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Ritualiser son cours, enseigner les codes de l’exposé oral à des élèves allophones au collège REP Monod de Vitry-sur-Seine

6 novembre 2015

Comment aider une élève allophone à comprendre le cours d’histoire-géo ? Alexandre Berthon-Dumurgier s’appuie sur un rituel rigoureux tout au long du cours qui permet d’expliciter les attentes et les contenus, de se repérer dans le travail et aussi de s’ouvrir positivement à l’enseignement.

La séquence->

En 2007-2008, Alexandre Berthon-Dumurgier enseigne lʼhistoire-géographie au collège Gustave-Monod de Vitry-sur-Seine. Face au désarroi dʼune de ses élèves sortant de classe dʼaccueil, il décide de lʼaider en rendant transparente la structure de son cours.

Enseignant dʼhistoire et de géographie, je me retrouve dans cette réflexion de Marc Bloch : «  Partons du présent. La démarche nous est ici familière : [...] nous nous efforçons dʼêtre avant tout des historiens, cʼest-à-dire, selon le mot dʼHenri Pirenne, des hommes qui aiment la vie et savent la regarder (1). »

Pour faire participer mes élèves à cette démarche dʼobservation et dʼinterrogation, jʼai construit au fil de mon expérience dʼenseignant des cours nettement problématisés : je commence la séance en écrivant au tableau un mot-clé du thème à étudier. Puis je propose un document dʼamorce, choisi le plus souvent dans lʼactualité pour susciter lʼintérêt des élèves. Je les amène ensuite à poser la problématique de la séance. Ils auront alors à suivre le déroulement du cours avec ses différents moments : jeu de questions et réponses, phase documentaire (lecture des documents de natures variées), phase compréhensive (analyse de ces documents en les confrontant pour rechercher des éléments dʼexplication) et phase représentative (résolution de la problématique).

Ce cheminement clair et répété, construit avec les élèves, débouche sur une conclusion, réponse à la question posée en début de cours. La problématisation et la conclusion sont les deux bornes qui délimitent les leçons, repères fondamentaux autour desquels sʼorganise le contrat didactique.
Je me suis généralement tenu à cette structure de cours jusquʼà ce quʼarrive au collège Gustave-Monod de Vitry, en septembre 2007, dans ma classe de 4e, une élève allophone, Laïla, qui avait passé un an en classe d’accueil dans un autre collège de la ville.

Donner des repères
Laïla maîtrisait le français de communication courante, mais était perdue en cours : elle semblait ne pas comprendre ce qui se passait, nʼosait pas prendre la parole, ne comprenait pas les textes étudiés, ne pouvait répondre à une consigne, même par une phrase simple. Et elle pleurait beaucoup dans les couloirs, après presque chaque séance.

Jʼai alors pris conscience non seulement des difficultés que cette élève avait encore à surmonter à lʼécrit et à lʼoral – notamment en compréhension orale dʼun cours, compétence très particulière à laquelle on pense peu – mais aussi du «  choc pédagogique » que pouvait peut-être constituer un cours dʼhistoire tant il mʼest clairement apparu que, ni la relation pédagogique, ni les conduites dʼapprentissage, ni même la démarche historique ne sont partout identiques. Même en classe ordinaire, il était essentiel de continuer à accompagner cette élève.

Dévoiler les articulations du cours
Jʼai donc décidé de rendre plus visible lʼossature du cours pour que les élèves y trouvent des points dʼappui, dʼexpliciter clairement à lʼensemble de la classe comment je structurais mes cours : la question posée au début, puis les différents moments qui sʼenchaînaient pour mener à la résolution du problème. Et jʼai surtout pris le temps de leur dire quʼà chacun de ces moments jʼattendais dʼeux une tâche précise, une posture particulière et que cʼétait cela leur travail dʼélève. La clarté et lʼexplicitation du contrat didactique ont pu non seulement donner à Laïla des repères pour pouvoir suivre un cours, mais lʼont aussi rassurée en lui proposant des tâches à sa portée, tenant compte de ses besoins.

Jʼai aussi compris que dévoiler les articulations de mon cours et expliciter certains de mes choix en matière de documents, cʼétait faire participer les élèves à lʼélaboration d’un raisonnement.

