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Le Café et Tout Educ analysent le rapport des inspections générales sur l’assouplissement de la carte scolaire

3 août 2013

Lancée en juin 2007 par Xavier Darcos dans le but officiel de « donner une nouvelle liberté aux familles », celle du « libre choix de l’établissement scolaire », et « de favoriser l’égalité des chances et d’améliorer sensiblement la diversité sociale dans les collèges et les lycées », la politique d’assouplissement de la carte scolaire n’a rempli aucun de ces deux objectifs. L’étude officielle de l’Inspection générale, réalisée par Bertrand Pajot et Roger-François Gauthier, confirme les travaux déjà publiés par Le Café pédagogique. Basée sur les statistiques de la Dgesco et des visites dans plusieurs académies, l’étude de l’Inspection générale met en évidence de façon officielle la nocivité de la politique lancée par X Darcos et maintenue par L. Chatel. Les inspecteurs font des propositions pour « rendre l’objectif national de mixité sociale opérationnel ».

[...] La mesure n’a pas profité aux boursiers sociaux
Officiellement, l’assouplissement devait permettre de renforcer l’égalité des chances. Elle avait été présentée comme un outil pour que les familles populaires puissent sortir des ghettos scolaires. En fait, le nombre de demandes de dérogation des boursiers sociaux a diminué passant de 4500 en 2008 à 3500 en 2012. La grande masse des demandes provient des « autres demandes », c’est-à-dire celles qui ne sont en rien prioritaires, devant les traditionnelles demandes de rapprochement familial ou de parcours particulier. « Seuls 4 % des boursiers sociaux adressent une demande de dérogation, à comparer aux 11 % des demandes pour l’ensemble de la population », note le rapport.

Elle a aggravé la situation des collèges prioritaires
Pour ses initiateurs, l’assouplissement devait permettre une saine mise en concurrence des établissements scolaires par le libre choix des familles. Cela devait pousser les établissements des quartiers défavorisés à s’améliorer et donc finalement bénéficier principalement aux familles populaires. C’est exactement le contraire qui s’est passé. « Si la mission a pu constater quelques situations, comme celle d’un collège de Concarneau, où l’évitement a pu déclencher le ressaisissement d’un collège qui a décidé de réagir », souligne le rapport, « elle a constaté que, dans la plupart des cas, les transferts d’élèves autorisés par les dérogations ont plus souvent renforcé des déséquilibres préexistants ou en ont créé de nouveaux…
La concurrence entre établissements relativement créée en 2007 a surtout figé des situations acquises, qu’il s’agisse de l’attractivité des collèges ou de leur composition sociale.... L’assouplissement avait peu de chance d’améliorer l’indice des collèges évités, les familles relevant de CSP favorisées n’ayant aucune raison de demander des collèges défavorisés, alors que, à l’inverse, la mission a pu constater que des dérogations entrantes sur critères boursiers ont pu infléchir un peu l’indice social de certains établissements. »

Pour les établissements prioritaires, « un bilan au niveau national portant sur les collèges RAR fait apparaître que l’évitement de ces collèges, qui était antérieur dans la plupart des cas à l’assouplissement, a continué de 2008 à 2011 en s’accentuant légèrement… Divers auteurs ont souligné ce fait, comme Oberti et al. (2011), qui ont montré dans la région parisienne que les collèges concentrant des CSP défavorisées ou des étrangers ont vu leur homogénéité sociale se renforcer depuis 2007, ce qui indique qu’ils ont perdu encore plus d’élèves de classe moyenne, situation que l’on retrouve pour certains collèges RAR.
Reste qu’un sentiment de relégation dans ces collèges peut se renforcer pour les familles qui n’ont pu bénéficier de cet assouplissement, compliquant de fait la vie de ces établissements. De plus, la perte d’élèves finit par poser de réels problèmes d’organisation pédagogique interne à ces établissements : un collège des Yvelines a résolument fait le choix de regrouper les quelques élèves issus des CSP moyennes ou favorisées dans une seule classe par niveau, faute de quoi il s’exposait à des demandes de dérogation. »

