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Les effets scolaires de la grande pauvreté (Rencontre OZP)

6 février 2008

-----LES RENCONTRES DE L’OZP-----

Observatoire des zones prioritaires
www.ozp.fr

n° 70 - février 2008

Les effets scolaires de la grande pauvreté

Compte rendu de la réunion publique du 23 janvier 2008

Si les études statistiques sur la pauvreté en termes de revenu ne manquent pas, il n’en est pas de même pour les études de psychosociologie de la pauvreté et plus encore de celles portant sur la scolarité des enfants pauvres.
L’OZP a demandé à Chantal Zaouche-Gaudron, professeure de psychologie du développement à l’université de Toulouse II-Le Mirail, de traiter du problème particulier des effets scolaires des situations de pauvreté et de précarité.
La rencontre a été préparée par Lucienne Siuda et animée par Alain Bourgarel.

Intervention de Chantal Zaouche-Gaudron

Je débuterai mon exposé par quelques données chiffrées révélatrices du contexte dans lequel nous situerons notre propos. Les données fournies par le CERC (Conseil de l’Emploi des Revenus et de la Cohésion sociale, 2004) ont été le détonateur d’une prise de conscience collective de la pauvreté des enfants en France. Elles dévoilaient ainsi qu’« un million d’enfants de moins de 18 ans, en 1999 vivaient en dessous du seuil de pauvreté monétaire de 560 euros (le seuil de pauvreté étant calculé à 50% du revenu médian) ».

A 60% du revenu médian, comme le préconise l’Office statistique des Communautés européennes, ce chiffre serait deux fois plus élevé, soit deux millions. En 2006, selon Eurostat, relayé par l’Union Européenne des Familles (1), en situant le seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian, 2 millions d’enfants sont pauvres, soit près d’un enfant sur cinq. Parmi eux, 500 000 enfants, soit un sur quatre, vivent dans une famille avec un seul parent, le plus souvent la mère. Ces données chiffrées rendues publiques ont permis de donner « une base de référence commune pour que s’organise un tant soit peu le débat social (Freyssinet, 2007, 108).

1. Etre un enfant en conditions de pauvreté
C’est à partir des données issues de la littérature scientifique internationale que je mentionnerai les principaux résultats concernant les registres socio-affectif et socio-cognitif, tout en relevant que le développement socio-affectif relatif aux relations d’attachement et à l’adaptation sociale reste encore un domaine peu étudié, y compris dans la littérature anglo-saxonne.

Développement socio-affectif
La théorie de l’attachement, développée par Bowlby, postule l’existence d’une relation d’attachement, structurante, entre l’enfant et ses partenaires éducatifs. Du côté des parents, elle implique régularité, stabilité, repères, et, du côté de l’enfant, sécurité et confiance. Selon ce modèle théorique, un enfant sécurisé a une base de sécurité pour pouvoir plus tard explorer et s’autonomiser. Dans des conditions de vie défavorisées, les résultats convergent pour mentionner moins d’enfants sécurisés et plus d’enfants « désorganisés/désorientés » que dans la population générale.

De même, les conduites sociales de ces enfants semblent perturbées. En psychologie, ce terme renvoie aux comportements que l’enfant a avec ses camarades et avec les adultes de son entourage. Ils reflètent ainsi la maturité affective, la flexibilité et l’adaptation sociale des enfants. On relève des problèmes de comportements dits intériorisés à type d’anxiété, de dépression, d’isolement social ou encore de dépendance affective... On retrouve aussi des problèmes de comportements dits extériorisés comme l’irritabilité, l’agressivité, l’égoïsme, la résistance à l’adulte... Plusieurs problèmes émotionnels sont également décrits tels qu’une faible estime de soi, des accès de colère ou une humeur changeante (Brooks-Gunn, Duncan & Maritato, 1997). L’étude de Duncan et Brooks-Gunn (2000) souligne que les ratios de risque sont 1,3 fois plus élevés pour les problèmes de comportement et émotionnels dans les familles défavorisées.

Les relations entre enfants (entre pairs) semblent aussi affectées par ces conditions de vie, avec la présence de conflits qui témoignerait d’une inadaptation sociale. Ce faisant, ces résultats ne doivent pas participer à la confusion toujours de mise entre agressivité et violence ou entre précarité et délinquance, même si certains franchissent rapidement le pas. Vernet et Henry (2006, 61) rappellent fort justement que, durant « les trente glorieuses », période de forte croissance économique, les actes de délinquance n’ont cessé d’augmenter, ce qui limite la portée des analyses macroscopiques qui ne sont faites qu’en termes de crise économique. Fort heureusement, ce n’est pas la destinée de tout enfant qui grandit en situation de vie défavorisée de devenir un futur délinquant, l’enchaînement ne va pas de soi !

Au plan cognitif
Les recherches menées auprès des jeunes enfants utilisent des indicateurs tels que le quotient intellectuel, les résolutions de problèmes (par exemple des jeux de construction ou des puzzles), les habiletés verbales, les tests de réussite en lecture, en calcul... Sur l’ensemble de ces paramètres, les résultats indiquent un niveau plus bas de fonctionnement cognitif, notamment sur les apprentissages scolaires et les aptitudes verbales, voire sur le quotient intellectuel (même si ce dernier est toujours discutable). Un élément important traverse l’ensemble de ces résultats, à savoir que la pauvreté persistante affecte davantage le développement de l’enfant que la pauvreté transitoire.