Jʼai plusieurs fois expliqué à Laïla ce quʼelle aurait précisément à faire pendant le cours. En début de séance, elle était la seule à devoir noter dans son répertoire le mot-clé de la leçon écrit en majuscules au tableau. Au moment du document-amorce, pendant que les élèves réagissent en confrontant leur point de vue par des interventions parfois inorganisées, parfois superposées, reprises et orientées par lʼenseignant, elle savait quʼelle ne serait pas sollicitée et quʼelle avait à se mettre dans une position de silence actif, temps nécessaire à lʼobservation et à la prise de repères dans les échanges entre élèves et avec le professeur.
Aide individualisée

Lʼanalyse dʼun document, quand les élèves travaillent en binômes et répondent à des questions, est lʼoccasion dʼune aide individualisée. Laïla, elle, sait quʼelle bénéficiera, si besoin est, de lʼappui dʼun élève tuteur et de celui de lʼenseignant. Elle travaillera sur le même texte que ses camarades, mais aura droit, tant que cela sera nécessaire pour elle, à des questions adaptées.

Lors du cours sur lʼindustrialisation au XIXe, les élèves devaient répondre à la problématique : «  Quelles en ont été les conséquences sur la société  ? ». Il sʼagissait ici de construire le concept de société et la notion dʼindustrialisation.
Ainsi, pour mettre en évidence la dureté des conditions de travail des prolétaires, les élèves travaillaient en binômes sur le témoignage dʼune Anglaise de 37 ans, Betty Harris, en 1845.

«  Je tire les wagonnets de charbon, et je travaille douze heures par jour. Jʼai une ceinture autour de la taille, une chaîne qui me passe entre les jambes et jʼavance avec les mains et les pieds. Le chemin est très raide, et nous sommes obligés de nous tenir à une corde, et quand il nʼy a pas de corde, nous nous accrochons à tout ce que nous pouvons saisir. Dans le puits où je travaille, il y a six femmes et une demi-douzaine de garçons et filles  ; cʼest un travail très dur pour une femme. À lʼendroit où je travaille, la fosse est très humide et lʼeau noire passe toujours au-dessus de nos chaussures. Mes vêtements sont trempés presque toute la journée. »

Les élèves devaient répondre à la consigne «  Montrez que les conditions de travail sont très dures » en explicitant les citations choisies. Dès la mise en activité, je suis allé voir Laïla qui me dit ne pas comprendre le texte. Dans un premier temps, je lʼai aidée à définir et à mettre en relation les mots «  charbon, puits, fosse » et à en déduire que le texte parlait du travail dans une mine, même si ce nʼétait pas écrit explicitement. Puis je lui ai demandé ce quʼévoquait déjà pour elle ce mot de «  mine » afin quʼelle mobilise toutes ses connaissances préalables et cʼest ensuite quʼelle a pu retourner au texte. Le traitement des inférences – cʼest-à-dire parvenir à des interprétations qui donnent un sens au texte à partir dʼinformations implicites – est une compétence essentielle à travailler avec les élèves allophones et aussi avec les autres.

Dans un deuxième temps, elle a dû identifier les reprises pronominales à la fin du premier paragraphe : «  Nous sommes obligés de nous tenir à une corde » «  Nous nous accrochons »  ; qui est ce «  Nous »  ? Elle a pu alors répondre aux questions suivantes :
 Où Betty Harris travaille-t-elle  ?
 Qui sont les personnes avec lesquelles elle travaille  ?
Laïla sʼest donc dʼabord penchée sur lʼorganisation du texte pour le comprendre. La dimension historique est venue dans un second temps. Elle a participé avec ses camarades à la résolution de la problématique en apportant, quand je lʼai sollicitée, un éclairage sur les personnes travaillant dans la mine – éclairage qui avait échappé à certains de ses camarades.
Instaurer des rituels

Autant que lʼexplicitation du contrat didactique et de lʼorganisation rigoureuse du cours qui donnent des repères fiables à un élève allophone, cʼest lʼinstauration de rituels proprement pédagogiques qui a aussi aidé Laïla à travailler plus facilement en histoire.

Le premier rituel est celui de la mise en rang. Au moment du retour au calme qui leur est demandé avant dʼentrer en classe, on peut aider les élèves à se recentrer sur le thème de la séance : «  Sur quelle période allons-nous travailler  ? » ou «  Sur quel espace allons-nous travailler  ? ». Cette question simple, posée dans un cadre informel, peut être une occasion pour lʼélève allophone de répondre en toute confiance. On donne ainsi du sens et un contenu pédagogique à un temps qui peut paraître bien artificiel, mais qui est en réalité capital : la séance fonctionnera dʼautant mieux si la mise en activité des élèves est rapide et fait le lien avec le cours précédent.

Apprendre les codes de lʼexposé oral
Le deuxième rituel est le temps - très court mais important - consacré en début de séance à un exercice oral. Son objectif : apprendre les codes de lʼexposé oral.

