoles et certains établissements situés en ZEP nous montre une autre image. Poussons la caricature (la réalité est heureusement plus nuancée) : L’école est une institution qui devrait enseigner mais qui, ici, tout le monde le dit, en est incapable ; où la majorité des élèves se considèrent comme incapables d’apprendre « par essence » (puisqu’ils sont de ce quartier, ou de cette famille ou de ce groupe social) ou « par constat » (puisqu’ils ont dû redoubler puis à nouveau être en échec et ont accumulé les « preuves » de leur incapacité à apprendre). Après tout, cette incapacité locale de l’institution est normale, puisque tout ce qui est sur ce territoire stigmatisé est défaillant, on le sait bien, on le dit, on en a chaque jour des preuves nouvelles...

C’est - on l’a dit - une caricature. Mais l’observation montre régulièrement des écoles ou des établissements dont la capacité d’enseigner, à cause de ce qui est perçu de leur fonctionnement et à cause de ce que semble être leur population, est a priori contestée par les habitants du secteur scolaire, adultes et enfants, quelles que soient les réalités par ailleurs. L’objectif, alors devient double : amener la transformation de cette image de l’institution scolaire pour qu’elle soit plus conforme à la réalité et amener les élèves à avoir une image d’eux-mêmes positive quant à la possibilité d’apprendre.

Ces deux aspects se tiennent étroitement l’un l’autre. L’idée que se font les élèves de leur capacité individuelle et collective d’apprendre se forge dans la famille, tout au moins jusqu’à l’adolescence. Les parents peuvent transmettre une posture positive devant les apprentissages à leurs enfants (au moment de l’entrée au CP, surtout) mais, s’ils les envoient dans une institution qu’ils jugent défaillante pour cela, ils vont provoquer une attitude de fatalisme lorsque d’éventuels échecs vont apparaître. Réciproquement, une « bonne » école, un « bon » collège qui enseignent à des élèves persuadés qu’ils ne valent rien ne pourront pas agir efficacement.

Vus du quartier, une école ou un collège dont la réputation est mauvaise va accueillir des élèves qui sauront à l’entrée qu’ils n’en ont pas beaucoup à attendre. Ils trouveront aussi dans cette inégalité (puisqu’ailleurs, dans des quartiers plus riches, écoles et collèges assurent vraiment leurs missions) la preuve de leur incompétence à apprendre puisque la République « égalitaire » les a envoyés là, leur a attribué cet établissement.

L’enjeu est donc sérieux. On est loin d’histoires de propagande ou de campagnes de publicité. Il s’agit de faire en sorte que tous les élèves soient en posture d’apprentissage, tout au moins que l’image qu’ils ont d’eux-mêmes mais aussi de l’école ou du collège ne les empêchent pas de s’y installer car, on le sait, bien d’autres facteurs défavorables jouent déjà dans ce sens.

III - Que disent les textes ?

Dans la dizaine de textes qui ont établi la réglementation des ZEP depuis 1981, seuls deux abordent directement la question de l’image.

La circulaire du 24 février 2000 sur les pôles d’excellence estime que ce dispositif permet d’une part de renforcer les apprentissages, d’autre part d’améliorer l’image des écoles et collèges. Cette dernière doit être « revalorisée » ; mieux, il faut « forger une image attractive des écoles et établissements » (on notera au passage que, toujours selon la circulaire, les partenaires peuvent être aussi en quête de revalorisation d’image : établir une convention avec une ZEP peut leur être utile à eux aussi !).

