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Les ZEP dans la loi Fillon : une première analyse, par Alain Bourgarel

26 mars 2005

26.03.05

Les ZEP dans la loi Fillon : une première analyse

Nota ajouté le 25 avril : le Conseil constitutionnel ayant refusé que le rapport annexé soit associé à la loi, l’analyse ci-dessous ne concerne plus un texte législatif mais un document de référence pour la voie réglementaire.

Le texte de la Loi Fillon ne concerne pas directement les ZEP et les REP, comme c’était déjà le cas pour la loi du 10 juillet 1989 (sauf l’article 2 sur la scolarité à 2 ans en maternelle). Seul le « Rapport annexé » aborde le dispositif d’éducation prioritaire. On sait qu’une telle annexe n’a pas « force de loi », mais elle restera une référence décisive pour la suite des événements.
Comme dans la plupart des textes législatifs, les indications restent très générales : aussi est-ce plus sur son application que sur les termes mêmes qu’on pourra juger. Pour le moment, on pourra émettre quelques interrogations.

1°) Certes, in fine, c’est bien la réussite scolaire de chacun des élèves de ZEP qui est visée par le dispositif d’éducation prioritaire existant depuis plus de vingt ans en France. Cependant, on s’interrogera sur l’inscription de cette évidence dans le rapport annexé à la loi, d’autant plus qu’est annoncée une amélioration de l’efficacité des ZEP.
On appréciera par ailleurs l’abandon du langage quelque peu démagogique d’adresse aux enseignants de ZEP « si courageux, si compétents... ». Mais s’y substitue un langage de défiance générale qui ne correspond pas plus à la réalité très variée de leur engagement pour leurs élèves.

2°) Le risque d’abandon de l’approche territoriale par la politique gouvernementale reste important : si le texte du rapport annexé à la loi réaffirme l’existence du dispositif prioritaire, il affirme aussi la primauté de l’approche individuelle dans l’objectif de réussite scolaire.
En cela, il apparaît régressif : depuis 1981, la lutte contre l’échec scolaire conjuguait les approches individuelle (comprenant l’AIS) et territoriale (les ZEP). Il semble, mais il faudra voir les modalités d’application de ce texte, qu’on délaisse l’approche territoriale. On sait pourtant de façon bien plus assurée grâce aux résultats de la recherche pédagogique et sociologique (colloque du CERC du 01.04.04, travaux d’Eric Maurin) à quel point l’environnement scolaire pèse dans l’échec scolaire, au-delà des caractéristiques individuelles.
L’indication, dans le texte, d’une amélioration de la situation des territoires par la réussite scolaire des individus, outre son caractère de « lapalissade », ne peut que renforcer cette crainte d’abandon de l’approche territoriale par l’Education nationale.

3°) Il est écrit que le dispositif sera centré « sur les établissements les plus en difficulté ».
Rappelons d’abord que les ZEP sont des territoires interdegrés et non pas des collèges (établissements).
Ce recentrage a été souhaité par l’OZP, il reste nécessaire et n’a pas besoin de grandes démonstrations tant l’extension actuelle apparaît absurde.
Il convient de voir maintenant comment ce mouvement sera réalisé : la première crainte, soulignée par les syndicats, est tout simplement la réduction du nombre de ZEP et la disparition des moyens attribués aux autres. Si le recentrage s’opère de cette façon, ce sera donc une régression à laquelle les enseignants et leurs partenaires s’opposeront.
Mais il est plus probable qu’il y aura transfert de moyens vers le fonctionnement des équipes de réussite éducative, qui, elles, sont définies par le Plan de cohésion sociale et concernent essentiellement le temps hors scolaire - les enfants et pas seulement les élèves. Là encore, il faudra voir dans le détail comment les choses se passeront car ces ERE pourraient aussi bien rester des formules bureaucratiques vaines que des équipes efficaces.
Quant aux anciennes ZEP, il faudra bien qu’elles continuent leur travail dans de bonnes conditions, leurs élèves restant les mêmes.

