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La note de France Stratégie sur l’éducation prioritaire : l’analyse de Marc Bablet pour le Café pédagogique

16 avril 2019

Marc Bablet : Education prioritaire : Sur la note de France Stratégie
Publiée le 11 avril, la nouvelle note de France Stratégie, un service du premier ministre, sur l’éducation prioritaire dans le premier degré sort au moment où le ministère doit faire connaitre ses choix pour l’éducation prioritaire. Ancien responsable de l’éducation prioritaire à la Dgesco, Marc Bablet analyse cette note. Il en extrait des éléments positifs : la note "reconnaît le travail fait en 2015 et plaide pour une carte encore améliorée". Mais il souligne aussi des inquiétudes. "En plaidant pour l’allocation progressive des moyens on risque de basculer vers un système où les priorités n’apparaissent plus assez nettement pour donner lieu à un pilotage fort. Or l’histoire montre qu’il n’est d’éducation vraiment prioritaire que significativement pilotée aux différents niveaux", écrit-il. " Il ne faudrait pas par ailleurs que la centration du regard sur les écoles empêche de prendre en compte la dimension du réseau avec la continuité pédagogique sur l’ensemble de l’école obligatoire. Cette dimension du travail en réseau est particulièrement indispensable dans l’éducation prioritaire où les élèves ont besoin d’un suivi dans la durée".

Cette note propose trois parties :

- Une partie d’analyse de l’éducation prioritaire actuelle au regard de la plus ou moins grande justice de la carte : la carte est-elle bien située au regard des besoins scolaires compte tenu des situations sociales des élèves des écoles concernées où ils sont concentrés ? (ce que les auteurs appellent « l’ajustement du label »).

- Une partie d’analyse de la répartition des postes d’enseignants du premier degré (en prenant la peine de distinguer les postes ordinaires des autres postes, notamment ULIS) en fonction de la situation sociale des territoires d’implantation des écoles.

- Une partie relative aux enjeux pour la réforme de l’éducation prioritaire annoncée par le ministre pour la rentrée 2020 avec la considération de deux sujets : la révision de la carte et l’allocation des moyens.

Cette note de France stratégie est très intéressante s’agissant de la partie relative aux analyses de la carte actuelle de l’éducation prioritaire. Elle reconnaît le travail fait en 2015 et plaide pour une carte encore améliorée.

Elle repose sur une méthodologie sérieuse dans le cadre des informations actuellement disponibles. Méthode qui rejoint ce qui a été travaillé dans de nombreux départements par les IADASEN qui disposent des situations sociales des écoles et s’en servent pour l’allocation de leurs moyens. Méthode qui rejoint ce que j’ai proposé dans mon blog pour analyser la mixité sociale à partir des données du SIG de la ville (voir). Cette méthodologie présente toutefois des limites techniques qui doivent être dites : la géo localisation des écoles est parfois légèrement défaillante du fait de la distinction entre adresse administrative et adresse postale qui peut amener des changements d’IRIS selon que l’on prendrait une adresse ou l’autre. Elle ne garantit pas que les élèves logent dans l’IRIS car le secteur de l’école, défini par la mairie recoupe le plus souvent plusieurs IRIS. Les données sur le niveau de vie médian ne sont pas toujours très sûres. Ce semble être notamment le cas dans les DOM. En outre, le fait que ces données concernent tous les habitants de l’IRIS et pas seulement les parents d’élèves constitue un biais que nous avions repéré au moment de revoir la carte en 2015. Il reste que l’on ne dispose actuellement de rien d’autre pour analyser la situation sociale des populations scolarisées dans les écoles. Cela explique aussi pourquoi la carte de 2015 a été travaillée avec les données des collèges en priorité. Il serait en effet utile, comme le recommande France Stratégie de disposer de données sociales plus fiables à croiser avec celles-ci et peut être serait –il intéressant de disposer des niveaux de diplômes car l’on sait que le niveau de diplôme des parents présente la corrélation la plus forte avec la réussite scolaire des enfants.

Cette note reconnaît que la carte de l’éducation prioritaire actuelle est mieux ajustée qu’avant 2012 et qu’il s’agit de continuer la même politique qui consiste à rechercher une carte plus juste. On ne peut qu’être d’accord avec cela dans un esprit d’amélioration de la réponse publique aux situations sociales des élèves des écoles qui ont une incidence sur la réussite scolaire. Les écoles qui se situent dans les déciles 4 à 10 ont clairement vocation à sortir de l’éducation prioritaire, celles des déciles 1 qui n’y sont pas à y rentrer et celles des déciles 2 et 3 méritent sans doute des analyses plus fouillées. Dans tous les cas, on ne peut que recommander de ne pas prendre des décisions sur la base d’une seule donnée. Pour être juste et précis, il vaut mieux combiner les données comme on l’a fait pour les collèges.

