Education prioritaire et ruralité, par Marc Bablet

17 mai 2019

Education prioritaire et ruralité
14 MAI 2019 PAR MARC BABLET BLOG : LE BLOG DE MARC BABLET
Certains semblent penser que l’éducation prioritaire serait une solution pour traiter les difficultés de la ruralité et qu’il faudrait généraliser cette politique publique à une diversité de territoires. On veut ici montrer qu’il vaut mieux penser les politiques publiques en fonction des situations qu’elles doivent contribuer à prendre en compte.

Comment les écoles et collèges de l’éducation prioritaire sont ils choisis ?

Selon les périodes la « carte de l’éducation prioritaire » a été déterminée de manière différente. En 1981, rappelons que les textes prévoient qu’il faut des écoles, collèges ou lycées d’une même zone géographique où une équipe est prête à s’engager dans un projet pour compenser les effets négatifs des réalités sociales sur la difficulté scolaire. En réalité ce sont souvent les autorités administratives qui, en liaison avec les politiques locaux ont été amenés à déterminer des territoires répondant au moins au critère de situation sociale difficile amenant de mauvais résultats scolaires. Ceci explique que la carte de l’époque ne fut pas réellement adaptée car certains politiques attachés à l’égalitarisme ne voulurent pas de ce qu’ils considéraient comme une stigmatisation du territoire ainsi délimité.

En 1990, le ministre qui relance cette politique décide de la relier à la politique de la ville naissante et de faire mettre en éducation prioritaire les écoles et collèges des quartiers qui seront l’objet d’une signature de convention de développement social de quartier (DSQ). Cela étend la carte sans toujours la prise en compte effective de la difficulté scolaire des élèves des écoles et établissements les plus concernés. Là encore le fait que certains politiques ne signent pas de telles conventions amène à laisser de côté des écoles et collèges particulièrement concernés par la difficulté scolaire corrélée à la situation sociale des populations qui résident dans les quartiers. Mais aussi dans quelques cas, des écoles et collèges rentrent dans la carte à cette occasion alors que leurs indicateurs sociaux ne le justifient pas.

En 1997, la volonté nationale de reprendre la main sur la carte de l’éducation prioritaire est présente mais cela débouche sur une extension importante de la carte liée à des demandes en augmentation du fait que cette politique commence à convaincre et que les communes réticentes sont moins nombreuses. En outre certains politiques réclament la prise en compte de certains établissements ou écoles sans que cela soit toujours parfaitement justifié. Surtout, les sorties de carte ne sont guère pratiquées du fait des tensions qu’elles amènent à cause de la crainte de perte sèche d’avantages liés au « label » et notamment l’indemnitaire introduit en 1992. Un nouveau label est mis en place : le REP (réseau d’éducation prioritaire) qui est une ZEP sans indemnité mais où des moyens spécifiques sont attribués. En général rentrent dans cette catégorie des écoles et collèges aux situations sociales moins difficiles que celles des ZEP.

En 2006, suite aux émeutes de banlieues de 2005, le gouvernement voit dans la politique d’éducation prioritaire une manière de montrer l’importance accordée aux quartiers les plus en difficulté et la carte des RAR (réseaux ambition réussite), recentrée sur 254 réseaux particulièrement défavorisés (dite EP1), est établie sur des bases statistiques solides à de très rares exceptions près. C’est le premier gouvernement de droite qui s’intéresse vraiment à la politique d’éducation prioritaire et contribue à l’évolution de la carte. Il maintient les autres réseaux appelés « réseaux de réussite scolaire » ( et dits EP2). Il est annoncé des sorties de carte (dites EP3) qui n’auront pas lieu tant l’exercice, pour être formellement justifié, est politiquement difficile.

