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Les orphelins de l’éducation prioritaire (un dossier reportage de France Culture avec des témoignages d’acteurs, 58 mn)

15 décembre 2020

Les orphelins de l’éducation prioritaire
Ils se sentent oubliés des réseaux d’éducation prioritaire. Ces écoles et collèges cumulent difficultés scolaires, économiques, sociales. Pourquoi mériteraient-ils d’en être et de quels moyens ont-ils besoin ? Reportage, du Nord à l’Auvergne en passant par la banlieue parisienne.

L’école primaire Anatole France d’Antony, dans les Hauts-de-Seine, n’est plus classé REP depuis 2015.

On les nomme REP ou REP plus. Derrière ces labels, se cachent les réseaux d’éducation prioritaire. Créés en 1981, d’abord sous l’appellation ZEP, comme zone d’éducation prioritaire, ils ont changé de nom au tournant du millénaire. En 2020, ils englobent 1 élève sur 5, et près de 8 000 écoles primaires et collèges répartis partout en France. Ces établissements sont réputés plus difficiles. Les élèves, issus majoritairement de milieux populaires, précaires, accumulent souvent des difficultés scolaires.

Pour les accompagner dans leur scolarité, des moyens supplémentaires sont attribués à ces établissements. Professeurs supplémentaires, classes, en principe, plus petites. En témoigne par exemple le dédoublement des classes de CP, depuis deux ans, et de CE1 depuis l’an dernier. Les établissements disposent également de davantage d’AED (assistants d’éducation ou surveillants), de CPE (conseillers principaux d’éducation) et de moyens financiers supplémentaires pour financer des projets pédagogiques et culturels.

Donner plus à ceux qui ont moins
Depuis 2015, un REP est composé d’un collège de secteur et des écoles primaires qui s’y rattachent. Pour une école, il est ainsi indispensable que le collège de secteur soit classé REP afin qu’elle le soit aussi. L’appartenance d’un collège, et donc des écoles qui s’y rattachent, à un REP est basé sur quatre critères :
 Le taux d’élèves boursiers
 Le type de quartiers dans lequel ils vivent
 Les catégories socioprofessionnelles des parents
 Le taux d’élèves ayant redoublé au moins une classe avant l’entrée en 6e
Plus les élèves sont boursiers, fils ou fille d’ouvrier, d’employé, d’inactifs, et vivent dans des quartiers défavorisés, placés sous politique de la ville, plus il est probable que le collège soit classé en réseau d’éducation prioritaire.

Il y a même des REP plus, réseaux renforcés, où les difficultés scolaires, économiques, sociales sont plus lourdes. On compte quasiment 2 500 écoles primaires, et plus de 350 collèges classés REP plus. Ils disposent de davantage de moyens.

20% des élèves étudient donc en REP et REP plus. Mais c’est insuffisant, pour les syndicats enseignants notamment. Selon eux, un certain nombre d’établissements en grande difficulté en sont exclus. La secrétaire d’Etat chargé de l’éducation prioritaire, Nathalie Elimas, vient de lancer une projet de réforme visant, sur le papier, à donner plus à ceux qui ont moins aujourd’hui.

D’abord expérimenté à la rentrée 2021 dans les académies d’Aix-Marseille, Nantes et Lille, il vise à supprimer les REP (les REP plus sont préservés), et à redéployer les moyens engagés actuellement dans ces établissements. Désormais, toutes les écoles et collèges de ces académies, et pas seulement ceux classés en REP, pourraient obtenir des financements en signant des contrats locaux d’accompagnement, d’une durée de 3 ans, avec les rectorats.

A quoi ressemble donc ces établissements orphelins de l’éducation prioritaire ? Pourquoi n’en font-ils pas partie et de quels moyens manquent-ils pour assurer de meilleures conditions d’apprentissage aux élèves ?

De l’autre côté de la route, ils sont en REP
Ce reportage nous emmène d’abord à Antony, dans les Hauts-de-Seine. Une ville aisée, mais dans laquelle un quartier, celui du Noyer-Doré, est défavorisé. Entourés de barres HLM, l’école primaire Anatole France, dirigée jusqu’en juin 2020 par Ugo di Palma.