Comment se déroule cet exercice  ?
Lʼintervention de lʼélève dure trois minutes : il demande à prendre la parole et dispose dʼune minute pour rappeler les différentes réponses apportées à la problématique et citer des documents utilisés lors de la leçon précédente. Il a ensuite une minute pour répondre à deux questions posées par la classe. Enfin les trois élèves, qui étaient chargés de chronométrer lʼexercice et dʼévaluer leur camarade, ont une minute pour justifier leur évaluation en fonction des critères et du barème suivant :
Critères Points
Lʼélève a rappelé la question posée lors du cours précédent. 1
Il a cité les documents étudiés. 2
Il a rappelé les réponses données à la problématique. 1
Il a fait lʼeffort de parler à lʼensemble de la classe. 1
Il a respecté la consigne de temps. 1
Il a répondu avec précision à la 1re question. 2
Il a répondu avec précision à la 2e question. 2
Total / 10

Le professeur nʼintervient pas pendant ces trois minutes : elles appartiennent aux élèves et ils se les approprient rapidement. La rentabilité de lʼexercice sʼen trouve augmentée, car tous les élèves sont mobilisés. Pour un élève allophone, lʼintérêt est de travailler la compétence «  Sʼexprimer oralement en continu » du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) et cette autre du Socle commun «  Développer de façon suivie un propos en public sur un sujet déterminé – Adapter sa prise de parole à la situation de communication – Participer à un débat, à un échange verbal »(2).

Cet oral est «  moins un oral de lʼinteraction fondé sur la familiarité des locuteurs, quʼun oral réglé, cʼest-à-dire obéissant à des règles précises dʼorganisation et de formulation, dans le cadre dʼune relation impersonnelle » (G. Vigner, Le Français langue seconde, Hachette éducation, 2009). Il apprendra à exposer des informations en respectant lʼenchaînement (introduction, développement, conclusion), en utilisant les connecteurs appropriés, à synthétiser et à restituer les éléments pertinents du cours.
«  Continuer à travailler lʼoral en classe ordinaire »

Classe de 5e, cours dʼhistoire : rituel de lʼexposé oral mené tout au long de lʼannée, permettant à lʼélève allophone dʼabord dʼobserver, ensuite de participer.
Bilan de lʼexpérience

Laïla a-t-elle tiré profit – et en quoi - de ces choix pédagogiques  ?
Même si lors dʼentretiens menés au premier trimestre 2008, après un peu plus de quatre mois en classe de 4e, elle a indiqué que ce nʼétait pas en histoire quʼelle éprouvait le plus de difficultés – «  la problématique, cʼest pas difficile »  ; «  ce sont toujours les mêmes choses, cʼest plus facile », ce nʼest que lʼannée suivante quʼelle a pu entrevoir véritablement la dimension historique dans les textes documentaires.

Le travail de la langue a été indissociable et concomitant du travail disciplinaire. À lʼécrit, lʼopacité des textes a été en partie levée pour Laïla par un retour répété, insistant sur le repérage des inférences. À lʼoral, la trame rigoureuse du cours a contribué à lui donner de vrais repères et à la rassurer. Dʼautre part, pour lʼexercice oral de début de séance, Laïla nʼa pas pris la parole au premier trimestre. À partir du mois de janvier, elle a levé la main à plusieurs reprises pour poser des questions à lʼélève qui était interrogé et au troisième trimestre elle a demandé à être interrogée.

Cette évolution dans son attitude montre que ce type de rituel, qui lui a permis dʼapprendre les règles de lʼexposé, pouvait la mettre en confiance. Cette compétence dʼexpression orale nʼa peut-être pas été valorisée dans la culture scolaire de son pays  ; elle lʼest dans la culture scolaire française même si elle est assez peu travaillée.

La différenciation pédagogique nʼest pas la seule solution pour remédier aux difficultés des élèves allophones, mais la palette de démarches et de procédés variés – structure renforcée du cours, rituels, travail de la langue écrite et orale – a fait que Laïla a pu travailler à son rythme, au plus près de ses besoins, pour atteindre les objectifs communs à la classe. Cette méthode pédagogique, repensée grâce à Laïla, a été bénéfique à tous les élèves puisquʼelle a permis une clarification et une mise à disposition du contrat didactique.

(1) Marc Bloch, Apologie pour lʼhistoire ou métier dʼhistorien, Paris, Armand Colin, 1997.

(2) Livret personnel de compétences, palier 3, compétence 1 («  La maîtrise de la langue française – Dire »).

Extrait de cndp.fr du : Développer l’oral. Donner des repères

Les rituels dans "Recherches en éducation", hors série, septembre 2015

Extrait de cafepedagogique.net du : Ritualiser son cours

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