Il faut attendre la préparation de la rentrée 2015 avec la refondation de l’éducation prioritaire qui a été préparée depuis 2012 pour que la carte soit revue selon des principes solides sur le plan statistique et pour que des sorties de carte puissent être réalisées là où les indicateurs retenus montrent une mixité sociale normale dans l’enseignement public c’est-à-dire un taux de PCS défavorisées d’environ 39% et un taux de boursiers en collège d’environ 30%. Ce sont les indicateurs des collèges qui ont été choisis pour déterminer la carte car c’est à ce niveau que l’on dispose des meilleures informations et parce que la volonté était de retenir en priorité des secteurs de collèges où les difficultés étaient suffisamment importantes pour qu’un collège au moins et plusieurs écoles soient concernés par la difficulté. A ce moment là, 196 réseaux sortent de la carte et 205 rentrent dans la carte. Cela se fait sur la base des indicateurs retenus qui sont combinés entre eux comme cela se fait pour calculer ce que la DEPP appelle désormais l’indice de position sociale (IPS) qui est de plus en plus utilisé pour analyser la situation sociale de la population des parents à l’origine de la difficulté scolaire. Il apparaît alors que, le plus souvent, cette carte est compatible avec le travail en cours pour déterminer les quartiers de la politique de la ville mais il y a des exceptions : l’éducation nationale garde ou fait rentrer en éducation prioritaire des écoles et collèges ruraux, dont les indicateurs sont défavorables, dans des secteurs où il n’y a pas de quartier prioritaire de la politique de la ville car la taille attendue des quartiers ne le permet pas. Elle ne prend pas en compte des quartiers où la moyenne de la population résidente est pauvre mais où les parents d’élèves ne sont pas pauvres en moyenne. Elle prend en compte, en revanche, des collèges ou écoles où des parents d’élèves défavorisés sont nombreux mais où les quartiers sont davantage mixtes que les établissements scolaires. Lors de cette révision des réseaux ruraux sortent de la carte, d’autres rentrent dans la carte en fonction des indicateurs sociaux de la même manière que pour les réseaux urbains.

Quelle est la situation actuelle de la carte de l’éducation prioritaire au regard de la ruralité ?

Si l’on s’en tient aux catégories de L’Insee que sont « rural » et « ville isolée » pour déterminer les communes qui n’appartiennent pas à une agglomération urbaine plus large, il y a en France finalement assez peu de collèges publics dans de telles communes rurales ou villes isolées. Au moment où j’ai travaillé ces questions sur un peu plus de 5300 collèges publics pour lesquels on disposait de toutes les informations, on dénombrait 723 collèges en commune rurale dont 25 en éducation prioritaire et 759 en villes isolées dont 107 en éducation prioritaire. Cela confirme s’il en était besoin que l’éducation prioritaire n’est pas réservée aux agglomérations urbaines. Je suis étonné que le rapport des inspections générales « Mission ruralité : adapter l’organisation et le pilotage du système éducatif aux évolutions et défis des territoires ruraux » ne trouve que 9 REP ruraux et aucun REP+. Lors de l’élaboration de la carte de 2015, de tels collèges sont entrés dans la carte ou sortis de la carte en fonction des mêmes indicateurs sociaux que pour les collèges urbains.

Rappelons que la politique d’éducation prioritaire n’est pas d’abord une politique territoriale, elle est d’abord une politique sociale qui doit permettre de lutter contre les déterminants sociaux de la réussite scolaire qui sont plus puissants encore pour les élèves des milieux populaires quand ceux-ci sont concentrés dans des quartiers d’habitat social ou parfois dans des copropriétés dégradées où les familles peuvent être victimes de marchands de sommeil.

C’est donc une politique qui est d’une certaine manière « indifférente » au territoire mais pas indifférente à la manière dont la société traite territorialement les populations : politique sociale, elle répond à la détermination sociale des résultats scolaires et propose de jouer sur toutes les composantes de cette réussite de manière systémique. Elle ne saurait être considérée comme une politique territoriale parmi d’autres, tant ses attendus vont beaucoup plus loin qu’une simple répartition inégale des moyens entre territoires.

Politique d’éducation prioritaire et politique éducative et pédagogique pour la ruralité deux politiques publiques de natures différentes répondant à des besoins différents.

On voit donc qu’il arrive que des secteurs ruraux soient défavorisés sur le plan social, comme le sont certains quartiers populaires des banlieues et des villes. Il n’y a pas lieu d’opposer villes et campagnes à cet égard comme le rappellent les présidents de conseils départementaux du Gers et de Seine Saint-Denis dans une tribune que l’on peut dire encore « récente ».

Beaucoup de problématiques peuvent y être communes. Mais il existe aussi des territoires urbains ou ruraux qui ne connaissent pas de difficultés sociales et qui ne relèvent clairement pas de l’éducation prioritaire. C’est souvent le cas de communes de montagne, difficiles d’accès mais non défavorisées. Aussi s’agit-il pour les questions relatives à la ruralité

de bien déterminer de quelle ruralité on parle et quels sont les problèmes à traiter : métropolisation des périphéries des grandes agglomérations, désertification, simple éloignement des villes, paupérisation…
de déterminer quels sont les déterminants territoriaux qui influent sur la réussite scolaire et sur les trajectoires scolaires (tout comme on a su depuis les années 70 mettre en évidence les déterminants sociaux de cette réussite) pour définir une politique publique de la ruralité pertinente.
Le mieux, selon nous, serait de le faire avec les acteurs concernés par cette ruralité à commencer par les enseignants et les cadres de l’éducation nationale intervenant dans le milieu rural qui sont les mieux placés pour en parler avec les rares chercheurs qui ont étudié ces questions.

