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"Métier et professionnalisation valent mieux que mission et exécution de tâches" (le blog de Marc Bablet)

8 janvier 2020

Métier et professionnalisation valent mieux que mission et exécution de tâches
Le blog de Marc Bablet

Dans les projets en cours du ministre qui veut profiter de la réforme des retraites pour changer le métier d’enseignant en relation avec des rattrapages salariaux supposés, il y a une orientation politique construite hors de toute concertation véritable.

Missions et carrières, deux fausses pistes pour le métier d’enseignant.

Il faut bien dire que le ministre actuel n’est pas le premier à s’engager dans cette voie. On a beaucoup développé ces derniers temps les lettres de missions et les entretiens de carrière avec l’idée que les enseignants devaient, comme d’autres professions avant et d’autres encore en même temps qu’eux, d’une part réaliser des tâches qui ne sont pas considérées comme habituelles à des enseignants (d’où l’idée de lettres de missions pour indiquer de telles tâches) et d’autre part envisager de changer de métier au cours de leur vie (d’où les fameux entretiens de carrière du PPCR qui agacent autant les enseignants que leurs inspecteurs sans qu’ils osent se le dire. Tout cela dans un formalisme bureaucratique et juridique qui permettra sûrement aux tribunaux administratifs de trouver du grain à moudre). On pense ainsi faciliter le recrutement en partant de l’idée que les individus modernes veulent faire plusieurs métiers au cours de leur vie et que le modèle ancien de l’enseignant qui débute et prend sa retraite dans ce métier est un modèle du passé. On pense aussi que l’enseignant ne doit pas se contenter d’enseigner mais, pour gagner en efficacité, doit aussi assurer d’autres tâches qu’on cherche de plus en plus à lui imposer. Ce faisant on reste dans une logique bureaucratique et hiérarchique en même temps que l’on prétend utiliser des mots comme « confiance » qui prétendent appartenir à d’autres conceptions des rapports humains et de travail. De fait on cantonne les professionnels de l’enseignement dans l’exécution de tâches au lieu de les engager à une professionnalisation durable dans un métier.

Ces conceptions managériales sont héritées du monde de l’entreprise (new public management ici analysé par Christian Maroy pour le café pédagogique) et se développent dans la fonction publique alors même que les entreprises reviennent sur certains de ces principes au nom de la même efficacité et au nom du respect des individus dont on voit bien que les procédures indiquées ci-dessus continuent à les déresponsabiliser. On trouvera à ce lien des éléments intéressants issus du monde de l’entreprise qui permettent de faire un pas de côté sur ce type de sujet. Loin de moi toutefois l’idée qu’il faudrait désormais s’inspirer de ce nouveau modèle de l’entreprise pour faire évoluer la fonction publique et notamment l’enseignement. Sans doute vaut-il mieux en revenir à la notion de service public et d’intérêt général et à ce qu’elle peut entraîner comme exigence professionnelle dans une société démocratique. Sans doute vaut-il mieux partir d’une analyse du métier d’enseignant et de ses exigences propres pour parler métier avec les enseignants eux-mêmes. La difficulté des politiques à le réaliser est impressionnante. C’est une difficulté fondamentale à faire vivre la démocratie qui ne peut que reposer sur l’association raisonnée des professionnels concernés. On le voit particulièrement bien dans l’analyse de François Jarraud de ce qui s’est passé à Nancy, académie désormais dirigée par l’ancien DGESCO, un proche du ministre. Un semblant de concertation, un déni de démocratie réelle qui repose sur l’idée que les enseignants seront par définition dans la « résistance au changement », concept flou qui sert ceux qui ne savent pas manager : c’est tout ce qu’ils trouvent pour expliquer leurs difficultés. Encore une forme de déni de confiance, encore une incompétence de ces ministres et de leurs cabinets à concevoir une politique publique à la fois pertinente et acceptable. C’est que les idées toutes faites sont déjà là avant le début des discussions comme le rappelle Toutéduc.

Précisons toutefois, à propos du PPCR, qu’il s’agissait d’une évolution des entretiens d’inspection qui devait permettre de passer d’une inspection contrôle à une inspection comme accompagnement professionnel. Une chose plutôt positive dans son principe. Mais cela sans changer la dénomination du métier d’inspecteur, les missions et les pratiques dominantes et même au contraire quand on voit la conception actuelle de la formation des inspecteurs comme des « managers » et les pratiques attendues d’eux par le ministre quand ils doivent imposer des pratiques pédagogiques. Nombreux sont ceux qui ne sont pas d’accord avec ces orientations.

