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L’origine des ZEP. L’égalité par la discrimination (Antoine Prost)

3 mars 2005

Extrait du Monde de l’Education, mars 2005, p.74-75

L’origine des ZEP. L’égalité par la discrimination

Les ZEP ne sont pas nées de l’imagination d’un sociologue ou d’un homme politique en mal de programme. Elles ont été une réponse pragmatique à une situation concrète. Le local, ici, a précédé le national .

Au départ, au milieu des années 1960, la décision d’un préfet de construire deux cités de transit au port de Gennevilliers pour loger des immigrés et les habitants d’un bidonville ravagé par un incendie. L’administration pouvait, à l’époque, construire des logements sociaux dans une commune contre l’avis du maire. Beaucoup de quartiers ainsi construits sont devenus aujourd’hui « difficiles », et ils ont souvent été détruits, comme ici. Naturellement, les maires étaient furieux de se voir imposer des habitants dont ils ne voulaient pas. De plus, cette population supplémentaire de familles nombreuses, immigrées et insolvables, leur imposait des charges nouvelles : en particulier, il fallait scolariser les enfants et, pour cela, créer et entretenir de nouvelles écoles maternelles et élémentaires. Le maire de Gennevilliers fit de la résistance et refusa de prendre en charge les deux écoles construites en catastrophe dans les cités.

Les deux groupes scolaires ouvrirent à la rentrée 1966. Les volontaires pour y enseigner étaient rares. Cinq instituteurs d’une cité d’urgence de l’abbé Pierre qui venait d’être rasée acceptèrent, et l’un d’eux, Alain Bourgarel, fut nommé directeur des deux écoles.
Mais, à la rentrée, il était clair que l’administration se moquait des écoles du port : elles étaient vides, il n’y avait ni tables ni chaises... Furieux, les parents, qui attendaient depuis avril que leurs enfants aillent à l’école, cassèrent les vitres. Les enseignants se mirent en grève. Acculée, l’administration dut accepter d’utiliser la catégorie nouvelle des « handicapés sociaux », qui permettait d’obtenir des conditions de travail privilégiées, en particulier un maximum de 15 élèves par classe et une formation supplémentaire pour les enseignants. Un combat parallèle permit de transférer à la préfecture les responsabilités incombant à la commune.

Made in England

Pour Alain Bourgarel et ses collègues, ce statut dérogatoire ne suffisait pas. Leurs écoles risquaient d’aggraver la ségrégation, de « plaquer un ghetto scolaire sur un ghetto
social » si leurs élèves y restaient toute leur scolarité. Ils décidèrent de fonctionner autrement. Leurs élèves étaient pour la plupart nés en France et parlaient français. Si, au sortir de la maternelle, ils semblaient pouvoir réussir normalement-ce qui était le cas d’une moitié environ-, il fallait les sortir de la cité et les placer dans des classes ordinaires. Encore fallait-il convaincre les maires et les directeurs d’école de les accepter. Comme ils n’en voulaient pas, ce fût un long travail de persuasion qui ne pouvait réussir qu’à condition d’intégrer peu
d’élèves dans chaque école, et donc de mettre en réseau beaucoup d’écoles. Des bus, chaque matin, répartissaient les élèves entre vingt-quatre écoles, réalisant ainsi une
sorte de ramassage scolaire à l’envers.

La réussite de cette expérience montrait qu’on pouvait attaquer les « handicaps sociaux » -pour garder la terminologie de l’époque- à partir d’un statut dérogatoire et à condition de se situer dans une zone plus large. Mais Bourgarel et ses collègues ne songeaient pas à la généraliser.

L’étape suivante fut un voyage en Angleterre et la découverte du rapport Plowden (1967), qui préconisait, pour résoudre des difficultés analogues, la création d’Education Priority Areas (EPA). Alain Bourgarel et sa femme font connaître ce rapport en 1969, d’abord dans le bulletin « Interéducation », puis au sein du Syndicat général de l’éducation nationale (SGEN-CFDT), où M. Bourgarel prendra des responsabilités pédagogiques nationales en 1971. En décembre 1969, il publie dans le journal du SGEN une page sur les « handicapés sociaux », où, à propos du rapport Plowden et des EPA, il précise : « discrimination positive par création de ZEP, zones d’éducation prioritaires ».
Mais le SGEN est un syndicat minoritaire, et même en son sein l’idée de ZEP progresse lentement : il faut attendre 1972 pour qu’elle fasse l’objet d’une motion de congrès, et encore ne mobilise-t-elle qu’une poignée de militants.

Donner plus à ceux qui ont moins

L’idée se diffuse ensuite dans le Parti socialiste. Le relais est assuré par un autre militant du SGEN, Jean-Louis Piednoir, maître assistant de mathématiques, socialiste, proche collaborateur du délégué national à l’éducation, Louis Mexandeau. Le Parti socialiste s’emploie alors à peaufiner son programme de gouvernement. Il publie en 1978, sous forme de petit livre au format de poche, son Plan pour l’Education nationale. L’idée de ZEP n’y rient pas une place considérable, mais elle est présente et explicite. Dans « les axes politiques » du plan, cinq lignes intitulées « Promouvoir une "école inégalitaire" pour créer les conditions d’une véritable égalité » expliquent : «  Une école formellement égalitaire profite aux favorisés. Il s’agit au contraire de donner plus à ceux qui, actuellement, sont exclus de l’école, en apportant en priorité des moyens supplémentaires aux zones et aux catégories scolairement défavorisées » (p. 45, §1.3.2.4). Cette idée est reprise à la fin du livre dans deux pages consacrées essentiellement à la gratuité et aux allocations aux familles modestes. Il y est question de « programmes d’éducation prioritaires », pour des milieux sociaux, géographiques ou culturels particuliers, placés sous la responsabilité de l’Etat et dotés de moyens supplémentaires (p. 161). Ce n’est pas l’axe majeur d’une politique, mais une solution à des difficultés spécifiques.

Cet aspect relativement marginal s’avère un atout : la mesure n’exige pas de mettre en chantier une « grande » réforme, longue à mûrir. Après la victoire de François Mitterrand
à la présidentielle, Alain Savary entre Rue de Grenelle et cherche un geste immédiat
pour manifester que les choses vont changer. Ses collaborateurs, notamment Christian Join-Lambert, un magistrat de la Cour des comptes qui avait travaillé avec Louis Mexandeau et présidé une association de parents d’élèves, lui proposent de créer des ZEP II saisit l’idée, qui rejoint son tempérament profondément décentralisateur. Sa décision est annoncée aux recteurs début juin. Le 1" juillet 1981, une circulaire préconise, pour corriger l’inégalité sociale, le renforcement sélectif de l’action éducative dans les zones et les milieux où le taux d’échec est le plus fort...

Antoine Prost

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