Puisque les deux objectifs sont le renforcement des apprentissages et la revalorisation de l’image, les indications données pour l’évaluation concerneront donc ces deux domaines. Evaluer le premier, on a l’habitude. Pour le second, on manque d’outils et d’expériences. Citons intégralement le passage de cette circulaire : « L’impact d’un pôle d’excellence scolaire doit également s’apprécier en termes d’image, interne et externe, de l’école ou de l’établissement concerné : fierté d’appartenance des élèves, satisfaction professionnelle des personnels éducatifs, confiance des familles, du quartier, de la commune. L’apaisement du climat scolaire bénéficie directement d’une modification positive du rapport aux apprentissages : là réside, sans pour autant s’y limiter, la première prévention des violences scolaires qui pèsent fortement sur la réputation de certains établissements et alimentent la tentation, pour les familles qui le peuvent, d’en retirer leurs enfants ; offrir des activités d’excellence et renouer avec la dynamique de la réussite scolaire, c’est aussi ­ nombre d’expériences le montrent aujourd’hui ­ la meilleure garantie d’hétérogénéité sociale et même le moyen de faire revenir des catégories d’élèves qui avaient disparu. »

Ces phrases apparaîtront angéliques à certains acteurs de ZEP empêtrés dans les difficultés de tous ordres et le dérapage sur la prévention des violences scolaires (rappelons que la moitié des « établissements sensibles » n’est pas en ZEP ou REP et que la moitié de ceux qui y sont ne sont pas « sensibles » ou inscrits dans le « plan violence ») en fera sourire ou bondir d’autres. Cependant, ce texte parle de « confiance » des parents et de « fierté » des élèves. Il montre donc que parents et élèves estiment qu’avec ce pôle d’excellence réussi le rôle de l’école - enseigner et éduquer - est assuré : on n’imagine pas qu’ils aient confiance ou soient fiers si l’apport de l’école n’est qu’annexe, la capacité à n’obtenir que des coupes sportives, par exemple.

Le pôle d’excellence peut donc être un moyen pour agir sur l’image de la ZEP.

Second texte, la circulaire du 7 décembre 1992, intitulée « La politique éducative dans les zones d’éducation prioritaires », qui complète celle du 1er février 1990 qui a elle-même bâti l’essentiel de la structure de l’Education prioritaire telle qu’on la connaît encore aujourd’hui. Elle précise trois points, dont le second est « l’amélioration de l’image et du fonctionnement même des ZEP ».Voyons ce qu’elle entend par là : « L’analyse faite du fonctionnement des ZEP ainsi que de leur image dans l’environnement (rapport des Inspections générales et études de la DEP) montre la nécessité d’apporter des améliorations dans certains domaines ». Tous les moyens de valorisation des établissements en ZEP doivent être recherchés. Le texte décline alors l’innovation pédagogique, les équipements modernes (audiovisuel, informatique...), les formations valorisantes (classes préparatoires, sections sportives, classes européennes...) et les actions communes au niveau régional, national ou européen. L’expression « zones d’excellence », pourtant déjà inventée et diffusée par Gérard Chauveau, n’est pas utilisée, mais on y retrouve le concept.

Cette partie du texte se conclut par la phrase suivante : « Des opérations de communication et d’explication des initiatives prises dans ces domaines sont à entreprendre tant en direction des familles et de l’environnement social que du monde économique ». On se souvient des critiques, tant de la droite que de l’extrême gauche à ce sujet : la « communication » était pour eux « poudre aux yeux » ou « soumission au patronat ». Résultat : peu d’actions ont vu le jour et celles qui ont existé ont parfois été dénaturées par la seule mise en valeur d’avantages annexes, comme un partenariat prestigieux (aux yeux du recteur ou du ministère) mais incompréhensible par les parents, ou alors un exploit réel (coupe obtenue lors d’une régate, mise au point d’un opéra, réalisation d’un journal imprimé...) mais considéré par les parents, qui ne s’y trompent pas, comme tout à fait secondaire par rapport à la mission première de l’école. Toutefois, dans les années 90, beaucoup d’établissements d’enseignement technique ou professionnel ont fait de grands efforts pour mettre en valeur leurs véritables capacités d’apprentissages aux yeux des élèves de collèges, de leurs parents et des entreprises.