Le rapport signale également l’effet désastreux sur le moral des enseignants des ZEP. « Ces équipes expriment un double sentiment, d’abandon par les pouvoirs publics et d’impuissance devant l’évitement de leurs collèges, sans compter l’image négative que cela leur renvoie de leur action d’une façon ressentie comme injuste. D’abandon, parce qu’ils n’ont pas (à tort ou à raison) l’impression que leurs établissements reçoivent un accompagnement à la hauteur des enjeux, mais aussi parce que pour eux, l’assouplissement de la carte scolaire, en donnant priorité aux logiques individuelles au détriment des enjeux collectifs de l’école, est un renoncement du service public. D’impuissance, parce qu’ils ont l’impression que leur action n’a pas de prise sur leur réalité. »

[...] La mixité sociale doit devenir l’objectif principal
Du coup, l’Inspection hisse la mixité sociale comme objectif principale de toute politique de carte scolaire. « Quant à l’équilibre social, il mérite donc d’être clairement désigné comme une référence de l’action éducative : reconnu comme une cause d’intérêt national, il devrait rassembler l’ensemble des parties prenantes : certes les collectivités territoriales des différents niveaux et l’enseignement privé, pour ce qui les concerne, mais d’abord l’éducation nationale elle-même qui doit tracer la voie, et prendre, sur la recherche de l’équilibre social, les décisions fortes qui s’imposent », conclue le rapport.
Cela passe d’abord par la création d’observatoires dans chaque académie. « Dans le dialogue de gestion que le DASEN aura avec chaque établissement, l’action en faveur d’un meilleur équilibre social sera prise en compte, et le contrat d’objectif revu si nécessaire en fonction de cet objectif », demandent les inspecteurs. « Les collèges devront aussi être progressivement tirés de situations qui leur sont imposées par des déterminants extérieurs (urbanisme, quartier ghettoïsé, extrême difficulté sociale des enfants, etc.) et ne leur permettent pas de remplir la mission qui leur est confiée : en ces cas, il est évident que la révision courageuse de la sectorisation, dans le sens de la recherche de l’équilibre social, devra être la solution recherchée conjointement par l’État et la collectivité territoriale… »

Les inspecteurs veulent aussi affronter les discriminations fabriquées par l’Education nationale à travers l’offre pédagogique. « La mission est sans ambiguïté sur ce point particulièrement sensible et dont la mauvaise gestion peut être délétère sur l’ensemble d’un système local : l’efficacité, l’effet sur l’équilibre social des établissements et la dispersion géographique de tous les enseignements de nature optionnelle, de même que la carte des langues, seront l’objet d’une attention vigilante au sein de l’observatoire de l’équilibre social du secteur et de décisions constantes du DASEN pour éviter qu’ils nuisent à l’objectif général ».

Ce rapport enterre la politique mise en place par Nicolas Sarkozy. Elle ne règle pas la question des dérogations qu’elle souhaite voir se résoudre dans une collaboration renforcée entre les conseils généraux et les Dasen. Alors que le ministère réfléchit à sa nouvelle politique prioritaire l’objectif de mixité sociale reste à être traduit en actes.

F. Jarraud

Extrait de L’Expresso du 02.08.2013 : Carte scolaire : L’assouplissement est bien un leurre

Le texte intégral du rapport, juin 2013

 

La question de la mixité scolaire est très rarement abordée par les DASEN [les inspecteurs d’académie, ndlr] ou par les conseils généraux. L’assouplissement de la carte scolaire n’a pas produit de rupture de ce point de vue et a même souvent eu l’effet inverse." Les inspections générales se sont penchées sur l’efficacité de l’assouplissement de la carte scolaire voulu par Xavier Darcos, alors ministre de l’éducation nationale, en juin 2007. Leur bilan, centré sur la sectorisation des collèges, est particulièrement sévère. A la suite de la DEPP (lire ToutEduc ici), les inspections générales affirment que "les transferts d’élèves autorisés par les dérogations ont plus souvent renforcé des déséquilibres préexistants ou en ont créé de nouveaux". Selon les auteurs du rapport, l’assouplissement de la carte scolaire a installé "une défiance plus forte vis-à-vis de la sectorisation, défiance qui a atteint un point de non-retour", mais aussi marqué "un raidissement des relations entre l’Etat et les conseils généraux".

