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Adolescents difficiles : "Vulnérables ou dangereux ?", par Yannis Ganse, psychiatre et anthropologue, ENS Editions, 2019 (prsésentation ToutEduc)

29 novembre 2019

Adolescents difficiles : Résoudre le dilemme entre vulnérabilité et dangerosité (ouvrage)

À partir d’une recherche documentaire et d’une enquête ethnographique de longue durée, le livre "Vulnérables ou dangereux ?" du psychiatre et anthropologue Yannis Gansel apporte une contribution à l’anthropologie de la santé mentale en France. Il explore concrètement ce que la psychiatrisation signifie des pratiques de sollicitude et de contrainte dans le champ des adolescents difficiles qui sont aux confins de la dangerosité et de la vulnérabilité.

À partir des années 1950, psychologues et psychiatres de formation analytique investissent les institutions pour la jeunesse, en particulier la justice des mineurs et la psychiatrie. Leur succès et l’imposition de leur nouvelle juridiction reposent sur leur capacité à reprendre la critique de l’enfermement tout en assumant une forme de défense sociale. La protection de la société ne passe plus dès lors par la réclusion ou la relégation de pans plus ou moins larges de la population, mais par le repérage, la prévention et la réhabilitation d’individus dangereux. C’est en effet un savoir clinique très personnalisé, mais également en deçà du crime et de la maladie, que propose la catégorie des "adolescents difficiles". Cependant, en réformant les lieux d’enfermement disciplinaire, l’action publique se trouve en tension entre l’usage de plus en plus problématique de la contrainte et les discontinuités de l’intervention institutionnelle, signifiant l’abandon de sujets vulnérables et la relaxe d’individus dangereux. Au tournant des années 2000, les adolescents difficiles sont à la fois objets de politiques publiques, d’actions institutionnelles et de savoirs professionnels spécialisés. À l’échelle du terrain, ils sont un problème public. Pour répondre à l’impératif de coordination et de transversalité, la définition clinique de ces adolescents organise, avec une force remarquable, un consensus entre professionnels. Aux frontières professionnelles explicites, se substitue une distinction pratique entre "professionnels de première ligne", mettant en œuvre une action, et "professionnels de seconde ligne", prenant une décision. Tous ces professionnels ont, pour ces jeunes qui sont construits et comme vulnérables et comme dangereux, une double attention constante : les protéger de leur stigmatisation et les réinscrire, les réaffilier comme cibles de l’action publique par une assignation minimale.

L’adolescence est un âge de la vie transitoire, éphémère et une période de grande vulnérabilité individuelle et sociale. En délimitant une population interstitielle et marginale des institutions, en la repérant par un trouble de nature ambiguë, "la catégorie clinique des adolescents difficiles performe un souci des adolescents". Mais ses effets contrastés, discutables, sont parfois à l’origine de conflits insolubles entre les acteurs du terrain. Car d’un côté, effectivement, elle conduit à l’impossibilité de penser la relativité sociale et politique de la violence, "alors même que le réseau concerné traite une population homogène, issue de familles pauvres et migrantes". La clinique, oscillant entre traitement individuel de personnes à problèmes et réponse collective des institutions, "conditionne une faible politisation du problème des adolescents difficiles" qui "rentre en résonance avec la faiblesse (au sens de la pauvreté de moyens et du manque de coordination) des politiques locales de la jeunesse".

Cependant, d’un autre côté, cette clinique des adolescents difficiles ouvre à une créativité. Elle permet aux professionnels de repérer, rendre public et solutionner un problème émergeant : les incertitudes nouvelles traversant les modes de traitements contemporains des déviances juvéniles. En réassignant l’adolescent dans un sens de l’activité, en coordonnant sans les indifférencier les lieux de l’action publique, en réalisant une personnalisation du traitement et par la force du consensus qu’elle déploie, la clinique permet de résoudre le dilemme entre vulnérabilité et dangerosité, entre autonomie et protection et entre soin et contrôle. Ce "souci des adolescents difficiles" constitue bien une modalité contemporaine de l’action publique et une déclinaison concrète de la santé mentale.

"Vulnérables ou dangereux ?", ENS Editions, Lyon, 2019, 24 euros

Extrait de touteduc.fr du 26.11.19

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