Ces deux circulaires ne nous satisfont donc pas totalement : zones d’excellence et communication ? Oui, s’il s’agit effectivement d’améliorer les apprentissages et de le faire savoir. Mais on semble plutôt se situer ici dans des dispositifs pédagogiques « ordinaires » (aller au musée permet effectivement d’apprendre, mais est-on là dans l’excellence ou la valorisation de l’établissement ?) ou de pure communication (choisir de préférence un partenaire « prestigieux »).

Il ne s’agit surtout pas de négliger ou mépriser ces entreprises (on sait par exemple l’importance capitale des apports culturels dans les ZEP, obtenus grâce au partenariat ) ; il s’agit seulement de déplacer l’angle de vue sur un préalable :
 que les élèves viennent en classe convaincus d’être capables d’apprendre,
 que les parents envoient leurs enfants à l’école convaincus qu’ils pourront y apprendre,
 que les habitants du quartier, les forces vives et les élus aient la conviction que l’école et le collège de la ZEP sont capables d’enseigner comme n’importe quelle école ou n’importe quel collège.
Voilà ce qu’on pourrait assigner comme objectif à une action sur l’image de la ZEP.

IV - Dans les vraies ZEP

Les affaires ne se présentent pas partout de la même manière et, dans de nombreuses ZEP (celles créées en 1999 surtout) où la situation n’est pas vraiment dégradée (c’est la majorité, heureusement, mais on se demande alors pourquoi on les appelle ZEP ou REP), il suffira d’un peu d’attention et de bon sens pour redorer un blason qui a pu souffrir d’un « label ZEP » qui n’aurait jamais dû exister à cet endroit. La stigmatisation des vraies ZEP, en revanche, n’a pas été apportée par le label : elle est bien plus ancienne, grave et fondamentale.

L’OZP - on le sait - est particulièrement attentif aux « vraies » ZEP, c’est à dire celles où le service public d’éducation ne parvient pas, malgré des efforts divers sur une longue période, à remplir correctement ses missions d’enseignement et d’éducation. L’Education nationale, dans ces cas-là, se doit de trouver les moyens de s’adapter aux réalités locales et de parvenir, par un projet territorial interdegrés et partenarial, à améliorer la réussite scolaire de façon significative.

Seule cette amélioration significative pourra entraîner de façon décisive la « confiance des parents » et la « fierté des élèves », éléments qui, à leur tour, deviendront décisifs dans les possibilités de renforcer les apprentissages. C’est le problème de la poule et de l’œuf. Il faut donc, dans ces zones, entamer un processus. On ne peut commencer que « petitement ». On met en place une stratégie visant à souligner systématiquement des éléments positifs réels, en visant alors, de façon opportune, telle classe, telle matière, tel examen, voire tel élève brillant. Il ne s’agit pas de chanter « cocorico ! » mais simplement de faire savoir autour de soi ce qui va bien. Il s’agit surtout d’entreprendre pour chaque élève, pour chaque famille, une action de conviction concernant ses capacités à apprendre.

Cette entreprise nécessite de se départir des schémas traditionnels de réussite scolaire, notamment ceux en liaison avec l’âge. Un élève qui aboutit à huit ou neuf ans à la lecture courante est considéré comme retardé alors qu’on devrait, à ce moment, célébrer avec faste (au niveau de la classe) cet aboutissement qui lui a demandé certainement énormément d’efforts. S’il en sort convaincu qu’il est capable d’apprendre puisqu’il en a la preuve et la légitimation publique, nul doute qu’il continuera à travailler. Au lieu de cela, il n’est pas rare qu’on l’apostrophe alors avec « Enfin ! Eh bien, toi, tu nous en auras donné du mal ! Deux ans de retard ! ».

