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Visite dans le Pas-de-Calais. Le dispositif ZEP dans ce département, par Claude Vollkringer et Alain Bourgarel (Bulletin OZP n° 10, juillet 1997)

7 juillet 1997

Bulletin de l’association OZP, n° 10, juillet 1997

VISITE DANS LE PAS-DE-CALAIS
LE DISPOSITIF ZEP DE CE DEPARTEMENT

par Claude Vollkringer
et Alain Bourgarel

La gestion efficace de tout dispositif nécessite une coordination bien huilée entre les différentes fonctions concernées. Si ce dispositif appartient au Service public, il devra surmonter les pesanteurs et les freins inhérents aux habitudes de travail et aux procédures de nominations à tous niveaux, mais il devra aussi se référer au sens même de ce service, aux finalités d’un état qui a une idéologie et des lois et qui doit en tirer les conséquences.

Après avoir rencontré l’équipe de direction du dispositif ZEP du département du Pas-de-Calais, l’impression qui domine est que l’origine d’intéressantes modalités d’application, exposées en détail, se situe dans la coordination souple et la référence aux fondements du Service public d’Éducation nationale.

Une délégation de l’OZP a donc rencontré M. Salines, inspecteur d’académie, directeur des services départementaux d’éducation du Pas-de-Calais, M. Hennebique, inspecteur d’académie adjoint chargé des ZEP et M. Duflos, chargé de mission, que l’on pourrait désigner comme " coordonnateur des coordonnateurs " des 24 ZEP du département.

Trois voix, trois fonctions différentes, trois paroles aux registres liés à des niveaux de responsabilité variés, mais absolument cohérentes, unie par une même recherche d’adaptation aux réalités pour que l’Ecole joue pleinement son rôle.

***

Le Pas-de-Calais, on le sait de façon certaine grâce aux travaux de la Direction de l’évaluation et de la prospective au ministère de l’Éducation nationale, est l’un des départements les plus difficiles de France par sa composition sociologique.
Pour répondre aux défis présentés, 24 ZEP ont été créées : toutes sortes de zones prioritaires, du point de vue scolaire et social. Quelques unes sont très dures, d’autres, dans le bassin minier par exemple, ne sont pas concernées par la violence mais rassemblent une proportion dramatique de familles extrêmement pauvres. Pour les premières, les équipes pédagogiques doivent réguler la vie scolaire quotidienne avec beaucoup de détermination et de sang froid, pour les secondes il s’agit de dynamiser un territoire où le désespoir est généralisé.

Le choix des territoires appelés à devenir ZEP a été, à l’origine, établi sur critères sociaux. Depuis, des analyses menées avec l’aide d’un statisticien de l’INSEE détaché à l’inspection académique ont permis d’affiner les données : si le nombre et l’implantation des zones a été justifié, il est apparu nécessaire de considérer également prioritaire deux territoires supplémentaires pour qui, sans être officiellement dans le dispositif, l’attention des responsables départementaux permet de bénéficier de certaines ressources attribuées aux ZEP.

Comme dans la plupart des départements et académies, sur quinze années d’histoire de dispositif prioritaire, on a vu, ici aussi, des moments plus ou moins dynamiques. Curieusement, pour des observateurs nationaux des ZEP, les " hauts et les bas " ne correspondent pas à ceux que l’on trouve majoritairement, à savoir, pour le dynamisme, 1982 et 1990, et pour l’abattement, 1985 et 1995 : preuve supplémentaire de l’autonomie relative des départements dans la gestion de ces zones.

La redynamisation s’est faite par étapes à l’arrivée du nouvel inspecteur d’académie. Tout d’abord, définition d’orientations départementales claires, puis choix d’indicateurs pour analyser la situation. Alors, mise en place d’une structure de pilotage et dotation de moyens de fonctionnement. Les postes supplémentaires en collège de ZEP passent ainsi de 8 à 58, le nombre moyen d’élèves par classe dans le premier degré passe de 28 à 25. Des responsables sont désignés, des coordinateurs nommés et des conseils de zone installés. ces bases étant établies, le vrai travail pouvait commencer.

Cette nouvelle période, centrée sur les projets de zone, a correspondu avec l’arrivée du nouvel adjoint à l’inspecteur d’académie, désigné responsable des ZEP.
Le cadre administratif et les conséquences sur la distribution des moyens montraient d’évidence l’existence d’une politique départementale. Mais fallait-il encore aborder le sens-même du dispositif et ses conséquences pédagogiques. Les responsables furent réunis et un profond travail de redéfinition des projets de zone a commencé. Il fallait passer du document formel au contrat local de réussite scolaire basé sur les difficultés et les potentiels du terrain, contrat adoptable par chaque enseignant.

