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Le sens de la laïcité : le fondement juridique et le poids des mentalités, par Françoise Lorcerie et Serge Guimond (Notes du Conseil scientifique de la Fcpe)

4 février 2020

LES NOTES DU CONSEIL SCIENTIFIQUE
Le sens de la laïcité : le fondement juridique et le poids des mentalités (1)
Françoise Lorcerie, directrice de recherches émérite
au CNRS (sciences politiques), Aix-Marseille Université
et Serge Guimond, professeur de psychologie sociale
à l’Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand.

(1) Ce texte reprend les grandes lignes et certains extraits d’un chapitre plus détaillé, d’un un livre consacré à la « diversité » à l’école (Lorcerie, Guimond, 2020).
(2) Le principal du collège en question avait exclu trois jeunes élèves qui refusaient de se plier à ses objurgations de quitter leur foulard en classe. Elles furent défendues par des avocats dépêchés par une fédération musulmane. L’affaire arriva
au ministre qui saisit le Conseil d’État pour avis : un élève avait-il ou non le droit de porter un vêtement religieux, et sinon, quelle était la sanction à prendre.

La laïcité comme principe
Curieusement, les juristes n’avaient pas défini ce principe fondamental de nos
institutions avant l’affaire des exclusions d’élèves au collège de Creil à l’automne
1989. On n’en avait pas eu besoin. C’est l’hésitation du ministre dans l’épisode
de Creil2, puis l’avis du Conseil d’État du 27 novembre 1989 qui ont amené la
transformation du cas concret qui était soulevé – une procédure disciplinaire en
collège – en une « affaire » nationale, puis très vite la transformation de cette
affaire en controverse, et la multiplication des études de juristes, d’historiens,
de politistes et de spécialistes de sciences de l’éducation.

L’avis du Conseil d’État, suivi par le ministre, distinguait fortement les droits
et obligations des élèves de ceux des personnels. Selon le droit, posait-il, la
neutralité s’impose aux programmes et aux enseignants, mais non aux élèves.
Les élèves doivent voir respectée leur liberté de conscience et celle-ci implique
la liberté de manifester leur appartenance religieuse s’ils le souhaitent, à condition de ne troubler en rien le fonctionnement de l’école.

« La liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit
d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur
des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de
la liberté d’autrui, et sans qu’il soit porté atteinte aux activités
d’enseignement et au contenu des programmes et à l’obligation

Résumé
La laïcité en tant que principe institutionnel est un concept relativement simple à comprendre. Mais son application dans divers domaines de la vie sociale engendre des débats importants et donne lieu à des interprétations divergentes. A-t-on alors raison de se méfier du principe et d’en dire du mal ?
Pas nécessairement, répondent les auteurs. Simplement, il faut bien voir que
les interprétations de la laïcité sont des opinions. En tant que telles, elles sont
irréductiblement variées et, selon le principe même de laïcité, elles doivent
être respectées sauf exception. Elles partagent d’ailleurs la population d’une
façon plus complexe qu’on ne le dit. Cela ouvre une avenue à celles et ceux
qui souhaitent promouvoir la laïcité.

Extrait de fcpe.asso.fr de janvier 2020

 

Laïcité : La démonstration de Françoise Lorcerie
Quelques jours après la publication par le Cnesco d’une vaste enquête sur la laïcité chez les jeunes et les enseignants, Françoise Lorcerie et Serge Guimond publient une mise au point intéressante dans une Note rédigée pour la FCPE. Au lieu d’opposer laïcité "ouverte" et "fermée", F Lorcerie déplace le débat entre principes et pratiques. "Défendre la laïcité, c’est d’une part ne pas confondre les opinions avec le principe, et d’autre part faire vivre la pluralité".

Revenir aux sources de la laïcité permet de dépasser l’opposition entre les tenants de la "laïcité fermée", identitaire qui ne pensent qu’aux interdictions et ceux de la "laïcité ouverte" qui défendent les principes de la liberté de pensée.