Dans cet exemple, certes caricatural, on se situe au niveau individuel de l’élève. C’est le premier niveau à traiter et c’est valable à tout âge : travailler à ce que les élèves aient une image positive d’eux-mêmes en tant qu’apprenants. Les professeurs de lycées professionnels connaissent bien cette nécessité lors du premier trimestre après l’éjection du collège. En doublure nécessaire, le même travail est à entreprendre avec les parents, au moins jusqu’à la classe de cinquième incluse. Inviter systématiquement les parents à une rencontre pour qu’ils entendent dire que leur enfant apprend et continuera à apprendre est essentiel. La pauvreté des entretiens parents-professeurs apparaît surprenante quand on se rend compte que c’est d’abord cela, parfois uniquement cela, qu’il faut dire. Rentrer chez soi, après un entretien à l’école ou au collège, en étant convaincu que, parents et enfants, l’on appartient à une famille qui apprend et peut apprendre plus, voilà le plus grand bénéfice que l’on puisse tirer de cet entretien. Bien entendu, nous sommes là dans une situation de « vraie » ZEP et de tels objectifs vis à vis de parents favorisés sembleraient absurdes.

Le niveau suivant est la classe. Dans les « vraies » ZEP, les témoignages d’élèves signalant que le professeur a dénoncé globalement « l’incapacité des élèves à apprendre » ne sont pas rares. Aussi bien en primaire que dans le secondaire. Ce jugement, aussi erroné qu’immoral, n’a pas besoin, dans ces lignes, d’être plus discuté.

Au niveau de l’école ou de l’établissement, les objectifs sont plus évidents : montrer qu’il s’agit d’une école ou d’un collège ordinaire, où l’on travaille. Les moyens pour y parvenir, eux, ne sont pas toujours évidents car on pense immédiatement aux actions de communication, aux partenariats prestigieux, aux entreprises exceptionnelles... toutes choses qui peuvent, néanmoins, être bonnes. En fait, il s’agit d’abord, et parfois seulement, de donner les signes de « normalité scolaire » et non l’inverse : sait-on que la ponctualité dans les horaires scolaires est considérée par les parents comme la première qualité du système scolaire au même titre que la présence des enseignants ? En milieu populaire, une école ou un collège qui sont régulièrement défaillants sur ces deux points seront jugés négativement, quels que soient les résultats scolaires. Les discours sur la pédagogie ou les partenariats prestigieux, dans ces conditions, seront considérés comme des mensonges.

Ces affaires irritent les enseignants : un retard ou une absence ne sont pas catastrophiques, penseront certains, peut-être à juste raison. Mais il ne s’agit pas ici seulement de raison, on est aussi dans la représentation, dans l’image donnée au quartier. De même, lorsqu’on ne donne pas de devoirs du soir en élémentaire, lorsqu’un CP n’a pas de livre de lecture attitré, lorsque les élèves de collège sont congédiés inopinément... ; les parents favorisés comprendront les motifs, ou poseront les questions nécessaires à qui de droit ou protesteront, alors que les parents de milieux populaires construiront, souvent sans oser rien dire aux enseignants, une image négative de l’école. Enseigner dans les vraies ZEP nécessite de prendre en compte ces réalités et ces exigences. Ainsi se construit une image positive de l’école. Se plier à quelques contraintes n’a jamais empêché l’innovation et la plus grande modernité pédagogique. Il suffit d’être attentif à donner un certain nombre de signes rassurants. Il faut que les parents estiment que « ici, on travaille ». Il faut aussi, évidemment, que ce soit la vérité.