Plusieurs groupes de travail avec des inspecteurs de l’Éducation nationale et des principaux de collèges sont mis en place. Ils examinent chacun 4 ou 5 projets de zone, cherchant à retrouver les objectifs réels au-delà des intentions déclarées, soulageant les projets de tas d’actions secondaires pour définir quelques axes fédérateurs, compréhensibles par tous les acteurs et consécutifs aux éléments de diagnostic initial.

Un temps fort de réflexion commune est organisé avec l’aide d’universitaires à l’occasion d’une réunion générale des ZEP du département. De plus, une enquête approfondie sur 4 ZEP est menée et des contacts réguliers avec l’ensemble des zones ont lieu à propos des conséquences à tirer des Žévaluations CE2 - 6ème.

Ces contacts sont très fructueux : ils permettent de discuter de la pertinence des actions du projet de zone, non pas dans l’abstrait, avec des références générales sur le malheur des populations, mais en pratique sur ce qu’il convient de faire dans la classe chaque jour, à partir de constats mesurés, de données claires.
Ces dernières nuancent toujours les déclarations tonitruantes et, parfois, les contredisent : l’échec scolaire dans les ZEP du Pas-de-Calais est un problème bien réel, d’où le dispositif prioritaire, mais qui se manifeste de façon variée selon les années, les établissements, les classes et qui, à l’occasion, n’est pas massif ou même parfois est réduit. Les dénonciations globalisantes de l’échec de l’école incitent au fatalisme ; l’étude raisonnée des difficultés incite à une adaptation efficace.

L’essentiel du travail a donc consisté à repenser les actions pédagogiques en fonction des résultats du diagnostic. En fait, c’est un travail à mener partout et les ZEP, de ce point de vue, ont constitué un laboratoire car, ici comme souvent ailleurs, la tendance lourde du système éducatif est l’élitisme. Dégager des élites et les traiter efficacement est dans l’ordre des choses, on sait faire depuis un siècle.
Il a donc fallu se rendre compte que l’école pouvait exclure ; et il a fallu refuser les mécanismes qui l’entraînaient en ce sens. Les résultats scolaires ne cessaient de se dégrader pendant les années 80, par rapport aux moyennes nationales, il fallait en tirer des conclusions si les finalités de l’Éducation nationale avaient une réalité, au-delà des devises républicaines gravées au fronton des écoles.

Une fois le dispositif administratif en place et les projets de zone redéfinis pour une efficacité sur les résultats scolaires, restaient l’adoption du projet par tous les acteurs et le fonctionnement du dispositif. Or, une ZEP comprenant 10 écoles et un collège " ça fait du monde !" De plus, se pose le problème de l’articulation des projets de zone avec les projets d’école et d’établissement. Et s’ajoute encore celui de l’articulation avec les objectifs et les moyens de la politique de la Ville.

Cette dernière est importante dans le Pas-de-Calais. Ainsi, on trouve environ 250 emplois attachés aux publics défavorisés, pour l’essentiel en ZEP, ce qui donne une moyenne de 2 emplois par collège de ZEP. Il y a donc des moyens, mais, paradoxalement, on sait plus facilement coordonner les actions avec nos partenaires qu’adapter le quotidien de la pédagogie aux élèves en difficulté.

La formation des personnels est donc une clé pour avancer. Des stages d’accueil pour les nouveaux nommés en ZEP ont été organisés : le message principal donné est qu’il s’agit de conserver les mêmes objectifs pour ces élèves que pour les autres, sinon on en arrive à la formule " Donner moins à ceux qui ont le moins ".
Au-delà d’une position de principe, l’analyse fine des résultats scolaires permet de constater que des élèves déjà réussissent : l’abaissement général des objectifs pour les ZEP leur serait fatal. Reste à faire progresser l’ensemble. Des procédures d’évaluation bien conduites amènent les enseignants à réfléchir sur ce qu’ils font.
A partir de là, toute évolution de la pédagogie est envisageable car nul enseignant n’est indifférent aux conséquences de son action. L’évaluation, dans ce but, est primordiale car elle va permettre de repérer des changements qu’on ne perçoit pas habituellement. C’est d’autant plus important qu’en matière d’élévation globale du niveau scolaire la durée est essentielle.

Le temps : voilà bien un sujet de tension entre une inspection académique qui veut de la rapidité par exigence démocratique et pour justifier l’inégalité de la répartition des moyens, et un terrain qui sait plus ou moins clairement que c’est une affaire de génération. En fait, bien entendu, chacun a raison et la tension est nécessaire sinon le fatalisme gagnera à nouveau du terrain et l’élitisme reviendra par la fenêtre après avoir été jeté par la porte. Dans ce domaine, il y a obligation d’une parole institutionnelle forte. Dans le Pas-de-Calais, manifestement, elle existe.