4°) Lier l’obtention du statut de ZEP à l’existence d’un contrat d’objectif signifie que l’ensemble des zones actuelles sera remis en cause, alors que viennent d’être signés, dans une majorité de ZEP, des contrats de réussite valables jusqu’en 2008. Comment sera appliquée cette mesure ? Attendra-t-on quelques années ? Les contrats actuels seront-ils considérés caducs en vertu du rapport annexé à la loi ? Que seront ces « contrats d’objectifs » annoncés ? Leur nature, leur composition, leurs signataires ?
Si rien n’est précisé, il est à craindre que la mécanique bureaucratique qui a présidé à la signature de beaucoup de contrats de réussite - inconnus de ceux qui doivent l’appliquer et qui n’engagent pas le signataire administratif, comme on l’a vu à Soyaux - ne soit prolongée. Fixer des objectifs à une ZEP est extrêmement délicat : la réussite scolaire est une affaire de long terme, voire de générations (si on considère la population stable, ce qui est encore une autre question pour nombre de ZEP).
Qui va définir des objectifs de réussite suffisamment motivants pour enseignants et élèves, donc suffisamment exigeants mais tout de même réalistes ? La question est fondamentale et ce ne sont pas des arrangements locaux dans les bureaux des inspections académiques qui les traiteront sérieusement. Que des contrats d’objectifs soient nécessaires pour être en ZEP est a priori positif. Encore faut-il savoir comment cela sera mis en œuvre. L’expérience nous fait craindre un simple nouvel avatar des contrats de réussite actuels.

5°) « Des mesures dérogatoires seront possibles », précise le texte pour l’application de ces contrats.
L’OZP a pris récemment position pour que les ZEP restent dans un cadre réglementaire ordinaire, estimant que les adaptations nécessaires par rapport aux habitudes de fonctionnement du système scolaire pouvaient utiliser la réglementation actuelle, qui présente des souplesses insuffisamment exploitées. Ce maintien dans la norme réglementaire n’est pas seulement une simplification - qui évite d’avoir à définir les dérogations envisagées -, il est surtout porteur de non différenciation pour des territoires qui souffrent d’images d’extra-territorialité.
Quelles seront donc ces mesures dérogatoires ? Seront-elles provisoires ? Concerneront-elles la gestion des personnels, sujet particulièrement délicat ? Les services horaires des enseignants ? Leurs missions ? Autre chose ? L’OZP reste attaché à l’adaptation du service public aux réalités des territoires où il mène ses missions mais, simultanément, à l’unité de l’Education nationale, qui avait été préservée - et même renforcée - avec la mise en place des ZEP en 1981.

6°) Le texte précise « très difficiles » pour qualifier les établissements où seront permises les dérogations. Comment sera établie la limite entre établissements ordinaires / difficiles / très difficiles ? Cette distinction, du point de vue de la gestion du système scolaire, est sans doute utile. Encore faut-il qu’on ne s’arrête pas à des aspects spectaculaires et sans fondements permanents tels la violence ou la présence d’immigrés) pour repérer les territoires où sont concentrées des populations dont la situation d’exclusion sociale se reproduit de génération en génération.

7°) Les équipes de réussite éducative peuvent être des aides partenariales essentielles pour la réussite scolaire des élèves socialement défavorisés comme elles peuvent être de simples moyens, pour des personnels divers, d’obtenir des heures supplémentaires et, pour des élèves, de subir un supplément d’enseignement au-delà d’heures déjà pénibles pour eux dans l’horaire normal. Entre ces deux extrêmes, certes caricaturaux, il faudra que l’implantation et le fonctionnement de ces ERE soient au service des élèves les plus défavorisés et se combinent à une adaptation de la scolarité ordinaire aux problèmes qui se posent.