L’image de l’école ou du collège dans les vraies ZEP, que ce soit aux yeux des parents, de la population en général ou des élus locaux en particulier, se joue probablement de deux manières :
 La première repose sur des critères simples et immédiatement perceptibles : ponctualité et assiduité du personnel, civilité générale, respect des autres, absence de violences et de dégradations aux alentours des entrées scolaires, apparence de travail à l’intérieur, participation aux offres de coopération communale..., on peut même citer avec raison la propreté des toilettes.
 Le seconde est plus complexe, plus « scientifique » lorsqu’elle s’appuie sur des critères chiffrés, puisqu’elle va comparer les écoles ou de le collège de la ZEP avec les écoles et les collèges des environs, hors ZEP. Au niveau objectif des résultats, inévitablement, la ZEP sera en difficulté puisque, justement, elle a été créée en raison d’un constat de défaillance. Le seul moyen de s’en sortir est de faire corps entre écoles ou entre collèges : il faut alors trouver des alliés dans les établissements hors ZEP et faire front commun sur la qualité générale des établissements de l’Education nationale dans un périmètre plus vaste que la ZEP. L’habitude est plus souvent au dénigrement ou à la pitié de la part des établissements favorisés entourant les ZEP. La responsabilité quant à l’image de la ZEP incombe aussi aux collègues des alentours.

A un niveau plus élevé, celui du département, de la région, les choses sont plus diffuses et c’est davantage la presse qui peut se trouver vecteur d’images négatives. Mais c’est aussi ce qui se dit dans les inspections académiques, dans les commissions paritaires, dans les rectorats, les IUFM... qui peut assigner les ZEP à leurs difficultés « fatales ». De ce point de vue, il faudrait une vigilance automatique de tous les personnels de l’Education nationale, de la même façon qu’existe une vigilance automatique sur le racisme et l’antisémitisme et, avant d’accuser la presse (parfois coupable), balayons devant notre porte et faisons taire certains inspecteurs ou professeurs d’IUFM.

A un niveau national, enfin, les discours sur « les ZEP » ou sur « les cités » peuvent être de graves obstacles. Après des dérives aux alentours de 1990, la presse est en général plus attentive. On se reportera à ce sujet aux travaux de Guy Lochard, professeur à l’université Paris VII, qui était venu les présenter aux journées nationales de l’OZP en l’an 2000 : il existe aujourd’hui une conscience collective, dans les rédactions des journaux télévisés, des effets de discours négatifs sur les jeunes de banlieue. On n’en tire pas toujours les conclusions nécessaires mais au moins on est conscient des réactions que l’on peut provoquer.

V - Des acteurs de ZEP autodestructeurs

Dire que les enseignants et autres acteurs de ZEP sont les premiers à construire l’image négative de leur zone, qu’ils sont autodestructeurs, qu’ils travaillent à saper leur propre efficacité... est évidemment ridicule et nul acteur de ZEP ne se reconnaîtra dans un tel portrait. Pourtant, l’observation de la vie d’une ZEP permet vite de déceler ici ou là un tel profil, voire, plus rarement, telle équipe éducative qui « joue contre son camp ».

Il ne s’agit pas de propos de salles de profs : que là, couramment, on parle des élèves « nuls », des familles « pénibles » et du quartier « impossible », n’a rien d’alarmant. On parle bien du ministre « nul », du recteur « pénible » et du principal ou de l’inspecteur « impossible ». Dérives sans grande importance de conversations de décompression. Cependant, si on tient ce seul langage tout au long de l’année, il se forge une image négative qui, inévitablement, se transmettra aux élèves et aux familles, même sans paroles explicites.

Dans cet esprit, les résultats aux évaluations CE2 et 6ème, à l’origine d’abord faites pour déceler et indiquer aux professeurs les difficultés et les manques de chaque élève afin d’y remédier, apparaissent comme des instruments redoutables de l’autodégradation de l’image publique des ZEP. Dans la mesure où la ZEP a été justement créée parce que les évaluations montraient des difficultés, comment, dans les vraies ZEP, celles où les difficultés collectives sont graves et transmises de génération en génération, éviter que la publication des résultats ne renforce l’idée qu’il est impossible d’apprendre ici, par cumul de difficultés chez les élèves et de difficultés dans le système scolaire ?