Pour une professionnalisation durable dans un métier

J’ai eu l’occasion de voir que des professeurs d’histoire et géographie critiquent la conception de la professionnalisation portée par le ministre au nom d’une conception de la formation des enseignants qui doit notamment laisser place à une réflexion sur les débats qui traversent la discipline. Je suis en accord avec leur démarche et le sens donné avec beaucoup de précision à leur propos et en même temps je pense que nous devons faire attention à ne pas jeter le principe de la professionnalisation dans un métier sous prétexte qu’un ministre en a une mauvaise conception. Le ministre n’est pas propriétaire du mot « professionnel » et nous devons affirmer clairement comment nous voyons la professionnalisation en contradiction avec lui. J’ai eu l’occasion de dire dans un billet précédent l’importance d’une éthique de l’amélioration. C’est ainsi qu’il faut comprendre la professionnalisation comme une amélioration de l’exercice de son métier pour obtenir de meilleurs résultats des élèves notamment des plus défavorisés. Cela suppose non pas de faire évoluer le métier enseignant (une vieille idée comme le rappelle Claude Lelièvre dans son blog d’histoire des politiques scolaires toujours passionnant) que de permettre aux enseignants de se professionnaliser, c’est-à-dire de parvenir à mieux faire apprendre les élèves dans leur discipline ou dans la diversité des disciplines tout en réfléchissant évidemment sur le sens des différentes disciplines dans notre société. Il est sûrement important de faire également réfléchir les élèves sur les choix de ce qu’on prétend leur apprendre dans la perspective d’une qualité partagée de la démocratie et de la citoyenneté. Pouvoir poser que les choix d’objets d’enseignement ne sont pas neutres est aussi un enjeu qui mériterait un développement particulier que je ne ferai pas pour ce billet.

Se pose ainsi la question de la conception du métier. Nous devons refuser une vieille opposition entre didactique et pédagogie : les tenants de la didactique pensent que, pour être un bon enseignant, il faudrait essentiellement maîtriser les connaissances et les procédures de la matière enseignée. La manière de la présenter, d’accompagner les apprenants dans leur découverte, de les observer au travail, de reprendre ou non telle ou telle notion ou procédure, d’assurer un bon climat de travail de la classe, tout cela serait très secondaire et découlerait de la maîtrise de la matière. Je n’en crois rien. Il ne suffit pas d’être savant en mathématiques pour les enseigner et chacun qui a vécu l’enseignement des langues vivantes sait bien qu’il ne suffisait pas que les professeurs soient experts de la langue enseignée pour que l’enseignement soit profitable aux élèves. On pourrait donner d’autres exemples.

A l’inverse, il faut en effet critiquer le ministre, ses ambiguïtés et imprécisions, son simplisme souvent volontaires puisqu’il gouverne l’éducation nationale non tant avec ses professionnels qu’avec le grand public. Heureusement les grèves actuelles lui rappellent l’existence de professionnels qui sont soutenus par le public des parents d’élèves en premier lieu. Il serait parfaitement illusoire de penser qu’il existe une science de l’enseignement qui permettrait de développer des méthodes passe partout, valables pour tous les niveaux d’enseignement et pour toutes les matières. Cette vieille opposition entre pédagogie et didactique repose sur une vieille opposition entre le premier degré qui serait le tenant de la pédagogie et le second degré qui serait celui de la didactique. Elle est parfaitement stérile. Il est bien certain que les deux sont exigibles et que pédagogie et didactique sont dans la pratique du métier un même mouvement : En contexte d’enseignement, on ne peut penser la matière enseignée sans penser la manière de l’enseigner et on ne peut penser la manière d’enseigner indépendamment de la matière concernée. Dans l’enseignement on ne peut penser les apprentissages des élèves indépendamment de la matière concernée et on ne peut penser la matière concernée indépendamment de la manière dont on sait que les élèves apprennent. Il y a, sur ces sujets, des discussions qui ont amené à chercher à dépasser l’opposition. On le verra à ce lien avec un article de Bruno Robbes.

On trouvera de très bons articles de chercheurs et praticiens qui pensent cette question de l’articulation enseignement/apprentissages/contenus disciplinaires de façon très approfondie dans une ancienne revue de l’INRP de 1993 (institut national de recherche pédagogique), remplacé par l’IFE, (institut français de l’éducation), la revue Aster, dont les numéros 16 et 17 sont porteurs de travaux très pointus sur ces questions pour l’enseignement des sciences.

Permettre aux enseignants de s’améliorer dans leur métier

Si cette question de la professionnalisation mérite d’être étudiée historiquement comme le fait Philippe Savoie, il reste que, vu de l’éducation prioritaire, il est indispensable de faire en sorte que la qualité de l’enseignement soit telle que les résultats des élèves les plus défavorisés puissent s’améliorer. Le métier doit être d’abord défini par ce pourquoi il est fait dans une démocratie moderne : permettre des apprentissages réussis à tous les élèves. C’est le sens de la priorité à la formation professionnelle que nous avons portée dans la refondation de l’éducation prioritaire dont on voit aujourd’hui qu’elle est largement abandonnée au profit de formations descendantes qui partent de l’idée que les enseignants ne sont pas bien formés selon les canons des sciences cognitives ou neuronales, au lieu d’une conception qui partait du fait qu’ils savent leur métier et sont capables de s’améliorer dès lors qu’on les y accompagne à partir des problèmes qu’ils rencontrent effectivement dans la réalisation du métier, c’est-à-dire dans leur travail quotidien en l’éclairant avec les résultats des sciences et non en imposant les résultats des sciences. Ce que les ministres ont été incapables d’entendre ou n’ont pas voulu entendre à Nancy. On peut donc craindre la manière dont on va à l’avenir prétendre "repenser" le métier enseignant.

Extrait de blogs.mediapart.fr du 08.01.20

 

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