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Nicole Geneix : Il faut mutualiser les savoirs perdus
Propos recueillis par François Jarraud
Professeur des écoles, présidente de l’Observatoire de l’enfance, Nicole Geneix est aujourd’hui à la direction de l’éducation de la ville d’Istres. Elle est également l’auteur du pré-rapport pour l’Unesco « les pédagogies de la petite enfance » et du livre « Et si on aimait enfin l’école ! ». Spécialiste de la maternelle et du primaire, elle souligne les défis posés par les deux décisions ministérielles sur la scolarisation des enfants de moins de trois ans et le plus de maîtres que de classes.
Le ministère relance la scolarisation à deux ans. Peut-on dire que celle-ci est bénéfique pour les enfants ?
C’est vrai que ces dernières années le sujet a fait polémique et on a surtout entendu des positions extrêmes. Le débat est d’ailleurs resté théorique car pendant toutes ces années où le taux de scolarisation a baissé il n’y a pas eu d’alternative à la scolarisation en maternelle. Les enfants de moins de trois ans sont restés à la charge des familles. Les familles populaires n’ont généralement pas pu payer d’assistante maternelle et la baisse de la scolarisation s’est traduite par la garde à la maison par les mères. C’est un problème.
L’école maternelle est-elle un lieu approprié pour accueillir ces enfants ?
Ce n’est pas certain pour tous les enfants. A deux ans et demi certains ne sont pas prêts à accepter les contraintes du groupe et des horaires. De plus, dans le contexte des fermetures de ces dernières années, des savoirs professionnels se sont perdus au fur et à mesure que les enseignants disparaissaient en même temps que les formations d’ailleurs. On a des départements où une longue tradition s’est maintenue avec des pratiques adaptées, par exemple dans l’ouest ou le nord. Et d’autres où les ressources humaines ont diminué, je pense au 93 par exemple. Il y a des communes où ces savoir faire se sont maintenus ainsi que des moyens particuliers : des atsem supplémentaires, un service de cantine supplémentaire. Et d’autres où tout cela n’existe plus.
La prise en charge d’enfants aussi petits demande des savoir faire particuliers. Je suis favorable à ce développement de la scolarisation avant trois ans dans les zones prioritaires. Mais à condition d’être très exigeant sur la mise en œuvre. Il faut des enseignants qui aient envie, des partenariats avec les familles exigeants. C’est le premier contact de l’enfant avec un lieu collectif. C’est donc très important.
La circulaire envisage une collaboration avec les services municipaux de l’enfance. Est-ce une bonne idée ?
Si on délimite bien le territoire de chacun c’est très bien. La collaboration entre enseignants et personnels de la petite enfance peut apporter beaucoup. Mais ce n’est pas une circulaire qui va changer l’école. Dans les territoires où on cherchera cette jonction il faudra que les enseignants soient très épaulés. Il faudra aussi que les collectivités locales mettent des moyens, par exemple une atsem par classe. Or aujourd’hui on est loin de ce taux.
Peut-on s’appuyer sur des expériences ?
On les a laissés de côté ces dernières années. Mais il y a eu l’expérience des classes passerelles de Roubaix par exemple. On avait su trouver des modalités d’accueil des familles pour qu’ils puissent apprivoiser l’école. Les classes accueillaient des ATSEM et des éducateurs de jeunes enfants. Ces savoirs se sont perdus. Pour réamorcer la scolarisation à 2 ans il va falloir les retrouver et les mutualiser. Il est urgent de recenser et valoriser ce qui existe sur le terrain. Il va falloir aussi relancer la recherche universitaire.
C’est quelque chose que l’Education nationale sait faire ?
Le dernier rapport de l’Inspection montre qu’il faut changer. Pour cela il faut une véritable politique de formation et un vrai effort de recherche. A la base il va falloir travailler auprès des familles pour qu’elles aient confiance dans l’Ecole. C’est à ce prix que l’Ecole peut être porteuse d’espoir.
Consulter aussi
– Sur le Café, "Et si on aimait enfin l’école"
– L’observatoire de l’enfance
Extrait de L’Expresso du 16.01.2013 : Nicole Geneix : Il faut mutualiser les savoirs perdus
Scolarisation précoce : Pour le GFEN, il faut rapprocher enseignants et professionnels de la petite enfance
Entretien avec Sylvie Chevillard, formatrice, GFEN, Paris 8,
Propos recueillis par Isabelle Lardon
Mouvement de recherche et de formation en éducation, le GFEN a beaucoup travaillé sur la maternelle et son évolution. Conseillère pédagogique, formatrice au GFEN, Sylvie Chevillard présente quelques conditions pour une véritable relance de la scolarisation précoce.
A la lecture de cette circulaire sur la scolarisation des moins de 3 ans, voici quelques pistes s’appuyant sur les travaux universitaires et ma pratique de formateur :
– pour la formation des enseignants, il est impératif que les enseignants aient des connaissances sur le développement du jeune enfant et sur les métiers de la petite enfance afin de pouvoir exercer leur métier et adapter les apprentissages aux exigences et besoins d’un jeune enfant. Il y a donc nécessité de prendre en compte les parents en tant que premiers éducateurs de leur enfant, quelque soi leur situation sociale et culturelle.
– pour l’accueil des moins de trois ans (voir même trois ans et plus) je milite pour une présence conjointe et complémentaire d’une enseignante et d’une éducatrice de jeunes enfants, qui ont un regard croisé sur l’enfant et ses parents, du fait de leur formation respective. (Exemple des dispositifs « Passerelle »* des deux ans). Dans des classes multi-âge, l’organisation de la classe doit permettre du "tutorat" entre les plus grands et les plus petits, ce qui facilite grandement pour ces derniers le "devenir élève", dans des temps de coopération et d’autres spécifiques aux apprentissages liés au grandir.
– Concernant les apprentissages scolaires des moins de 3 ans, il est impératif de travailler la séparation d’avec le milieu d’origine en même temps que d’installer un milieu sécurisant pour les enfants, dans lequel les adultes sont bienveillants, proposants, encourageants... et utiliseront le langage pour accompagner toutes les situations proposées.
– Il me semble incontournable de travailler avec les autres professionnels de la petite enfance dans le cadre du service public, et avec des associations (selon les cas) sous forme de convention afin d’offrir aux enfants et aux parents une continuité de l’accueil (ce qui ne supprime pas les ruptures - nécessaires pour grandir) et aux professionnels des cadres pour se rencontrer, travailler ensemble sur des problématiques spécifiques concernant ce type de public.
• Ndlr : Les actions ou dispositifs « Passerelle » datent d’un protocole de 1990 (Lionel Jospin ministre) définissant un partenariat entre différentes institutions de la Petite enfance pour faciliter une médiation pour entrer à l’école maternelle. Une ressource pourtant peu exploitée, malgré l’efficacité démontrée.
Extrait de L’Expresso du 16.01.2013 : Scolarisation précoce : Pour le GFEN, il faut rapprocher enseignants et professionnels de la petite enfance
Consulter aussi
– l’entretien avec Isabelle Racoffier, présidente de l’Association Générale des Enseignants des Ecoles et classes Maternelles publiques (AGEEM), dans Libération du 15.01.2013 :
« La maternelle, c’est la création d’un patrimoine commun »
– l’entretien avec Jean-Luc Aubert, psychologue scolaire, sur terrafemina.com du 15.01.2013 : L’école dès 2 ans, une avancée pour "les enfants fragiles"