L’axe privilégié dans les projets de zone est la maîtrise de la langue. Les évaluations montrent que les effets commencent à se faire sentir, notamment à l’entrée en seconde. Il est donc nécessaire maintenant de développer l’axe mathématiques, déjà mis en œuvre, et de s’interroger sur ce qu’il y a à faire pour le " reste ".

Les autres disciplines, bien entendu, constituent ce reste, mais également des domaines relevant de l’éducation et non plus de l’acquisition de connaissances ou de compétences.
On entre là dans un débat fondamental à propos de l’Ecole en France en 96-97, particulièrement pour l’école en ZEP : la mission de transmission du savoir est claire ; celle d’éducation l’est aussi dans son principe, mais pas dans son ampleur. Quelles limites ? Quelles priorités ? Quel partage, si la question se pose, entre temps passé aux apprentissages et temps passé à l’éducation ? Les réponses à toutes ces interrogations ne sauraient être tranchées et chacun s’accorde à noter l’importance du caractère éducatif de l’École dans les ZEP et ailleurs. Mais dans la pratique, donc dans les projets de zones, puisqu’ils se veulent être des documents de référence pratiques, quels axes éducatifs choisir ?

Si on laisse aller les choses, l’école se trouve rapidement envahie de mille missions utiles, voire indispensables prises l’une après l’autre, mais débordant largement la mission essentielle du Service public d’Éducation nationale, quand on voit la totalité. Les projets de zone, dans leur composante partenariale, sont faits pour préciser les modalités de collaboration avec les parents d’élèves, les autres services publics, les collectivités territoriales, les associations, etc., afin que chacun prenne sa part dans cette œuvre d’éducation. L’école ne peut tout faire, mais la tendance sociale est de tout lui demander.

Il faut donc s’imposer, parfois résister. L’école doit être forte. Il existe des départements où les problèmes sont réduits et se règlent de manière implicite. D’autres, c’est le cas du Pas-de-Calais, où ils sont aigus et doivent être repérés, analysés et traités avec responsabilité. Donc, dans la liberté.
Mais là encore il convient de se poser la question du pilotage : un chef d’établissement, un inspecteur d’académie ou un recteur, pour prendre, parmi d’autres, trois fonctions de pilotage, doivent se demander jusqu’où ils piloteront. Car piloter c’est parfois provoquer des conflits. Ne pas le faire est plus simple, permet de se réclamer de la " liberté du terrain ", mais entraîne triche et contournements. On en revient à l’exercice de la responsabilité dans un environnement de libéralisme mou souhaité par l’opinion publique. Les responsables du dispositif ZEP dans un tel département pourraient-ils laisser aller les choses ?

Cette question peut être examinée d’un point de vue philosophique, mais elle a d’abord à être gérée quotidiennement en trouvant l’équilibre entre la liberté nécessaire de chaque ZEP et le pilotage effectif du dispositif.
L’observation des ZEP dans différentes académies depuis quinze ans a montré que l’abandon du pilotage incitait les enseignants à développer le fatalisme, ce cancer des ZEP, les chefs d’établissements et les IEN à n’utiliser le dispositif que comme une source de moyens, les inspecteurs d’académie et les corps d’inspection à accepter l’élitisme et les déviations des principes fondamentaux de l’Éducation nationale.

Un exemple est donné par la gratuité : c’est bien là un sujet qu’on n’aborde jamais, tant il semble superflu ou obsolète. On demande donc sans se poser de questions de petites sommes d’argent, régulièrement, pour des activités obligatoires organisées par l’école, le collège, le lycée, pendant le temps scolaire. Quant aux voyages scolaires, il ne s’agit plus de petites sommes... Il y a une perte de repères fondamentaux.

Plus difficile à expliquer, mais encore plus profond, la perte du repère concernant les familles de ZEP : elles n’auraient pas de culture ! Il faut y répondre à la fois de façon idéologique (ce qui, sans doute, dans un autre département semblerait absurde) et de façon technique. Le traitement pédagogique de l’hétérogénéité est complexe à mettre en place. Les enseignants ne sont pas automatiquement performants pour cela : on en revient donc aux formations continues à développer.

Mais toute organisation, toute forme de pilotage, est lourde : 400 000 élèves, 126 collèges, 24 ZEP... Les initiatives du terrain, fruits de la responsabilité voulue dans le cadre d’un pilotage pourtant bien réel, sont donc nécessaires : un exemple est donné, parmi beaucoup d’autres, avec l’installation d’un centre de ressources à la disposition des enseignants d’une ZEP, dont l’idée et l’énergie créatrices sont locales, l’inspection académique n’ayant apporté que son appui.