95% des logements sur le secteur de l’école sont des logements sociaux, et 70% des familles du quartier vivent sous le seuil de pauvreté. Et pourtant, Anatole France a été sorti des réseaux d’éducation prioritaire en 2015. Cette année-là, à l’initiative de la mairie, le collège du secteur sort des REP, car la mixité sociale y est devenue plus importante et les résultats scolaires se sont améliorés. Mais le retour de bâton est immédiat. La réforme concomitante des réseaux d’éducation prioritaire fait qu’il est désormais impossible pour une école primaire d’être en REP si le collège du secteur ne l’est pas. Anatole France perd donc le label, et les moyens qui vont avec. Alors même que les conditions de vie des familles du quartier ne se sont pas du tout améliorées. Cette situation est incompréhensible ! Regardez devant vous. De l’autre côté de la route, c’est la ville de Massy. Là-bas, le collège et les écoles sont classés en REP. Nous ne le sommes plus. Alors que ce sont les mêmes immeubles, les mêmes difficultés scolaires, économiques, sociales.

A ses côtés, Emmanuelle Riva, directrice de l’éducation de la mairie d’Antony, mobilisée depuis 2015 et la sortie d’Anatole France des REP.

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Emmanuelle Riva, directrice de l’éducation de la mairie d’Antony : "On demande chaque année la réintégration de l’école en REP, sans succès"
Cécile Hivernet et Sophie Varron ne bénéficient pas des classes dédoublées en CE1, réservées aux établissements classés en éducation prioritaire.
Cécile Hivernet et Sophie Varron ne bénéficient pas des classes dédoublées en CE1, réservées aux établissements classés en éducation prioritaire.• Crédits : Thomas Giraudeau - Radio France
Les élèves et les professeurs sont évidemment les premiers à subir les conséquences de la sortie de l’école primaire d’Antony des réseaux d’éducation prioritaire. Cécile Hivernet et Sophie Varron ont chacune, cette année, 22 CE1 devant elle.

Nous ne sommes pas des magiciennes. Il y a des très gros écarts de niveaux. Des enfants ont des difficultés purement scolaires, mais d’autres viennent avec leur vécu. Leur vie est compliquée, ils sont empêchés d’apprendre. Avec les effectifs que l’on a, c’est compliqué de répondre aux besoins de chacun. Un certain nombre d’enfants n’ont pas pour langue maternelle le français. Ils ont beaucoup de carences en vocabulaire, en lecture. Il est impossible d’enseigner à 22 élèves comme à 12. Je me sens impuissante, et délaissée par notre hiérarchie, qui ne nous écoute pas. Cécile Hivernet, professeure des écoles

Il me semble pas que je faisais autant de grands écarts. Là, je pourrai compter trois, quatre niveaux, entre ceux qui ne savent pas du tout lire, et qui, avec le confinement, ne sont pas du tout rentrés dans le code alphabétique. Et les meilleurs élèves. J’ai un sentiment de frustration en rentrant chez moi le soir. Avec moins d’élèves par classe, je pourrai travailler en ateliers, en petits groupes. Je fais des sauts de puce entre les élèves. On passe notre temps à culpabiliser. Sophie Varin, professeure des écoles

Aide sociale à l’enfance et procédures judiciaires
Heureusement, l’école Anatole France bénéficie de quelques moyens supplémentaires, donnés notamment par le département des Hauts-de-Seine, et par la mairie d’Antony, financés dans le cadre de la politique de la ville pour les quartiers défavorisés. C’est dans ce cadre que fonctionne une cellule de veille, qui vise à aider les enfants les plus en difficulté, et leurs parents. Sur son bureau, Aline Becker consulte les dossiers de signalement à cette cellule.

Ils rencontrent des difficultés économiques, sociales, familiales. Au total, j’ai une quarantaine de dossiers, pour 450 élèves au total dans l’école. Ce sont les situations les plus compliquées. Certains sont à la limite du décrochage scolaire. Il faut imaginer des enfants vivant à 3, 4 dans la même pièce. Impossible de faire ses devoirs sereinement. Quelques-uns sont suivis par l’aide sociale à l’enfance, des officiers de police judiciaire viennent parfois interroger les enfants à l’école. Ils arrivent avec ce bagage-là et ne le laissent pas à l’entrée, devant le portail. Cela donne des situations complexes. Des enfants très impulsifs, émotionnellement fragiles. Ils peuvent déborder de façon imprévisible dans les classes. Pour les aider, nous avons deux psychologues, ainsi qu’un RASED, réseau d’aide avec des enseignants spécialisés, mais qui est de moins en moins présent. Aline Becker, directrice de l’école Anatole France