On sait, de plus, que, si ces évaluations sont hautement utiles pour les remédiations individuelles (curieusement, elles sont parfois ignorées à ce titre), elles n’ont aucun sens pour évaluer le dispositif prioritaire ! De braves statisticiens se sont ainsi, au printemps 2004, sentis autorisés à mettre en rapport l’injection de quelques sous dans des collèges devenus ZEP pour évaluer dès l’année suivante la progression des résultats scolaires ! Au fou ! Mais là n’est pas la question : elle se trouve dans l’affichage des résultats collectifs. Voilà un bon moyen de démontrer l’impossibilité d’apprendre, même si on démontre avec emphase, par exemple, qu’entre l’an 2000 et l’an 2001 on a progressé de 0,41 points en français et de 1,27 en maths ! Choses vues !

A un autre niveau, celui des réunions de parents, des réunions de quartier, les discours des acteurs de ZEP sont parfois contraires à ce qu’il conviendrait de faire. Il ne s’agit pas de cacher la vérité, encore moins de la trahir, il s’agit de convaincre qu’il est ici possible d’apprendre, que l’Education nationale tient à assurer ses missions, qu’elle travaille à s’adapter aux réalités locales et qu’elle accueille des élèves qui appartiennent à des familles qui ont un projet positif d’apprentissage pour leurs enfants. Au lieu de cela, on entend régulièrement des lamentations sur le niveau scolaire et le désintérêt ou la déresponsabilisation (mot à la mode depuis 1998) des parents.

Moins direct mais tout aussi dangereux, un discours s’entend souvent dans les ZEP « revendicatives » : « Il faut des moyens supplémentaires ici parce que nos élèves ont besoin de traitements particuliers ». Ce langage est - n’ayons pas peur de le dire - irresponsable : c’est le meilleur moyen, quand ce discours s’entend d’année en année, qu’il est commun aux enseignants, au principal et au maire, de mettre dans la tête des élèves et de leurs parents que, décidément, dans cette ZEP, les élèves ont moins de capacités à apprendre que ceux de territoires plus favorisés.

On sait bien que l’élève de ZEP (imaginons un élève théorique car il y a toutes sortes d’élèves en ZEP) demande plus d’attention et plus de temps pour apprendre ; on sait bien que l’école a plus de devoirs envers lui que pour les autres ; on sait bien que l’adaptation nécessaire à la réalité sociale et culturelle des vraies ZEP nécessite la mise en œuvre de projets qui peuvent coûter cher et obliger à des dérogations réglementaires... Mais est-il bien approprié de souligner ces nécessités devant les parents d’élèves ?

Réclamer l’égalité par rapport aux autres territoires est normal et compris par tous. Exiger que des postes créés soient effectivement pourvus de personnels qualifiés l’est aussi. Demander « plus » parce que les élèves auraient « moins », c’est mettre les élèves en posture de non-apprentissage. Pour un enseignant, c’est agir contre ses possibilités d’action professionnelle.

Pour conclure en paraphrasant la conclusion de Jackie Beillerot ce matin, agir pour l’image de l’école ou du collège, c’est d’abord ne pas agir contre. Puis, c’est agir au niveau de chaque élève, de chaque famille, de chaque classe, de chaque école et collège afin que tout le quartier (enfants, familles, voisins, élus...) soit persuadé qu’il est ici possible d’apprendre. Aboutir à ce que l’image de l’Ecole soit celle d’une institution de la République où tous les enfants viennent apprendre parce qu’ils en sont capables et que le cette institution est capable de les enseigner.
On parlait de propagande, de publicité, de communication ? Parlons plutôt de travailler au quotidien dans les classes et à tous les autres niveaux et de le faire savoir.

