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mars 2003
Le concept de discrimination positive n’a pas été utilisé pour l’élaboration de l’idée de ZEP en France. Mais, dès qu’on a commencé à discuter d’éducation prioritaire, on a fait le rapprochement. Cela a entraîné des confusions dont nous ne sommes pas encore sortis.
De plus, on y a accolé, très tôt aussi, le slogan " donner plus à ceux qui ont le moins ".
Nous avons donc une curieuse équation selon laquelle " ZEP = discrimination positive " avec la justification morale de " donner plus à ceux qui ont le moins ". Il est nécessaire, à nouveau, de marquer des différences et des contradictions.
Le concept de discrimination positive, sur lequel s’appuient des politiques d’équité, en opposition aux procédures d’égalité formelle, n’est pas, en soi, l’objet de ces lignes, mais son application, qui peut prendre diverses formes. On connaît celle pour l’intégration scolaire des enfants noirs dans les écoles aux États-Unis et les suites de ce dispositif de grande dimension. Il s’agit là d’attribuer à une population donnée, en raison d’une caractéristique propre, des avantages. Le ZEP françaises, elles, ont été créées justement pour éviter l’application d’une telle mécanique basée sur des caractéristiques sociales d’individus (voir le premier article sur les ZEP, mai 1969). Il s’agissait d’éviter un autre concept, celui de handicap social, parce qu’il faisait appel à une caractéristique (illusoire) d’un groupe social. Il y a donc, pour nous, en France, en terme d’éducation prioritaire, contradiction entre ZEP et "discrimination positive", au sens où il est entendu aux États-Unis.
Les ZEP sont des zones où l’Éducation nationale ne parvient pas à remplir efficacement ses missions de service public. Il y a constat de dysfonctionnement. Ce dernier concerne le service public, non les populations. Une discrimination existe donc entre des territoires, non entre des populations, les territoires " discriminés " ayant une tâche particulière, celle de bâtir et de mettre en œuvre un projet de zone pour la réussite scolaire. Est-ce " positif " ? Certes, mais pas dans le sens habituel qu’on donne à cet adjectif, car s’il y a des avantages il y a aussi nécessairement un engagement, une obligation.
La définition des ZEP comme territoire d’action de l’Éducation nationale doit être sans cesse rappelée ! Sinon, nous caractérisons les populations concernées comme déficientes, inadaptées, marginales, démissionnaires, irresponsables... Les ZEP deviennent alors des zones pour " handicapés sociaux ". Déjà, il faut expliquer que ce ne sont pas des " zones de violences " ou des " zones d’immigration ", ou des " zones à moyens supplémentaires ", etc. Le ministère de l’Éducation nationale n’ayant pas, depuis 1998, rempli son devoir d’explication publique sur ce qu’étaient et n’étaient pas les ZEP, tout et n’importe quoi se dit, chez les journalistes et même parmi les enseignants.
L’autre rappel continu à faire nécessairement concerne une formule : " Donner plus à ceux qui ont le moins ". L’éducation prioritaire est une politique basée légalement (L.10.07.89) et réglementairement (surtout C. 28.12.81 ; 01.02.90 ; 31.10.97). Il s’agit de droit. Le Conseil d’État, dans son Rapport sur l’évolution de la notion d’égalité dans la République française de 1996, justifie cette politique et ce droit public. Le don, " Donner ", en revanche, constitue un acte moral et quand c’est " à ceux qui ont le moins ", il s’agit de donner à des individus. Les ZEP, on l’a vu, concernent le fonctionnement d’un service public, aucunement des individus. De plus, ces derniers, selon le slogan, " ont le moins ", se définissent donc par des carences, des manques, une faiblesse. Cette stigmatisation, on le sait, est pourvoyeuse d’échec scolaire et de souffrances chez les personnes concernées.
Que des citoyens donnent à d’autres citoyens, c’est parfait ; que la République agisse par un mouvement moral, hors du droit, et stigmatisant une partie des citoyens, cela est inconcevable en France. Heureusement. Alors, pourquoi voit-on presque toujours fleurir au milieu des articles, discours et propos sur les ZEP, ce slogan étranger à l’éducation prioritaire ? Pourquoi, par ailleurs, Jack Lang a-t-il créé un Observatoire international de la discrimination positive ? Cette institution, a priori intéressante, aura à se dégager des applications américaines du concept pour être utile à la politique d’éducation prioritaire en France, sous peine de maintenir une confusion largement répandue. Les ZEP ont besoin de clarification conceptuelle : cela a été fait en 1990, par Lionel Jospin, puis en 1997, par Catherine Moisan et Jacky Simon, mais il faut sans cesse revenir à la charge.
A. Bourgarel