La directrice de l’école primaire Anatole France, Aline Becker, gère en ce moment les situations des élèves les plus en difficulté, dans le cadre d’une cellule de veille.
La directrice de l’école primaire Anatole France, Aline Becker, gère en ce moment les situations des élèves les plus en difficulté, dans le cadre d’une cellule de veille.• Crédits : Thomas Giraudeau - Radio France
Une situation qui joue forcément sur l’image de l’école, en plein cœur d’un quartier défavorisé, et qui se démène avec les quelques moyens dont elle dispose. Sandra Keumegne, représentante de parent d’élève FCPE, avoue s’être posé beaucoup de questions avant que son fils entre en petite section à Anatole France, il y a 3 ans. Elle ne reviendrait en arrière pour rien au monde aujourd’hui.

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Sandra Keumegne, parente d’élève : "Je ne voulais pas que mon fils apprenne le langage de la cité"
A Clermont-Ferrand, le pari perdu de la mixité sociale
Il y aussi des collèges orphelins de l’éducation prioritaire, oubliés de l’actuelle carte des REP et REP plus, datant de 2015 et toujours pas revue depuis. A l’image du collège Gérard Philipe, de Clermont Ferrand. Plus de 60% de boursiers, les trois quarts des élèves ont des parents dits de catégories socioprofessionnelles défavorisées (ouvriers, employés, inactifs). Le collège accueille également plusieurs élèves allophones, dont la langue maternelle n’est pas le français. Pourtant, il n’est pas intégré à un réseau d’éducation prioritaire. Conséquence du choix de la rectrice de l’époque. En 2014, elle décide de ne pas lui accoler le label REP, afin de favoriser la mixité sociale. Pari perdu.

Sur Clermont-Nord, elle ne souhaitait pas qu’il y ait 3 établissements classés en REP plus. Nous avons obtenu des moyens pour mettre en place une option cinéma, une option théâtre, afin d’attirer des enfants de classes moyennes ou aisées. Cela a eu un effet très marginal. Nous avons maintenant besoin de passer à une autre solution pour améliorer la situation qui empire. Beaucoup de collègues sont partis. Nous avons renouvelé toute l’équipe de lettres et d’histoire-géographie à la rentrée de septembre. C’est bien que quelque chose ne va pas. Sandrine Charrier, professeure d’éducation musicale et déléguée nationale du Snes-FSU

Les jeunes collègues sont ceux qui souffrent le plus. Ils sont soumis à des conditions de travail très difficiles. Nous avons des situations explosives. Je sépare des bagarres dans la cour, on enlève des couteaux dans les sacs de certains élèves. Il nous manque du monde à ce moment-là. On devrait avoir davantage de surveillants, et 2 CPE, comme en REP et REP plus, mais nous n’avons qu’un CPE et demi. Frédéric Campguilhem, professeur de mathématiques et représentant CGT Educ’Action

De gauche à droite, Sandrine Charrier, professeur d’éducation musicale, Lilian Nobilet, parent d’élève, Olivier Raluy, CPE dans un collège REP , et Frédéric Campguilhem, professeur de mathématiques.
De gauche à droite, Sandrine Charrier, professeur d’éducation musicale, Lilian Nobilet, parent d’élève, Olivier Raluy, CPE dans un collège REP , et Frédéric Campguilhem, professeur de mathématiques.• Crédits : Thomas Giraudeau - Radio France
Lilian Nobilet illustre la mixité sociale voulue à Gérard Philipe. Cadre dans une grande entreprise de Clermont, sa fille suit l’option cinéma au collège. Ce représentant FCPE constate lui aussi une fuite progressive des classes moyennes et supérieures.

Y compris au sein des parents d’élèves, élus l’année dernière, certains ont jeté l’éponge et dit stop, on ne met plus nos enfants dans ce collège. Ils ne sont pas bien, je dois les mettre ailleurs. J’ai entendu cela, de la part de parents plutôt militants, attachés à l’école républicaine, à la mixité sociale ! Par conséquent, cet attachement que nous avons aujourd’hui à un classement du collège Gérard Philipe en REP plus, c’est le constat d’un échec de l’institution face aux ambitions affichées en 2014. Que l’institution nous lâche, et que la seule manière de nous raccrocher aux branches, c’est d’avoir un classement en REP plus, c’est dommage. Lilian Nobilet, représentant de parent d’élève FCPE

A côté de lui, Olivier Raluy écoute attentivement. CPE dans le collège REP plus voisin de Gérard Philipe et ancien CPE de cet établissement, il a vu ses conditions de travail s’améliorer du jour au lendemain en changeant de collège.