La note met en évidence la question des écoles dites « orphelines ». Rappelons que ce mot, qui est une trouvaille linguistique astucieuse de ceux qui ont parfois été opposés à certaines sorties d’éducation prioritaire, signifie que l’on parle d’une école qui ne relève pas du réseau d’un collège prioritaire parce que son collège de secteur connaît une mixité sociale normale qui ne justifie pas qu’il soit en éducation prioritaire sur la base de 20% des élèves en éducation prioritaire. Autrement dit, cette école peut être défavorisée au regard des indicateurs disponibles et ne pas être retenue dans l’éducation prioritaire qui est définie actuellement d’une part par les données sociales et d’autre part par une logique de réseau. Il a en effet été considéré que les écoles et collèges les plus prioritaires sont ceux qui sont inscrits dans des environnements qui concentrent des difficultés dans une géographie assez large susceptible de constituer un réseau écoles/collège. Il me semble que la note donne une extension excessive à cette notion en considérant que 350000 élèves résidant dans les territoires des déciles 1 et 2 et qui ne sont pas scolarisés en éducation prioritaire relèvent tous des écoles orphelines. Il se peut que certains d’entre eux relèvent d’un secteur de collège susceptible de rentrer en éducation prioritaire. La révision de 2015 n’ayant pas pu, pour des raisons politiques évidentes faire sortir tout ce qui aurait pu techniquement et statistiquement sortir, ne pouvait faire rentrer en conséquence à même hauteur compte tenu du fait qu’il était souhaité de maintenir l’éducation prioritaire dans la limite de 20% des élèves afin de ne pas perdre de vue le principe même de la priorité.

De la même manière la note rappelle qu’il y a encore dans la carte des écoles de mixité sociale moyenne ou favorisée qui sont néanmoins inscrites dans l’éducation prioritaire. Le plus souvent cela est le fruit de l’histoire et la révision de la carte de 2015 a amené à sortir de la carte de l’éducation prioritaire 196 collèges et 1200 écoles de ce type. Il y a bien eu une amélioration de la justice de la carte, comme le reconnaît France Stratégie et aussi la cour des comptes, mais une amélioration est encore possible dans la perspective d’une évolution progressive de cette carte. C’est la raison pour laquelle ceci était prévu pour la rentrée 2019 par la circulaire de juin 2014. France Stratégie incite bien le ministre à le faire en 2020. C’est une bonne perspective.

Cette note de France Stratégie présente de façon intéressante la situation des moyens du premier degré.

Elle reconnaît d’abord que l’allocation progressive des moyens est en place dans de nombreux départements et permet que les écoles dites « orphelines » soient bien prises en compte en ce qui concerne les moyens en emplois à défaut de l’être pour les indemnités aux personnels du fait qu’elles ne sont pas inscrites dans la carte de l’éducation prioritaire.

Elle met en évidence que certains départements urbains fortement défavorisés devraient pouvoir disposer de davantage de moyens pour assurer ce que d’autres qui ont moins d’éducation prioritaire peuvent assurer plus facilement. Il y a en effet un système assez mécanique qui est lié à la proportion d’écoles et collèges prioritaires dans un département : dans les départements qui ont très peu d’écoles prioritaires, il est plus facile de dégager des moyens en les prenant sur les autres écoles plus favorisées puisqu’elles sont beaucoup plus nombreuses. En revanche, si l’on prend l’exemple emblématique de la Seine Saint-Denis, il est d’autant plus difficile de dégager de gros moyens sur la dotation du département pour l’éducation prioritaire par prélèvement sur les autres que les écoles qui n’en font pas partie sont souvent proches sur le plan social et que les autorités académiques peuvent légitimement hésiter à sous doter ces écoles au profit de l’éducation prioritaire. C’est beaucoup moins compréhensible dans des départements qui connaissent de gros clivages sociaux.

La note remet en question l’idée souvent énoncée a priori que ce serait tout ou rien : l’éducation prioritaire ou rien. En montrant qu’il existe une modulation de fait des moyens tant dans l’éducation prioritaire que hors éducation prioritaire, elle montre que le système actuel d’allocation des moyens présente une souplesse qui permet de prendre en compte la diversité des situations sociales, école par école. Autrement dit France Stratégie recommande dans ses préconisations ce qu’elle constate comme déjà existant.

Cette note fait des propositions limitées à la question des moyens. Il ne peut y avoir d’éducation prioritaire sans l’ensemble des perspectives de travail tracées par le référentiel.