8°) Les autres sujets du rapport annexé à la loi concernant les ZEP (objectif bac, sortants d’IUFM, scolarisation à 2 ans, éducation artistique, enseignement des langues et santé scolaire) sont autant d’acquis qu’il faudra garder en mémoire pour que la réglementation future et la politique engagée en tiennent compte.
Pour l’objectif bac, qui s’y opposerait ? La question, sans réponse au niveau de la loi, est le moyen d’y parvenir. Sans doute le législateur a-t-il estimé que la réponse tenait dans l’existence du socle, dans les ERE (équipes de réussite éducative) et les PPRE (programme personnalisés de réussite scolaire). Il semble cependant que ces nouveaux dispositifs visent plutôt les élèves qui, actuellement, sortent du système éducatif sans qualification et non ceux qui pourraient aller au bac mais n’y parviennent pas. Domaine à explorer et à discuter.
Pour les sortants d’IUFM, on a constaté à l’OZP que la présence de jeunes enseignants récemment sortis d’IUFM pouvait être une richesse pour les ZEP : dynamisme, refus du fatalisme, imagination, engagement... A contrario, on a constaté aussi parfois des personnels bien implantés dans des écoles et établissements semant le fatalisme autour d’eux, répétant qu’on a « tout essayé » et qu’avec « ces élèves et ce quartier, il n’y avait rien à faire ! » Bien entendu, ce sont là des cas et il reste dommageable, en général, que la proportion d’enseignants nouveaux soit trop élevée.
Le problème ne réside sans doute pas dans l’âge des personnels mais dans leur stabilité et, surtout, leur qualification et leur pilotage (soutien hiérarchique, formation continue, heures de concertation, travail en équipe, recherche collective d’adaptation aux réalités du quartier...).
Pour la scolarisation des 2 ans, on constate qu’elle est partout en régression depuis quelques années.. Dans ce contexte général, les ZEP ne voient plus la priorité que la loi de 1989 leur avait attribuée. Cette indication permettra-t-elle le redémarrage de l’offre de scolarisation à deux ans ? Il est à craindre que cela ne se fasse pas sans luttes locales.
Pour l’éducation artistique, la place que les "zones socialement défavorisées" occupent dans le Rapport annexé est positive. On peut cependant se demander s’il ne s’agit pas d’une sorte de « repêchage » après le refus des députés d’inclure l’enseignement artistique dans « le socle ». C’est un procès d’intention, assurément, et peut-être sans fondement. On verra donc dans l’application si ce n’est que « pommade » ou si c’est le début d’une véritable politique en faveur de l’enseignement artistique dans les ZEP.
Enfin, pour l’enseignement des langues, le « notamment en ZEP » devra être rappelé lors des négociations pour les nouveaux contrats d’objectifs.
Il en est de même pour la présence du personnel d’action médicale et sociale. Il faudra une vigilance de chaque ZEP pour que la volonté du législateur soit respectée, l’expérience montrant que l’oubli est une attitude chronique, sur ces deux dernières questions, dans les administrations décentralisées.

A. Bourgarel

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1 Message

  • Loi Fillon et loi Borloo

    29 mars 2005 12:56

    Sur le fond je pense que cette analyse qui voudrait critiquer la loi FILLON arrive seulement à exprimer des inquiétudes fondées sur ce que l’on sait de la politique actuelle plus que sur la loi d’orientation sans doute parce que la loi FILLON est vide ou presque. Le seul point d’accroche réelle, dans le texte de la loi ou plutôt du rapport annexe est le principe de transformer le territoire"en s’attachant à résoudre les difficultés individuelles".

    L’OZP a dénoncé le transfert du traitement territorial aux « Affaires Sociales », l’Education Nationale se cantonnant dans le traitement des difficultés individuelles. Mais on ne tire pas les conséquences des transformations annoncées par les 2 lois BORLOO telles qu’elles ont été analysées lors de notre Rencontre du 9 mars dernier (cf. le compte rendu sur le site). Ce sont les maires qui vont donner de la cohérence au « mille-feuilles » des dispositifs que nous dénonçons si souvent. Ce sont eux qui vont organiser ces partenariats que nous réclamons et qui coûtent tellement de temps. C’est donc à ce niveau que les politiques réelles vont s’élaborer, car on peut s’attendre à une grande diversité. Quelle présence et quelle action des acteurs de l’éducation au niveau des villes ou des agglomérations ? Il faudra comme cela a été lors de cette Rencontre que les enseignants apprennent et acceptent de parler pédagogie et projet pédagogique avec leurs partenaires locaux.

    L’inquiétant, c’est que pour l’essentiel les moyens annoncés sont liés au plan de Rénovation Urbaine, qui a pour ambition d’attirer les classes moyennes dans des quartiers et la fonction des Equipes de Réussite Educative est de rendre les écoles et les collèges attractifs pour les catégories sociales que l’on souhaite faire venir. L’aspect éducatif est une annexe d’une opération immobilière, un objectif subordonné. Ce n’est pas du tout notre objectif de solidarité. Les familles les plus en difficulté qui devraient être les bénéficiaires de l’éducation prioritaire risquent d’être chassées par les démolitions prévues, sans relogement dans leur quartier risquent d’être écartées. Elles sont perçues comme des problèmes à éloigner plus que comme des citoyens ayant des droits, même si localement l’action des élus des travailleurs sociaux et des enseignants peut parfois déboucher sur des projets positifs.

    F. R. GUILLAUME

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