Politique gestionnaire
Les affectations dérogatoires ont finalement été peu nombreuses. Les départements ont favorisé une approche "pragmatique" car "les conseils généraux étaient soucieux de ne pas connaître de remise en cause drastique de la situation existant avant l’assouplissement de la carte scolaire". Le nombre de demandes satisfaites est resté en moyenne inférieur à 70% de 2008 à 2012. Les dérogations ont été accordées selon une politique de gestion des flux : l’objectif était moins d’améliorer la mixité sociale des étabissements que d’éviter tout bouleversement dans leur composition démographique, afin de limiter les impacts en termes de construction ou de transport scolaire" en période de restriction budgétaire. La lourdeur des démarches administratives explique aussi les réticences de certains chefs d’établissements. "Suivant la taille de leurs écoles, le temps de travail cumulé des directeurs d’école sur les dérogations peut représenter de trois à cinq jours pleins", note la mission.

Certains départements, comme l’Hérault, le Rhône ou la Somme, ont mené des politiques de restriction des dérogations plus actives, afin de maintenir la mixité sociale de certains collèges. Entre 2008 et 2012, le nombre de demandes acceptées a ainsi diminué de 80% dans le Rhône.

Mal informés sur les objectifs de ces politiques, les familles ont souvent été "frustrées" par des refus qui ont renforcé leur sentiment "d’abandon" et "d’impuissance", même si peu d’entre elles ont effectué une demande de dérogation. "Une grande majorité des familles a choisi le collège de secteur", relève la mission. Seulement 12% des familles se sont engagées dans le processus de dérogation entre 2008 à 2012.

Paradoxalement, les familles les plus concernées par l’assouplissement de la carte scolaire n’ont pas cherché à en tirer parti. Seuls 4 % des élèves boursiers ont adressé une demande de dérogation, un taux près de trois fois inférieur aux demandes pour l’ensemble de la population (11 %). "Il y a fort à craindre que certaines familles de milieux défavorisés, à cause par exemple d’une maîtrise mal assurée de la langue française, n’aient ni eu accès à l’information, ni pu concevoir qu’elles seraient capables de gérer un dossier", déplorent les auteurs. Ce manque d’nformation explique aussi pourquoi très peu de familles dont la demande a été refusée ont demandé un recours. "Dans une majorité des cas, il n’existe aucune information sur les recours possibles dans les documents transmis aux parents".

Peu d’effets sur le privé
La réforme a faiblement touché les élèves qu’elle visait en priorité. Elle n’est pas non plus parvenue à changer l’image des lycées défavorisés, malgré la "discrimination positive" menée par les DASEN, qui ont mis en valeur ces établissements et limité les dérogations sortantes qui leur étaient présentées. "Les collèges attractifs restent attractifs et les collèges évités restent évités." L’assouplissement de la carte scolaire a même diminué l’attractivité d’une majorité de collèges RAR [Réseau Ambition Réussite, devenus ECLAIR en 2012] entre 2008 et 2011. Dans ces établissements, 30 % des élèves entrant en classe de 6ème ont demandé une dérogation, soit près de trois fois plus que la moyenne nationale, et le nombre de demandes sortantes a été près de deux fois supérieur au nombre de demandes entrantes.