Des territoires ruraux vraiment isolés doivent relever d’une politique publique ad hoc

En effet, certains territoires ruraux isolés par leur situation naturelle ou leur éloignement des ressources culturelles justifient une prise en compte particulière. C’est notamment le cas de certaines zones de montagne. Le travail récent mais appuyé sur une grande expérience du sujet de Pierre Champollion indique bien que la question de la réussite scolaire n’est pas le problème principal en milieu montagnard, comme il l’est en milieu populaire des quartiers prioritaires. En revanche il pointe que la question de l’orientation qui est d’abord déterminée socialement, l’est également territorialement. Il ouvre ainsi une ligne de travail possible pour une politique publique de la ruralité qui ne saurait être de même nature que celle concernant l’éducation prioritaire.

On ne voit pas ce que la politique d’éducation prioritaire aurait à voir avec ces territoires même si certains outils de cette politique pourraient y avoir un grand intérêt dans la mesure où certains problèmes sont communs ou proches : c’est par exemple le cas des cordées de la réussite et des parcours d’excellence. On sait que dans le rural isolé, les problématiques relatives à l’ambition et donc à l’orientation amènent les jeunes à ne pas vouloir, par crainte de ne pas être dans un milieu connu, s’éloigner et parfois à renoncer à des études longues pour leur préférer des études courtes de proximité qui leur permettent de rester sur le territoire où ils sont nés. On sait bien que des problèmes très semblables existent dans les quartiers populaires où certains jeunes choisissent les formations professionnelles de proximité pour ne pas quitter le quartier.

Il y a aussi un grand intérêt à penser la politique de l’internat dans la perspective de cette question de la ruralité pour permettre à cette modalité de scolarisation de donner satisfaction et de ne pas être crainte. Il y a également un point que j’ai eu à percevoir et travailler comme IEN en espace rural qui mérite une attention significative, c’est celle de l’isolement des professionnels de l’enseignement qui devrait donner lieu à une forte politique d’accompagnement d’un travail collectif notamment en appui sur les outils numériques qui auraient là tout leur sens et dont l’usage justifierait que l’État investisse fortement pour que ces territoires isolés soient correctement connectés. Cela contribuerait également à la réduction de l’isolement culturel des élèves. Il serait sans doute également pertinent de disposer de crédits de déplacements (question qui ne se pose pas dans l’éducation prioritaire urbaine sauf pour rejoindre parfois les centres ville) afin que les enseignants en question puissent se retrouver dans les bourgs ou les villes universitaires pour leurs formations. Pour aller plus loin, le mieux est, encore une fois, de donner la parole aux personnes concernées.

Il reste qu’il me semble que l’on doit bien distinguer la ruralité qui justifie pleinement par son isolement que l’on prenne en compte sa particulière situation territoriale, et le cas de certains ruraux qui sont aujourd’hui de quasi urbains qui ont préféré vivre à la campagne à proximité des pôles d’emplois plutôt qu’en ville où les services sont pourtant plus développés. Dans ces territoires on voit souvent une assez forte revendication de disposer des mêmes avantages qu’en ville qui semble toutefois moins justifiée que les demandes des ruraux plus éloignés notamment eu égard au fait qu’il s’agit souvent par ailleurs de catégories sociales plutôt favorisées, voire parfois très favorisées.

Mais des regroupements scolaires en milieu rural restent souhaitables

Enfin, au risque d’être mal perçu par certains amis ruraux, il faut rappeler que la France est historiquement structurée par ses bourgs comme l’indique Fernand Braudel dans son ouvrage « L’identité de la France ». On peut discuter le fait que certaines communes rurales croient voir la mort de la commune si elle n’a plus d’école. Je connais des communes rurales parfaitement vivantes sans école, là où des regroupements se sont opérés selon des logiques respectueuses de la logique des bourgs où l’on trouve les écoles et le collège. Il serait bien dommage de ne pas se donner les moyens de concevoir des réseaux locaux d’écoles au sein des bourgs pour les campagnes dès lors que les durées de transport pour les enfants – les premiers concernés- restent raisonnables. Cette perspective, qui peut très bien se faire sans pour autant se lancer dans les « établissements des savoirs fondamentaux » qui relèvent d’une autre visée, permet que les enfants soient regroupés dans des entités suffisantes pour se construire plus largement des amitiés et bénéficier d’instances de socialisations fécondes. On pourrait par exemple se donner pour principe de ne pas avoir d’écoles à moins de huit classes ( trois maternelles et cinq élémentaires) partout où c’est possible. Cela permet aussi que les professionnels travaillent en collectif et risquent moins les tensions inhérentes (j’ai aussi du en démêler de bien pénibles) quand on est à deux ou trois professionnels dans une même structure.

Extrait de mediapart.fr/marc-bablet du 14.05.19

 

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