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Olivier Raluy, CPE en REP plus : "Ce n’est pas du luxe d’avoir 2 CPE et 8 surveillants dans des établissements en éducation prioritaire"
On pourrait arriver à faire mieux avec plus de moyens. Il faudrait sortir ces élèves en difficulté des groupes classe. Les prendre à part, bosser sur des projets particuliers. Mais pour cela, il faut des moyens. Ce que je pense, c’est que ces élèves, c’est le cadet des soucis de M. Blanquer. Quand je l’entends parler de réussite en éducation prioritaire. C’est pas le problème. Nous, les futurs excellents, ils vont s’en sortir. On arrive à leur faire avoir les diplômes. Un de mes anciens élèves a fait maths sup, l’autre a fait une classe prépa. Mais ceux qui n’ont pas réussi à suivre, ils sortent du système avec que dalle. Et nous, Education nationale, on aurait pu les aider, leur donner la culture nécessaire. On n’a rien fait. Frédéric Campguilhem

Pendant le confinement, certains élèves ont décroché
Célia Loizeau et Nirmine Godcha sont bénévoles au Secours populaire. Elles aident des collégiens de Gérard Philipe dans leurs devoirs. Jacques Sigaud, lui, intervient auprès des élèves allophones du collège.
Célia Loizeau et Nirmine Godcha sont bénévoles au Secours populaire. Elles aident des collégiens de Gérard Philipe dans leurs devoirs. Jacques Sigaud, lui, intervient auprès des élèves allophones du collège.• Crédits : Thomas Giraudeau - Radio France
Alors, comment les collégiens vivent leur scolarité ? Ressentent-ils ce climat tendu, ce manque de moyens ? Célia Loizeau et Nirmine Godcha sont toutes les deux en Terminale aujourd’hui. Elles ont passé leurs années collège à Gérard Philipe.

On manquait de surveillants. En heures d’étude, il y en avait parfois qu’un pour 60 élèves. Une fois, le directeur lui-même était venu surveiller. Les classes étaient surchargées. Ce n’était pas une ambiance favorable au travail. Les professeurs ne pouvaient pas aider tout le monde, et les écarts de niveau étaient énormes. Les élèves allophones avaient beaucoup de difficulté à suivre, et nous, bonnes élèves, avions le sentiment d’être ralentis.

Les deux jeunes filles sont bénévoles au Secours Populaire. Elles font aujourd’hui de l’aide aux devoirs auprès de collégiens de Gérard Philipe. Tout comme Jacques Sigaud. Lui intervient notamment auprès des élèves allophones, une fois par semaine, au collège. Il va également participer à la distribution d’ordinateurs pour ces enfants, en décrochage numérique.

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Écouter Jacques Sigaud : "Ces enfants ne peuvent pas aller chercher leurs devoirs sur Internet"
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Jacques Sigaud : "Ces enfants ne peuvent pas aller chercher leurs devoirs sur Internet"
Les rectorats contraints de faire des choix
L’académie de Lille compte le plus d’établissements classés en REP et REP plus (respectivement 78 et 41) après l’académie de Créteil. "Le rectorat manque de moyens pour intégrer davantage d’établissements aux réseaux", estime Céline Huet, professeure d’allemand et représentante du SNES-FSU au collège Charles Baudelaire de Roubaix.

Nous avons demandé notre intégration en REP en 2014 et en 2016. Elle nous a été refusé. L’inspecteur d’académie nous a dit que si nous étions au fin fond de la Normandie, nous serions classés en éducation prioritaire. Mais que dans l’académie de Lille, il y a déjà trop d’établissements avec des profils défavorisés. Il faut faire des choix. Les élus locaux n’ont aussi pas voulu ternir davantage l’image de Roubaix. Les sept autres collèges de la ville sont classés en REP plus. Certes, nous sommes un peu plus favorisés que les autres. Mais nous avons tout de même 55% d’élèves boursiers, et notre indice de positionnement social (IPS) devrait nous permettre d’être classé en REP. Céline Huet, professeur d’allemand au collège Charles Baudelaire