Débat

Différentes questions sont abordées au cours du débat :

Le discours public à tenir à l’extérieur(aux parents, à la population du quartier, aux élus locaux) doit être balancé, quelles que soient les réalités : trop positif, il paraît suspect, trop négatif, il entraîne la construction ou le renforcement d’images négatives. On touche là une vraie difficulté car, même lorsqu’il y a objectivement des progrès et que l’on est heureux de montrer que le travail mené par tous, élèves et enseignants, a été efficace, on se doit ne pas en faire trop dans l’autosatisfaction, afin de garder sa crédibilité. Travailler dans des zones difficiles impose de rester raisonnablement modeste, quoiqu’il en soit des progrès.

Les formules négatives du type « ceux qui ont le moins » ou « la discrimination positive » sont dénoncées. Cependant, on convient de la facilité qu’elles offrent pour présenter et expliquer une situation sociale ou un dispositif dérogeant au principe d’égalité. En fait, c’est surtout dans la ZEP même que ces formules sont dangereuses, plus que dans l’opinion publique.

Lorsqu’une rénovation ou une construction de bâtiments scolaires sont engagés, les acteurs de ZEP devraient en profiter pour souligner, publiquement et devant les élèves, les avantages du dispositif. Il ne semble pas cependant que cela soit toujours fait.

Une partie des parents d’élèves des « vraies » ZEP ne se sent pas concernée par les élections municipales, soit qu’elle s’en désintéresse, soit parce que, étant étrangère, elle n’a pas le droit de vote. Ceci entraîne une désaffection de certains élus locaux à l’égard de leurs problèmes. A cela s’ajoute une difficulté à mener des mouvements collectifs de revendication.

Rappelons enfin que chaque nouveau ministre de la Ville annonce qu’on va vérifier et évaluer l’utilisation effective des sommes versées au titre du développement social et que jamais cela n’a été fait (cf. rapports multiples, dont ceux de la Cour des Comptes). On sait que beaucoup d’élus présentent les réalisations utilisant ces fonds comme le fruit des politiques et des finances communales. Pire, des sommes sont parfois utilisées pour d’autres quartiers plus favorisés.
Il est donc nécessaire de travailler à l’instauration d’une image de la ZEP comme d’une zone exigeante quant à l’application du droit. On sait la difficulté de l’entreprise. Les équipes d’acteurs de ZEP, en lien avec les élèves les plus âgés et les parents, peuvent localement, quand les conditions s’y prêtent, s’attaquer à cette question et développer une action porteuse de justice et pleinement éducative. Cet objectif de constitution d’une image collective de gens tenant à leurs droits était très clairement posé en 1982, lors de la mise au point de la politique de développement social de quartier. Depuis, il a presque disparu. L’adhésion à une image collective fortement positive est pourtant un excellent moyen pour s’installer dans une « posture d’apprentissage ».

La confiance et la fierté dont on a parlé à propos des élèves et de leurs parents peut tout à fait, dans un rapport dialectique, concerner les enseignants : c’est bien en grande partie à cause de la confiance dans leurs capacités collectives et de la fierté qu’ils éprouvent devant les résultats obtenus que l’enchaînement négatif de difficultés parfois se transforme en enchaînement positif.

Quand on parle de la ZEP, on cite soit l’élève moyen théorique soit les problèmes posés par les élèves les plus faibles : il conviendrait d’être toujours attentif à citer aussi les bons élèves. Dans toutes les ZEP, même celles qui ont les plus grandes difficultés, on trouve des élèves qui réussissent : pourquoi les ignorer quand on veut travailler sur l’image ?

Enfin, le débat aborde les problèmes de communication télévisuelle ou journalistique : les participants conviennent que le travail scolaire quotidien n’a rien de spectaculaire et n’intéresse pas les journalistes. On est donc contraint de se rabattre sur des événements plus médiatiques où les mécanismes de zones d’excellence peuvent briller. N’hésitons pas à associer la communication-spectacle à celle sur le travail ordinaire, dans la mesure bien sûr où l’on trouve par ailleurs le moyen d’assurer celui-ci !

Compte rendu rédigé par Alain Bourgarel

Ce texte existe en format PDF dans une mise en page identique à celle du tirage papier des Actes.

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