S’appuyant sur les études de S Guimond, elle montre qu’il y a bien deux conceptions de la laïcité qui existent chez les jeunes. "Les personnes qui adhèrent fortement aux principes de la nouvelle laïcité (fermée NDLR) ne sont pas nécessairement hostiles aux principes de la laïcité historique. On constate dans plusieurs recherches que les deux laïcités peuvent aller de pair : plus on est favorable à l’une et plus on est favorable à l’autre. Dans un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, on voit que le groupe le plus important en France, soit 43% de l’échantillon, est composé de personnes qui adhèrent fortement aux principes des deux laïcités", notent-ils.

"Nous proposons de mettre l’accent sur la méthode. Au lieu de trancher par un discours d’autorité entre les diverses interprétations de la laïcité, il s’agira prioritairement de conduire les personnes à connaître le principe de laïcité, principe de base de l’architecture institutionnelle du pays ; et d’autre part à faire l’expérience de la pluralité des investissements moraux que ce principe suscite ou couvre ET de l’intérêt de les mettre en débat. Un principe établi qu’il s’agit de connaitre, des engagements moraux différents qui doivent pouvoir s’exprimer, une mise en commun des expériences contrastées, telle est la formule qui nous semble tenir la route pour défendre la laïcité en amenant les personnes à la partager", écrivent-ils.

Elle en tire des conclusions pédagogiques. "L’école a dans cette conception un rôle essentiel à jouer, non pas pour faire taire les convictions opposées, mais pour ménager leur coexistence, pour autoriser et cadrer la « confrontation » des opinions dans tous les domaines. Ainsi entendue, la laïcité comme éthique de la diversité ne saurait s’accommoder d’une transmission magistrale. Une des tâches urgentes des associations d’éducation populaire ou d’éducation citoyenne, dès lors qu’elles sont désireuses de promouvoir la laïcité, ce serait d’assurer les conditions pratiques d’un échange libre et respectueux des uns et des autres sur tous les sujets y compris la laïcité. La mise en pratique de la laïcité comme éthique de la confrontation et de la diversité implique pour le moins d’autoriser la discussion sur les interprétations divergentes de la laïcité".

Extrait de cafepedagogique.net du 04.02.20

 

Laïcité : le Conseil scientifique de la FCPE travaille sa définition

"Une des tâches urgentes des associations d’éducation populaire ou d’éducation citoyenne, dès lors qu’elles sont désireuses de promouvoir la laïcité, ce serait d’assurer les conditions pratiques d’un échange libre et respectueux des uns et des autres sur tous les sujets, y compris la laïcité", écrivent Françoise Lorcerie (CNRS) et Serge Guimond (université Blaise-Pascal) dans une note du Conseil scientifique de la FCPE, que la fédération de parents d’élèves vient de publier.

Les deux auteurs rappellent que "l’État et ses agents sont tenus à la neutralité stricte, mais pour les usagers, dont les élèves, la liberté est la règle, la restriction l’exception". Le cadre institutionnel s’articule sur deux principes fondamentaux, "la liberté de conscience et l’égalité de respect", et deux autres qui apparaissent comme "les moyens des premiers", "la séparation des Églises et de l’État et la neutralité de l’État à l’égard des religions". Ils ajoutent que la loi de 2004, qui interdit le port de signes et tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement leur religion, "soumet les élèves à une clause de neutralité dans leur apparence", mais "il leur est loisible de signifier leurs appartenances autrement, notamment par la parole", aussi longtemps qu’ils ne font pas de prosélytisme.

Ils citent notamment le philosophe Paul Ricoeur, pour qui "l’État est laïque par incompétence et abstention ; il est laïque négativement (...). La nation est laïque par brassage de courants culturels divers et contraires ; non par incompétence mais par foisonnement (...) ; tant que la nation n’est pas défaite, elle est la compatibilité et la coexistence, le carrefour vivant, de toutes les spiritualités qui l’ont faite et qu’elle englobe." Ils en concluent que "l’État n’a pas légitimité à se mêler des affaires de religion", mais que "la société est le lieu d’une confrontation vivante, jamais terminée des convictions". Ils envisagent la laïcité comme "une éthique de la confrontation des valeurs, un ensemble de règles de conduite (...) portant sur l’affrontement pacifique des points de vue moraux et politiques". L’école n’a donc pas à "faire taire les convictions opposées", mais à "ménager leur coexistence".

Extrait de touteduc.fr du 03.02.20

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