Nous manquons surtout de surveillants. On en a même pas cinq pour 430 élèves. Ce n’est pas un problème anecdotique. Ils peuvent encadrer les devoirs par exemple. Et il nous manque, à nous, professeurs, l’heure de décharge pour gérer les situations extrascolaires. Siobhan Lombart, professeure de français au collège Charles Baudelaire

En REP, classes coopératives, plus d’encadrement et de projets
Les établissements classés en éducation prioritaire disposent de moyens supplémentaires pour accompagner les élèves. Deux conseillers principaux d’éducation, les CPE, et davantage de surveillants. Des classes plus petites aussi, en théorie. Au collège Marie Curie de Tourcoing, dans le Nord, classé en REP, l’enveloppe financière supplémentaire a notamment été utilisée pour encadrer la totalité des élèves de l’établissement dans le cadre du dispositif "devoirs faits".

Les moyens que l’on a en éducation prioritaire permettent d’impulser des projets pédagogiques. Nous pouvons payer en heures supplémentaires des professeurs qui participent à ce dispositif. Il s’agit d’abord de les aider à réaliser leurs devoirs. Mais nous insistons aussi sur la compréhension de la langue française en 6e à travers les devoirs. En 5e, nous travaillons sur la compréhension des consignes. Nous observons une plus-value, notamment en 3e, lors du passage du brevet. Philippe Laurier, directeur du collège Marie Curie de Tourcoing

Au collège Marie Curie de Tourcoing, classé en REP, le principal, Philippe Laurier, se félicite que les résultats au brevet se soient améliorés chez les élèves défavorisés.
Au collège Marie Curie de Tourcoing, classé en REP, le principal, Philippe Laurier, se félicite que les résultats au brevet se soient améliorés chez les élèves défavorisés.• Crédits : Thomas Giraudeau - Radio France
Les moyens supplémentaires financent aussi des expérimentations, telles que les classes coopératives. "C’est une façon de créer une ambiance classe. On favorise le travail en groupe, et tous les 15 jours, les élèves se réunissent en conseil coopératif", détaille Mathilde Olivier, professeure principale d’une de ces classes. "Ils apprennent à gérer ensemble leurs différences, les conflits. Et cela marche, on a plus de problèmes de discipline ! L’assistante sociale participe à ce conseil coopératif. Elle aide aussi les parents dans leurs démarches administratives. Il faut intensifier ce soutien, voire même le renforcer."

Laurence Cox, professeure d’histoire-géographie et d’éducation morale et civique, encadre, elle, les Cordées de la réussite, ex-parcours d’excellence.

Le but est de mener les élèves vers des projets d’étude qu’ils n’ont pas forcément envisagés car le contexte socio-culturel et familial fait qu’ils ne connaissent pas ces grandes écoles. Comme l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, Sciences Po, Le Fresnoy, une grande école d’art, et l’INSPE, l’école supérieure du professorat. Certains continuent ces parcours d’excellence au lycée. Ce sont de petites victoires.

Les classes sont aussi plus petites dans les collèges REP. 3 élèves de moins selon le syndicat enseignant Snes-FSU. Mais cela reste une moyenne. Tout dépend du nombre d’enseignants, et de l’évolution démographique autour des collèges. "Quand on a 25 petits 6e pas très autonomes et qui nous sollicitent tout le temps, c’est très compliqué d’accompagner chaque élève", raconte Chloé Pille, professeure de français à Marie Curie. "Quand ils rentrent en 6e, ils déchiffrent parfois à peine ce qu’ils lisent, ils écrivent phonétiquement. En revanche, ils comprennent bien en classe mais il y a un gros manque de travail personnel à la maison."

A 42 ans, la plus âgée de l’école
Dernière étape de ce reportage, l’école primaire Georges Brassens à Bruay-sur-l’Escaut, à côté de Valenciennes. 27% de chômage, un taux de pauvreté frôlant les 30%. Tous les établissements de cette ville de 12 000 habitants sont classés en REP. Joëlle Ianicelli, professeure des écoles, bénéficie donc de classes dédoublées en CP. Elle a 11 élèves cette année.