Chacun sait qu’il est plus facile de mettre en chiffres les moyens que la pédagogie. De là à ne retenir de l’éducation prioritaire que la question des moyens et des indemnités consécutives à la labellisation, il n’y a qu’un pas. Tout comme le rapport de la cour des comptes que nous avons commenté en son temps, cette note ignore que la politique d’éducation prioritaire ne saurait être résumée à la question des moyens. Il faudrait aussi parler de leur usage de la manière de les piloter, du travail collectif et de la formation… car l’éducation prioritaire est un tout qui nécessite une approche systémique. Les mesures qui ne porteraient que sur les moyens ne peuvent espérer des résultats si cela n’est pas conjugué à d’autres mesures dans une perspective de pilotage national, académique et local ferme. Le référentiel de l’éducation prioritaire rappelle le caractère systémique de cette politique prioritaire qui nécessite de travailler sur l’ensemble des composantes de la réussite scolaire et pas seulement sur les moyens comme cela est fait actuellement par le gouvernement avec la mesure des CP et CE1 dédoublés.

Cette note fait des propositions qui, mal comprises, pourraient amener à remettre en cause le principe de la carte, le travail en réseau et la notion même de priorité.

Comme la note le montre, la répartition des moyens du premier degré obéit localement à une prise en compte des situations sociales des écoles déjà bien en place dans l’éducation prioritaire comme en dehors. Plaider pour améliorer encore la justice de cette répartition et la transparence de ses critères est une bonne chose. Le problème qui resterait à traiter est celui des indemnités (autre forme de répartition de moyens) : si on peut moduler les emplois en fonction des situations sociales, il semble qu’il serait beaucoup plus difficile de moduler les indemnités même si ce n’est pas infaisable, toutefois cela générerait une bureaucratie supplémentaire dont il ne faut pas mésestimer le coût et l’effet. En plaidant pour l’allocation progressive des moyens on risque de basculer vers un système où les priorités n’apparaissent plus assez nettement pour donner lieu à un pilotage fort. Or l’histoire montre qu’il n’est d’éducation vraiment prioritaire que significativement pilotée aux différents niveaux. Je crois indispensable de maintenir une forte labellisation des écoles REP+ pour y appliquer une politique globale et systémique résolue sur la base du référentiel de l’éducation prioritaire dont on sait qu’il a heureusement inspiré nombre des projets actuels. Sans doute peut-on davantage moduler les choses pour les écoles REP et certaines écoles actuellement hors éducation prioritaire. Il faudra suivre avec attention la manière dont se mettront en place les cités éducatives qui ont vocation à renforcer les REP+ dans certains territoires particulièrement concernés par des situations sociales très difficiles.

La concentration de population défavorisée sur une école isolée (dite « orpheline ») au milieu d’un territoire de situation sociale plus ordinaire ne devait pas être traitée de la même manière que le reste de l’éducation prioritaire. Dans ces cas, la première perspective que l’on devrait proposer est de rechercher une meilleure mixité sociale par une révision du secteur (on dit aussi « périmètre ») de l’école. Ensuite rien n’empêche déjà actuellement de prendre en compte des besoins spécifiques de cette école dans une perspective de moyens supplémentaires. L’étude de France Stratégie montre d’ailleurs que cela a été fait par de nombreux IADASEN qui ont procédé à une allocation progressive de moyens en dotant de manière spécifique des écoles hors éducation prioritaire en situation sociale difficile. Je rappelle que les personnes intéressées peuvent retrouver les données à l’IRIS des QPV sur le SIG de la ville sur internet qui permettent aussi de situer les écoles des quartiers en question. Il ne faudrait pas par ailleurs que la centration du regard sur les écoles empêche de prendre en compte la dimension du réseau avec la continuité pédagogique sur l’ensemble de l’école obligatoire. Cette dimension du travail en réseau est particulièrement indispensable dans l’éducation prioritaire où les élèves ont besoin d’un suivi dans la durée. Il faut veiller à ne pas perdre de vue le réseau. La distinction opérée par France Stratégie entre collège et écoles dans deux notes est légitime sur le plan méthodologique. Elle l’est moins sur le plan de la politique pédagogique qui appelle la continuité école collège dans le cadre du socle commun.

Enfin j’aimerais insister sur le fait que, pour faire reconnaître une priorité au sein même de l’institution, il convient d’être très net dans la délimitation de la priorité et constant dans son pilotage. Sans un pilotage fort sur une géographie bien délimitée, on sait bien que les priorités ont tendance à se perdre. Il faut donc absolument éviter une extension de la carte des priorités car trop de priorités tuent la priorité. Il faut aussi maintenir un pilotage fort et global de la politique prioritaire qui porte sur l’ensemble des composantes de la réussite scolaire. Cela ne saurait se résumer à la question des moyens comme on veut nous le faire croire en ce moment avec les CP et CE1 dédoublés.

Marc Bablet

Extrait de cafepedagogique.net du 16.04.19.

 

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