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Dans la manif lycéenne avec « les gens de ZEP »

10 mars 2005

Extrait de « L’Humanité » du 09.03.05 : dans le cortège avec Utrillo

Sous les banderoles, des élèves de Stains, lucides et combatifs.

En retard, le lycée Utrillo. Il est bientôt 15 heures, la manif a déjà déserté la place de la République et file vers Bastille. On n’en voit plus que la queue, deux ou trois ballons de baudruche et quelques tracts, par terre, comme une traîne de papier que les camions de la propreté de Paris vont s’empresser d’ingurgiter. Après avoir chanté, le lycée de Seine-Saint-Denis est obligé de courir pour rattraper le cortège. Les cinquante élèves ont mis pas loin d’une heure pour arriver de Stains. Ils ont débarqué à Paris en hurlant dans la rame de métro, avec l’insolence des gens déterminés : « Aujourd’hui, on a tous le droit / à l’égalité devant la loi / bac pour tous, même pour le neuf-trois / quand tu penses à moi, je pense à toi. »
Deux heures avant, Baïa, Yoann, Milène, Adeline, Emeline, Faissal, Nicolas et les autres attendaient devant leur établissement qu’arrive la banderole bleue électrique : « Utrillo en lutte ». La même depuis dix ans, que l’on ressort à chaque mobilisation. Cette fois, elle tarde à arriver. « Nous n’avons pas de local, alors un prof l’a emmenée chez lui », explique Mohamed. Ni local, ni tract, ni mégaphone. Leur mobilisation se construit en discutant, dans la cour, dans les cours, tous les jours.

Pour patienter, ils racontent. La difficulté d’informer, surtout quand les journaux télévisés n’aident pas. « Ils ne montrent que les casseurs, disent que l’on est manipulé par les profs, maintiennent l’ambiguïté en laissant croire que la réforme est reportée », relève Yoann. Leur absence de naïveté, aussi, concernant tous ces sujets. « Les casseurs, il y en a depuis toujours. Les profs, ici, c’est nous qui les avons poussés à nous rejoindre. Et le ministre n’a reporté la réforme du bac que pour nous endormir », énumère Baïa. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas l’unique point qui chiffonne dans le projet de loi Fillon. Ils l’ont lu, affirment-ils, en réponse à ceux qui - disent le contraire. Et ils en ont retenu le principe général. « Ils cherchent à nous barrer la route, explique Faissal, une canette de soda à la main. Ils veulent nous empêcher d’accéder à des emplois qualifiés. » Ils, c’est le gouvernement. Nous, « les gens de banlieue, de ZEP, ceux qui n’ont pas d’argent ».

Et n’allez pas leur dire que cette vision tend au manichéisme, ils ont rodé leurs arguments et vivent déjà cette réalité. « Venez voir l’état de nos WC ou de nos salles de cours », poursuit Faissal. « Ici, nous sommes déjà plus d’une trentaine par classes et des dédoublements seront supprimés l’an prochain », continu Mohamed. « À Henri-IV, les élèves ont dix clés entre les mains, enchaîne Baïa. Nous, nous n’en avons qu’une, les neuf autres, nous devons nous les forger. » C’est pourquoi la jeune fille ne comprend pas qu’on leur ajoute de nouveaux obstacles. Il y a ce bac, bien sûr, dont le caractère égalitaire et national est menacé par l’introduction de contrôle continu. Mais il y a aussi le socle commun de connaissances. Une vision minimale de la culture, estime Yoann. « On nous dit que l’histoire ne serait plus essentielle. On cherche à limiter notre réflexion, notre pouvoir d’action sur la société. » - Debout sur les bancs en - béton, certains lâchent les mots chocs. Éducation privatisée, vendue aux entreprises. « Notre culture générale va en prendre un coup », décortique Adeline. « Cela va leur permettre de nous refourguer des métiers sous-qualifiés et mal payés », poursuit la jeune fille. « Le gouvernement explique que l’école n’est pas rentable, embraye Nicolas. Mais un service public qui s’adresse à tous ne peut pas l’être. Décider l’inverse, c’est décider de le privatiser. » CQFD. Parler de politique ou de projet de société, clairement, ne leur fait pas peur. « Le référendum pour l’Europe va être un moment important, intervient Milène. Si le "non" passe, ce sera un bouleversement qui gênera automatiquement Fillon. » Et c’est Yoann qui note, au moment où arrive enfin le calicot : « Ils veulent mettre en place une société de droite. Mais ils oublient qu’on ne les a portés au pouvoir que pour faire barrage à Le Pen. Ils n’ont aucun droit. »

Marie-Noëlle Bertrand.

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