Joëlle Ianicelli ressent une pression de plus en plus forte aux résultats, depuis le dédoublement de sa classe de CP.
Joëlle Ianicelli ressent une pression de plus en plus forte aux résultats, depuis le dédoublement de sa classe de CP.• Crédits : Thomas Giraudeau - Radio France
Avant la mise en place du dédoublement, j’avais des doubles niveaux, jusqu’à 27 élèves. J’ai donc clairement vu la différence. On peut être davantage attentifs à chaque élève individuellement, ils ont aussi plus de temps de parole, le niveau sonore de la classe est plus bas. Mais je ne sais pas si je peux dire que les résultats se sont améliorés. Je trouve qu’ils entrent plus rapidement dans le décodage, en lecture, mais seront-ils de meilleurs lecteurs en CM2 ? Heureusement que les classes sont dédoublées en CP et CE1, mais l’Education nationale ne résoudra pas les problèmes du quartier.

Le quartier autour de l’école primaire Georges Brassens est un ancien coron, "celui qui a inspiré Emile Zola pourGerminal." Il y a beaucoup de maisons anciennement insalubres, en brique. Avec de nombreuses familles monoparentales, "empêtrées dans des difficultés que l’on imagine même pas. Les enfants ne peuvent pas forcément travailler dans le calme, n’ont pas tous leur propre chambre. Nous avons déjà dû témoigner en _brigade des mineurs_."

J’ai 42 ans et je suis l’enseignante la plus âgée de l’école. Personne ne finit sa carrière dans un établissement comme le nôtre. C’est bien parce que le public est moins facile. Il y a des raisons sinon les gens resteraient.

Et ce malgré une prime, qui s’élève à 140 euros mensuels, dans les établissements classés REP (près de 400 euros en REP plus). "Cela dédommage de l’investissement, du temps et de la difficulté inhérente à la REP", explique Faustine Ottin, directrice de l’école Georges Brassens et déléguée syndicale au Snuipp-FSU. "Nous avons également une médiatrice de l’absentéisme scolaire. Et nous avons parfois des projets financés. Mais celui que je mène en ce moment, sur le harcèlement scolaire, n’est pas directement financé par la REP. La moitié sont sur fonds propres, et l’autre moitié vient du département. J’ai fait une demande de subvention. Elle a été acceptée. Notre classement en REP a pu jouer dans l’octroi mais ce n’est pas directement lié."

Une réforme encore floue
Pour combien de temps encore l’école primaire de Bruay-sur-l’Escaut, le collège de Tourcoing et tous les autres établissements classés en éducation prioritaire vont bénéficier des moyens alloués aux REP ? La secrétaire d’Etat chargée de l’Education prioritaire, Nathalie Elimas, porte un projet de réforme visant à supprimer les REP. A la place, des contrats de 3 ans signés entre les rectorats et des établissements. Chacun d’entre eux devra monter un projet pour obtenir des moyens. Objectif : donner plus aux écoles, collèges et lycées qui ne sont pas aujourd’hui dans des réseaux d’éducation prioritaire.

On pourrait donner plus à ces établissements aujourd’hui exclus sans toucher aux REP. Ensuite, qui dit contractualisation avec les écoles dit avec quels moyens ? Sur quels projets ? Avec quels critères d’évaluation ? Avant que les résultats des contrats soient quantifiables, il faut plusieurs années. Et au bout de trois ans, que se passe-t-il ? Si nos indicateurs sont meilleurs, on nous prolonge les moyens ou on nous dit que l’on peut se débrouiller tout seul ? S’ils sont moins bons, on va nous retirer les moyens parce qu’ils n’auront pas été jugés suffisamment efficaces ? On ne sait pas tout cela. La seule certitude, c’est que si l’on a moins de moyens pour faire le même travail avec les difficultés que l’on connaît, cela nous usera. Faustine Ottin, directrice de l’école Georges Brassens.

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Écouter Céline Huet, professeur d’allemand et syndiquée au SNES-FSU : "Cette réforme va mettre en concurrence les établissements, c’est dangereux"
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Céline Huet, professeur d’allemand et syndiquée au SNES-FSU : "Cette réforme va mettre en concurrence les établissements, c’est dangereux"
Notre invité, Jean-Yves Rochex, professeur émérite au département de sciences de l’éducation à l’université Paris 8 Saint-Denis, et spécialiste de l’éducation prioritaire, souligne que _"_rien n’empêche les recteurs, aujourd’hui, de donner davantage de moyens, voire même de mettre en place des dédoublements en CP et CE1, dans les établissements les plus en difficulté, qui ne sont pas classés en REP."

