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"IEN en ZEP ou IEN de ZEP", par Jean-Pierre Tilly, IEN, Chanteloup-les-Vignes (bulletin XYZep, 2000-2001)

mars 2009

Extrait du bulletin XYZep, 2000-2001

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ÊTRE IEN en ZEP, cela pourrait-il ressembler à quelque chose comme être IEN de ZEP ?

Si la première proposition n’impose guère plus que la mise en exergue, ici,
de certains aspects du métier moins visibles ailleurs, la seconde exprime
une véritable actualisation de la fonction.
Ce débat n’est pas seulement anecdotique, voire de pure forme. Il peut au contraire, pour peu qu’on s’y prête, contribuer à éclairer la notion même de pilotage. Sur quoi se fonde en effet la légitimité à agir ? À quel titre les décisions sont-elles prises ?
Quels sont en définitive les leviers sur lesquels peser ?

On peut envisager d’emblée que la distinction entre les fonctions proprement dites et la mission éventuellement attribuée de responsable de zone - ou de réseau - se conçoive dans une dialectique parfaitement contrôlée. Ilreste que la capacité à agir s’inscrit avant tout dans le champ des responsabilités avérées. Sauf à demeurer un
animateur au statut peu défini, ce sont avant tout les éléments sur lesquels il
peut s’appuyer en tant qu’inspecteur chargé de circonscription (missions
d’impulsion, de formation, d’évaluation, de contrôle) qui permettent à
l’inspecteur responsable de zone d’agir auprès des écoles. De même, c’est
d’abord dans le contexte de son établissement que le principal responsable
de REP va asseoir sa légitimité.

Cet aspect est essentiel, il évite que cette apparente dichotomie s’exprime
dans une contradiction : inviter au titre de la mission les acteurs à l’initiative
et, en vertu de la fonction, les rappeler au strict respect de la règle. Audelà
de cette présentation caricaturale, le risque existe en effet d’avoir à
affronter d’incessants allers et retours, et de soumettre les professionnels à
des demandes d’autant plus aisément contradictoires que diverses stratégies
de mise en mouvement coexistent - voire même se télescopent - depuis la
campagne de presse jusqu’à la plus stricte transmission de directives.

Il importe donc de rester attentif à ce que la référence au territoire ne
constitue pas l’unique argument, au point de substituer des contrats de circonstance
à la loi elle-même. De fait, on ne peut manquer de constater en même temps, que l’école doit parfois aller au-delà de son champ de compétences pour faire face à un déficit de ressources locales et qu’elle peut a contrario renvoyer un peu vite les
transgressions bénignes d’élèves jugés difficiles à la responsabilité d’autres
institutions, dans le cadre, par exemple, de certains Contrats locaux
de sécurité.

De surcroît, la crainte de voir se construire une école à plusieurs vitesses n’est pas seulement un fantasme sans fondement. Elle doit au contraire agir comme une nécessaire alarme. Car, le rapport à la norme scolaire est d’autant plus fragile qu’on
multiplie les possibilités d’ajustements locaux. En ce sens, la manière dont
les objectifs généraux inscrits dans les programmes sont traduits en actes
d’enseignement a tendance à produire de la différenciation : ici, une adaptation - fût-elle à la marge - des exigences, là, l’introduction de surnormes,
revendiquées au titre de la pression sociale. Ces phénomènes sont particulièrement visibles à l’échelle d’une circonscription, y compris quand les allégements des programmes sont, conformément à la demande, immédiatement appliqués
dans certains lieux et suscitent manifestement des résistances dans d’autres quartiers.

Dans le même espace d’intervention, mais pour d’autres raisons, l’enseignement
des langues vivantes à l’école élémentaire n’a pas trouvé partout les mêmes possibilités de développement, les collaborations mises en oeuvre dans les Contrats
éducatifs locaux n’ont pas partout activé des partenariats aussi valorisants.
Aussi, demeurer attaché aux repères installés par la fonction, sans soumission excessive à son expression dans le territoire, permet de maintenir une vigilance essentielle, car la continuité du service public peut être affectée par les effets pervers
de certaines formes de contractualisation.

En outre, la réduction de la spécificité professionnelle à l’engagement personnel peut indéniablement fragiliser les professionnels. On peut craindre en effet qu’ils subissent alors de plein fouet les aléas de la confrontation et qu’ils se trouvent contraints de redéfinir en permanence leur place, leur fonction et leur rôle, dans des rapports entre individus qui réclament d’être toujours « re-contractualisés ».
À l’inverse, il me paraît possible de montrer qu’on peut exercer en ZEP sur la base d’un compromis au caractère incontestablement professionnel.
Car les indiscutables difficultés à agir y sont approchées dans une certaine façon d’agir - et d’agir en équipe. Ce n’est ni une ascèse, ni une aventure héroïque, même si ce n’est pas, loin s’en faut, une sinécure. Cela suppose néanmoins que l’institution
mesure avec lucidité la demande faite à ses agents et qu’elle évite de toujours
évaluer, a priori et exclusivement, l’efficience des actions au niveau de mobilisation personnelle qu’elles supposent. Il existe pourtant d’autres ressorts qu’il est possible et nécessaire d’activer : professionnalisation des acteurs, identification précise
des champs d’intervention, complémentarité affichée des fonctions, mise
en réseau des ressources, formation spécifique à la prise en charge des
publics réputés difficiles, dispositifs d’aide aux enseignants...

Il me semble que, dans les ZEP, les professionnels ont besoin de repères
stables et de points d’ancrage sûrs, pour paradoxalement, être en mesure
de faire preuve des nécessaires capacités d’adaptation qu’impose la situation
qu’ils affrontent.

Veiller en ce sens à ce que les appuis institutionnels portés par les fonctions ne soient pas irrémédiablement solubles dans le territoire me paraît être aujourd’hui d’une importance cruciale.

Jean-Pierre TILLY

IEN, Chanteloup-les-Vignes

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