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Discrimination positive mais injuste (entretien de l’Express avec le sociologue Jean-François Amadieu)

30 octobre 2004

Extrait de « L’Express » du 01.11.04 : discrimination positive, mais « injuste »

Jean-François Amadieu est l’un des sociologues dont les travaux servent de base théorique à ceux qui, en particulier dans la droite libérale, militent pour la discrimination positive. Fondateur de l’Observatoire des discriminations (université Paris I), il a démontré par ses enquêtes à quel point le recrutement pouvait être biaisé par des critères non professionnels. Au moment où 35 chefs d’entreprise viennent de signer une « charte de la diversité », il déclare à L’Express que la discrimination positive n’est pas une bonne solution.

Vous ne pensez pas que la discrimination positive permette d’enrayer les inégalités ?

La discrimination positive consiste à redresser après coup, et très à la marge, des inégalités qu’on a laissées s’installer. Ce n’est pas une solution de corriger une injustice par une autre. Il y a un problème technique, d’abord. Il faudrait, pour être juste, répondre à une multiplicité de facteurs de discrimination. Or on ne peut juxtaposer les pourcentages : tant de femmes, tant de gens de telle couleur ou de telle confession, tant d’homosexuels, tant d’obèses, tant de handicapés, tant de plus de 50 ans... C’est impossible ! On va finir par promouvoir certaines minorités aux dépens d’autres minorités, au risque d’aggraver la situation de ces dernières.

Vous êtes hostile à la « charte de la diversité » ?

Ce n’est pas la charte en soi qui est discutable. Mais certains de ses inspirateurs y voient une rampe de lancement pour promouvoir la discrimination positive. Ils figurent d’ailleurs parmi les personnalités qui viennent de signer un manifeste pour que le système de filière ZEP adopté par l’Institut d’études politiques de Paris soit étendu à d’autres grandes écoles. Il est clair que ces militants s’intéressent surtout, sous couvert de diversité, à un seul type d’inégalités : les discriminations ethniques. Or, tout principe de faveur est stigmatisant - c’est pourquoi des associations comme SOS-Racisme sont contre. Par ailleurs, le mépris des recruteurs à l’égard des obèses, par exemple, ou des handicapés, et surtout des plus de 50 ans, est aussi dramatique que celui dont souffrent les minorités ethniques.

Certains soutiennent que la discrimination positive a le mérite d’être efficace. Vous y croyez ?

On ne peut réduire un candidat à une particularité, qu’elle soit ethnique, sexuelle ou physique. Il faut juger les gens sur leurs compétences, un point c’est tout, et agir en amont. Il n’y a qu’une solution : créer des conditions d’anonymat et d’objectivité qui désamorcent les discriminations. Cette pratique pourrait être encouragée par la loi et surveillée par la Haute Autorité. Si on assure des techniques de recrutement et de gestion de carrière irréprochables, on limitera plus sérieusement les injustices et on n’aura pas besoin de les corriger après coup. Un certain nombre d’entreprises se sont déjà engagées à utiliser des CV masqués, nettoyés de toutes les indications qui viennent habituellement fausser le jugement sur les compétences. Quant aux grandes écoles, il vaut mieux modifier les épreuves pour tous que fabriquer des filières d’exception pour quelques-uns. C’est cela, l’égalité.

Propos recueillis par Jacqueline Rémy.

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