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Carole Diamant, croisée des ZEP

5 mai 2005

Extrait du « Monde » du 05.05.05 : Carole Diamant, enseignante de philosophie dans un lycée de la banlieue parisienne, dénonce le repli croissant des élèves sur leur communauté d’origine. Et se félicite de la convention qui lie son établissement à Sciences-Po.

Pour Carole Diamant, professeur de philosophie au lycée Auguste-Blanqui à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, Foued fait partie de ces élèves qui donnent du baume au cœur. Excellent au lycée, il se retrouve étudiant en littérature à la Sorbonne, complètement épanoui. La famille reconnaissante offre régulièrement des pâtisseries orientales à Carole Diamant, l’invite parfois à prendre le thé.

Un jour, le père vient chercher l’enseignante, paniqué : "Venez à la maison !" Foued s’était progressivement éloigné de la religion pour se consacrer à ses études. Il s’était fait des amis français, espagnols, néerlandais, africains. Tout cela était tranquillement accepté par la famille. Mais, à cet instant, le père est "affolé, presque effrayé" . Foued était passé dîner la veille à la maison. Le père lâche : "Il ne sait plus ce qu’il dit. Il raconte qu’il a maintenant des amis juifs !" Carole Diamant reste coite.

Son grand-père a connu les camps. Arrêté par la police française, il a été gazé trois jours plus tard. Son père est communiste et athée. "Outre l’impossibilité de dire, d’avouer une judéité presque oubliée, je ne savais pas entreprendre un exposé académique sur la fraternité nécessaire entre les peuples." Arrivée chez son ancien élève, chaleureusement accueillie par la famille, elle se demande comment agir, et finalement ne dit rien. Mais, au lycée, elle organise des travaux sur les génocides arménien, juif, rwandais. Et décide d’écrire Ecole, terrain miné, publié aux éditions Liana Levi.

Elève, Carole Diamant était turbulente, ne pensait qu’à plaisanter. Renvoyée de l’école pour indiscipline, ce n’est qu’en classe de terminale qu’elle rencontrera des professeurs s’intéressant à elle. Elle se met alors à dévorer les cours de philo "avec l’idée naïve que cette discipline la conduira au vrai" .

Après l’université, elle se retrouve, à 22 ans, enseignante à Abidjan dans un lycée franco-ivoirien où elle pense s’amuser. Elle y découvre des élèves qui veulent travailler, "avec un infini respect pour le savoir" . Elle enseigne la culture occidentale, découvre dans la littérature africaine des "perles de sensibilité" . Les élèves lui font "comprendre la valeur de l’école" .
Après l’Afrique, Créteil. Le professeur est choqué par la saleté des bâtiments. Les élèves sont agités, parlent mal, elle sent un vent d’insurrection et déboule dans le bureau du proviseur : "Ce n’est plus tenable, ça va éclater, Monsieur !" Le proviseur, habitué, ne bronche pas. Elle se tourne vers les conseillers principaux d’éducation qui lui font comprendre les difficultés socio-économiques des élèves. Elle se souvient qu’en Afrique, certains élèves boursiers avaient à peine de quoi manger tous les jours.
Mutée à Argenteuil, dans le Val-d’Oise, elle sent une fois la pointe d’un couteau dans son dos alors qu’elle monte un escalier. Puis c’est un élève qui se tape la tête contre un lampadaire jusqu’à n’en plus finir. Une jeune fille écrase sa cigarette contre sa propre main après une réflexion d’un surveillant. Carole Diamant est immergée dans la violence.
Cette violence, elle finit par remarquer que c’est le plus souvent contre eux-mêmes que les élèves la dirigent. Elle affronte chez quelques-uns des regards de défi, avec en sous-titre "tu peux toujours parler, je ne t’écoute pas, tes mots dégoulinent comme des crachats, tes mots sont des agressions." L’insolence est là, le mépris, une volonté absolue de résister au monde du savoir, à l’exercice de la raison, à sa critique aussi, bref à tout ce qui peut initier un futur adulte à la pensée, au dialogue.
Un jour, Carole Diamant s’est sentie gênée. En cours, elle abordait le thème de la liberté chez Jean-Jacques Rousseau. Elle remarque alors qu’un élève est de retour, apprend qu’il vient de faire de la prison. "Ai-je bien parlé de la liberté à quelqu’un qui sort de taule ?" , s’angoisse-t-elle. Elle voit des collègues qui lisent le journal au lieu de donner un cours, un autre, un grand gaillard, prêt à tomber la veste et à s’expliquer avec les élèves dans la cour. "Moi, je suis petite, chétive." "J’y laisse ma peau" , constate-t-elle en colère.

Carole Diamant apprend à vivre avec ces regards. Elle entend dans les silences des élèves ces mots : "Tu n’y arriveras pas, bats-toi, tu échoueras." Elle constate que toute tentative se heurte au retour du théologique, "la réponse à tout" . Elle fait apporter la Bible et le Coran en classe, impose Darwin. Certains élèves pensent se construire hors ou même contre l’école, se replient sur leur communauté d’origine. Ce sont des fils d’immigrés "qui doutent, et s’éloignent de l’influence de la société dans laquelle ils sont nés" . Ils sont peu "mais plus nombreux chaque année, ce sont des garçons, et on ferme les yeux" .
Pour Carole Diamant, on ne peut plus enseigner comme avant : "Il est encore temps de réfléchir à la façon dont les professeurs vont entendre, comprendre cette attitude de repli, et y répondre."

Elle se sent chargée de former les esprits : "L’école est un instrument. Que l’école cesse d’être docte, qu’elle se pense elle-même. Qu’on en rabatte un peu sur notre parole du XVIIIe siècle et, eux, qu’ils fassent de même sur leur culture d’origine. La mondialisation est dans nos classes. On a l’impression aujourd’hui que l’école n’est qu’une fin. Le chantier commence, ce n’est quand même pas une affaire d’Etat."

Sciences-Po a débarqué dans son lycée de Saint-Ouen pour installer une filière d’admission spéciale, en vertu d’une convention qui permet à des élèves de zones d’éducation prioritaire (ZEP) d’être admis en première année sans concours. Au début, Carole Diamant était récalcitrante. Elle se demandait comment on traiterait les élèves admis. Finalement, elle a accepté de servir de coordinatrice. En privilégiant l’oral par rapport à l’écrit, Sciences-Po "a montré une immense ouverture d’esprit" . Pour elle, l’expérience constitue une brèche, un "projet qui rectifie les injustices" .

Elle a constaté qu’après l’admission, le handicap de l’écrit est surmonté en deux ans. Elle est fière de ses anciens élèves étudiants à l’Institut d’études politiques : "Ils travaillent comme des chiens, ils reviennent au lycée pour encourager les nouveaux." Mais elle reconnaît aussi que son travail est de plus en plus difficile, que les professeurs sont fatigués. Elle conclut qu’il reste "tous ces instants d’orgueil où l’on ne renonce pas".

Dominique Le Guilledoux

 >1953 Naissance à Paris.
 >1977 Enseignante à Abidjan.
 >1994 Affectation au lycée Auguste-Blanqui à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).
 >2001 Première promotion à Sciences-Po.
 >2005 Publication du livre Ecole, terrain miné (éditions Liana Lévi).

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