Inversement, la réforme a-t-elle augmenté l’attractivité du privé, comme de nombreuses collectivités l’ont craint ? Non, répondent les auteurs de la mission. Même si l’assouplissement de la carte scolaire "a renforcé les différences sociales entre les collèges publics et privés", les inspections générales n’attribuent pas la croissance des effectifs dans le privé à l’affaiblissement de la carte scolaire et se démarquent par là de la DEPP. C’est justement parce que les établissements publics ont souvent surestimé l’effet de la réforme sur l’attractivité du privé qu’ils se sont davantage senti en concurrence entre eux. Ils ont alors cherché à conserver leurs meilleurs élèves en acceptant peu de dérogations venant de quartiers défavorisés. D’où "une limitation de la mixité dans les collèges publics aux CSP favorisées".

Une cause d’intérêt national
Faut-il prendre acte de l’échec de l’assouplissement de la carte scolaire et revenir à une application stricte de son principe ? Pour les auteurs de la mission, un tel retour n’est ni possible, ni souhaitable. Beaucoup de familles y verraient une "régression inexplicable". "Des habitudes ont été prises depuis six ans et elles marquent un point de non-retour", notent les auteurs, pour qui l’application stricte de la carte scolaire ne contribuerait de toute façon "ni à l’amélioration de la situation des collèges en difficulté ni à un meilleur équilibre social des établissements".

Le problème est plus profond. La mixité sociale est trop rarement le moteur de l’action des politiques éducatives locales, alors même qu’elle figure désormais parmi les objectifs du projet de loi pour la refondation de l’Ecole. Les auteurs de la mission proposent de renforcer son importance en faisant de "l’équilibre social" une référence de l’action éducative, "une cause d’intérêt national" et un critère à évaluer dans chaque établissement.

Pour atteindre les objectifs de mixité sociale qui leur seraient fixés, les établissements devraient s’appuyer sur les collectivités territoriales. "Leur action devra être coordonnée avec l’ensemble des politiques territoriales de l’État et devra trouver les moyens d’entraîner les collectivités territoriales dans la poursuite de cet objectif."

Solidarités territoriales
Actuellement, ce n’est pas toujours le cas : la sectorisation relève de différents acteurs en fonction du niveau scolaire (le maire au primaire, le conseil général au collège, l’autorité académique au lycée) et "les différentes autorités n’ont pas conscience de la solidarité de fait de leurs décisions qui concernent le cursus des mêmes élèves".

La situation est particulièrement complexe au collège, où la sectorisation et l’affectation des élèves relèvent des copétences de deux acteurs distints, respectivement le conseil général et l’autorité académique (le DASEN). Or, selon les auteurs de la mission, les échanges fonctionnels entre le DASEN et les conseils généraux ont beau "exister partout", ils sont loin d’être efficacles. Les DASEN "disposent globalement de plus de données sur les élèves et les établissements et n’hésitent pas à retenir des informations" vis à vis des conseils généraux. C’est pourquoi, selon les auteurs, "ce sont les DASEN, gestionnaires de l’assouplissement de la carte scolaire sur le terrain, qui ont limité les échanges avec les départements" et attisé les tensions entre l’Etat et les Conseils généraux.

Même si les auteurs ne préconisent pas de modifier la répartition des compétences entre l’État et les collectivités , ils soutiennent que l’échec des politiques de la carte scolaire prouvent "les limites de la séparation des compétences" dans ce domaine. "Les services de l’État n’ont pas de prise sur la carte scolaire qui peut être un moyen de mieux répartir les élèves et les conseils généraux n’ont pas de prise sur la politique éducative et hésitent fortement à s’engager dans des modifications de la carte scolaire qui induisent généralement de vives réactions des familles et des élèves".

Pour remédier à ces blocages, les auteurs recommandent un pilotage "local" de la question de la carte scolaire, encadré par "une véritable politique nationale, avec un relais académique, dont elle n’a jusqu’ici jamais bénéficié".

Extrait de touteduc.fr du 02.08.13 : Carte scolaire : l’échec de la réforme Darcos interroge la "séparation des compétences" Etat-collectivités (inspections générales)

 

Voir aussi "Conséquences de l’assouplissement de la carte scolaire après 2007", rapport des Inspections générales, avec des préconisations (juin 2013)

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