La circulaire du 1er février 1990 qui régit, aujourd’hui encore, le dispositif de zones d’éducation prioritaires, donne une importance capitale aux inspecteurs d’académie. A eux d’assurer cette responsabilité. Dans un certain nombre de départements, c’est encore le cas. Nous l’avons constaté à Arras.

***

Nous avons complété cette visite dans le Pas-de-Calais par un rapide moment passé dans une ZEP à Oignies.

M. Barlerin, inspecteur de l’Éducation nationale et M. Lefèvre, coordonnateur de la ZEP depuis 1989, nous ont parlé des élèves et de leurs parents en montrant à leur égard un grand attachement. Cause ou effet, les deux probablement, la fréquentation des réunions destinées aux familles sont suivies à 70 %, et l’on vise de meilleurs résultats en faisant diminuer les craintes qu’ont encore certains à pénétrer dans les locaux scolaires.
L’image de l’école pour la population est plutôt favorable et la réciproque doit aussi l’être puisque la stabilité du personnel enseignant est plutôt bonne. La mairie, de son côté, voit la ZEP de façon positive et les relations interdegrés sont efficaces, malgré l’appartenance au seul second degré du coordonnateur et du responsable.

Celui-ci nous rejoint : il était au cross des élèves du collège car c’est le grand jour du cross annuel. Il n’y était d’ailleurs pas dans les tribunes ou devant un vin d’honneur, mais sur la piste, courant avec tous les élèves. Il nous explique le point d’appui éducatif que représente le sport dans la ZEP car Oignies est la patrie d’origine à la fois de Michel Jazy et de Guy Drut : trois salles de sports, une salle tennis, deux sections sports-études et des résultats remarquables dans toutes les disciplines sportives.
Le lendemain, ce sera un rassemblement de circonscription (cinq cents repas préparés par la SES du collège) et le dimanche suivant, ce sera le cross dans les rues de la ville.

Point d’appui remarquable, le sport n’est pas le seul axe du projet de zone : IEN et principal de collège s’accordent pour constater que son adoption n’est pas encore le fait de la totalité des collègues : du travail reste à faire. Des stages d’accueil des nouveaux nommés dans la ZEP ont lieu, mais, ici vu la stabilité du personnel, il n’y a eu cette année que neuf participants alors que dans les autres ZEP il y en a cinq fois plus d’habitude. Des stages intercatégoriels avaient déjà été organisés ici depuis longtemps. Résultat, un certain travail d’équipe existe.

C’est d’autant plus important que les résultats scolaires ne s’améliorent pas : il y a donc urgence pour un enjeu capital. Les conditions de vie se détériorant, on trouve une explication mécanique, mais on ne peut s’en satisfaire. Les élèves ne sont pas particulièrement de mauvaise volonté, c’est plutôt une absence de motivation, de perspectives.

Le projet de ZEP lie lecture et écriture : c’est une volonté commune du premier et du second degrés et les actions se multiplient en ce sens. Un concours lecture également est organisé, avec une riche dotation de la commune et du conseil général. Cette année, il concerne les CM2 et les 6èmes, et fait donc travailler ensemble les instituteurs et les professeurs. Les uns et les autres se retrouveront dans un stage commun en décembre. Ces stages sont bien accueillis.

L’exploitation des résultats est menée par des enseignants très qualifiés pour tirer tous les renseignements intéressants de " Casimir ", depuis plusieurs années : nouvel élément positif dans cette ZEP.
Pourtant, on ne se glorifie pas car on sent bien la nécessité de faire autrement afin que les résultats scolaires s’améliorent. " Nous y parviendrons avec du travail et du temps ", dit-on, mais sans se cacher que c’est sur tous les fronts qu’il faut se battre.
Par exemple, l’élitisme des lycées provoquent l’envoi en LP d’élèves qui, sans être brillants, pourraient faire une scolarité plus longue. Autre exemple, plus diffus, la difficulté d’accès aux équipements culturels, même si la base communale nécessaire existe : le cinéma est à 8 km, Lille au diable et la mer au-delà de l’horizon concevable. La disparition des mines de charbon a entraîné la disparition de parcours logiques de vie ; les repères sont perdus, les forces vives sont perdues.

Cependant, à voir le responsable de la ZEP en jogging, entouré d’élèves et de parents heureux, à écouter l’IEN et le coordonnateur présenter le projet de zone, on constate que des repères nouveaux s’installent et que des forces vives se développent.

 

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