On peut très bien généraliser le principe d’allocation différentielle progressive des moyens à l’ensemble des établissements français, en fonction des caractéristiques sociales et scolaires des élèves accueillis, et conserver un principe de ciblage dichotomique sur des établissements et des quartiers qui relèvent d’un traitement de choc. Or, la réforme va jouer le premier principe contre le second. Et l’argument de donner davantage de moyens aux établissements situés en zone rurale est un peu fallacieux. Ces territoires relèvent de problématiques très différentes. Leurs écoles ne sont pas victimes d’inégalités et de ségrégation comme les écoles d’éducation prioritaire. Les résultats en écoles rurales ne sont pas inférieurs à ceux des écoles urbaines. Je crains aussi une politique de pilotage des établissements par les résultats, avec le système de contractualisation entre les rectorats et les écoles et les collèges. Un modèle anglo-saxon qui risque d’accroître la concurrence entre établissements et de reporter la responsabilité des difficultés, des mauvais résultats possibles sur les équipes enseignantes.

La politique d’éducation prioritaire a limité la casse
Jean-Yves Rochex analyse également pourquoi, depuis la création de la politique d’éducation prioritaire, avec les premières ZEP, en 1981, les résultats des élèves dans ces établissements ne se sont pas sensiblement améliorés, voire même, ont régressé, par rapport aux autres élèves.

Les écarts ne se sont pas ou peu réduits alors même que la situation sociale, économique des quartiers des établissements concernés s’est considérablement dégradée. On peut donc penser que le dispositif d’éducation prioritaire a permis que la situation scolaire se dégrade moins que la situation sociale et urbaine des quartiers concernés. Si le bilan n’est sans doute pas à la hauteur, quelles conclusions en tirer ? Cela signifie-t-il l’échec de l’éducation prioritaire ou que l’on a pas mis suffisamment en œuvre l’allocation différentielle des moyens, le suivi pédagogique ? Un élève d’établissement prioritaire continue à coûter moins cher à la nation qu’un élève dans les établissements les plus huppés. Comme les enseignants les moins expérimentés et plus jeunes sont moins bien payés que les plus expérimentés qui enseignent dans les quartiers les plus privilégiés. La politique d’éducation prioritaire a souffert de discontinuité de soutien politique, d’incohérence dans ses orientations, sa mise en œuvre. A tel point qu’il a fallu une, deux, trois relances et une refondation.

Par ailleurs, le dédoublement des classes de CP et CE1, effectifs dans tous les REP et REP plus depuis 2019 commence à produire des résultats, mais ils sont mineurs.

Les enseignants ont plus de temps à consacrer aux élèves bien sûr, mais si l’on regarde les chiffres du ministère de l’Education nationale, datant de 2018, il y a une baisse de la proportion d’élèves en grosse difficulté de 8% en français, et de 12% en mathématiques. Cela fait respectivement 2 000 et 3 000 élèves. Ce n’est pas mirobolant. Sous le ministère Bayrou, les résultats avaient aussi été décevants, car l’accompagnement pédagogique de cette mesure de dédoublement n’est pas optimum. Et que le dédoublement s’est développé au détriment du dispositif "Plus de maîtres que de classes", qui permet d’avoir des enseignants en surnombre pouvant intervenir dans les classes, aider les enseignants responsables de classes à observer le travail des élèves. Il n’a pas été évalué et a été supprimé pour redéployer ses moyens sur le dédoublement.

Pour aller plus loin
- Quelques chiffres sur les réseaux d’éducation prioritaire (rentrée 2019)

- Le rapport de la mission "Territoires et réussite", remis en novembre 2019, sur lequel se base le projet de réforme des REP

- Entretien avec Daniel Frandji, maître de conférences à Lyon-1 et spécialiste de la territorialisation des politiques éducatives

LES DERNIÈRES DIFFUSIONS

BIBLIOGRAPHIE
Revue française de pédagogie, numéro 196.
Faut-il crier haro sur l’éducation prioritaire ? Analyses et controverses sur une politique incertaine
Jean-Yves Rochex, E.N.S. Editions, 2016

Portrait d’ZEP : cinq années à l’école de la cité
Sophie d’ Aix, L’Harmattan, 2018

https://www.franceculture.fr/emissions/grand-reportage/les-orphelins-de-leducation-prioritaire

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