L’ensemble de ces conclusions que l’on retrouve de façon récurrente dans la littérature sont préoccupantes, mais l’interprétation est faussée si l’on ne prend pas en compte le milieu dans lequel l’enfant grandit. Les recherches et leurs conclusions que nous avons présentées sont issues pour la majorité d’entre elles des pays comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Autrement dit, ce bilan des recherches proposées ici est partiel, parce qu’issu de la revue de la littérature anglo-saxonne. Il nous incite à rester prudents sur les conclusions hâtives que nous pourrions en tirer et nécessite sans aucun doute un débat contradictoire et la réalisation de recherches... en France.

2. Les trajectoires scolaires
Nous venons de mentionner que le développement socio-cognitif était déjà altéré dans la prime enfance. Ces disparités, qui se poursuivent en primaire, s’aggravent au collège : d’après le rapport n° 4 du CERC en 2004, 25% des enfants sont en retard en sixième dans la population « non pauvre », 45% pour les pauvres et 12% pour les plus favorisés. L’aggravation s’accélère en 3ème : pour la moyenne nationale, un tiers des enfants sont en retard, avec parmi eux 56% des enfants pauvres contre seulement 14% des plus favorisés.

Ces disparités s’expriment aussi de façon éloquente par la sortie précoce du système scolaire : 20% arrêtent leurs études, et les écarts entre les populations reflètent bien les différences d’orientation (op. cit., 101). Dans l’étude de 2004 relatée par Prêteur et de Léonardis (2005), Davaillon et Nauze-Fichet observent sur un panel d’environ 15 000 jeunes (dont ils ont suivi la trajectoire depuis leur entrée en sixième en 1995) que, six ans après leur entrée au collège, 1/4 des enfants pauvres ont déjà quitté le système éducatif contre 1/10 pour l’ensemble des jeunes. Seulement un tiers des enfants les plus démunis sont en second cycle général et technologique, soit deux fois moins que la moyenne nationale. Et, même dans ce cas, les enfants pauvres sont surreprésentés parmi les redoublants et au sein des formations technologiques (versus formation générale).

« Les auteurs considèrent qu’il est difficile de séparer, devant un tel constat, les effets financiers, sociaux, culturels, tant les caractéristiques des familles pauvres cumulent des spécificités sur tous les plans. Leurs conclusions soulignent l’absence de prévention primaire et précoce pour enrayer ces processus de ségrégation scolaire et de précarisation à long terme car « les inégalités de trajectoire apparaissent très largement jouées avant l’entrée au collège. Les différences continuent, dans une moindre mesure, à se creuser ensuite, notamment par le biais d’orientations moins ambitieuses à l’issue du collège ».

Si nous savons que le revenu est un des principaux facteurs de ces difficultés et ruptures de parcours, « le capital scolaire » des parents représente un déterminant majeur. « Rejaillit ainsi l’impact du niveau de formation des parents qui, outre de contribuer à leur pauvreté, pèse sur leur capacité à aider leurs enfants à l’école » (in Convergence, 2007, n° 273, 15-16). Ce capital scolaire n’est pas sans conséquence sur les motivations des familles et leurs souhaits d’orientation pour leurs enfants. Il a été ainsi montré que les parents les plus démunis formulent des vœux moins ambitieux (la voie de l’apprentissage et la préparation d’un BEP ou d’un CAP le plus souvent), envisagent peu la possibilité d’études longues et souhaitent que les études de leurs enfants cessent à 18 ans. Ils valorisent ainsi l’accès rapide à un emploi rémunéré sans qualification au détriment de l’obtention de diplômes.
A ce « capital scolaire » se rajoutent l’environnement proche de l’enfant (j’y reviendrai), la disponibilité parentale (j’y reviendrai aussi) et leurs compétences scolaires (en 2003, l’INSEE relevait que 90% des parents d’enfants pauvres n’avaient pas leur baccalauréat). Se rajoute aussi la question de la structuration familiale, avec l’impact non négligeable des séparations conjugales et de la monoparentalité féminine, qui précarise ces familles...

Autant d’éléments qui affectent le développement des apprentissages et la scolarisation des enfants et, par là-même, leurs qualifications et perspectives d’emplois futurs, leurs revenus à venir, laissant la voie libre à la reproduction transgénérationnelle. Ainsi, le projet parental qui se fonde sur le capital scolaire, sur la compréhension du système scolaire, sur les attentes exprimées ou inconscientes des parents, leurs représentations de l’école, va donner une impulsion qui conditionnera la trajectoire des enfants. « Les parents possédant un « capital scolaire » plus élevé sont plus à même d’apporter un accompagnement scolaire adapté aux attentes du jeune et de l’école. La connivence avec la culture scolaire que possède les familles favorisées « va de pair avec un soutien psychologique qui donne le sentiment d’appartenir à une culture « reconnue » voire « légitime », d’être confiant dans ses capacités et de savoir les mettre en œuvre » (Prêteur et de Léonardis, 2005).

D’après le CERC (2004), le bilan de la mise en place des Zones d’éducation prioritaire (ZEP) sur la réussite scolaire serait mitigé, avec des effets plutôt positifs à l’école élémentaire mais non significatifs au collège et au lycée. A ce jour, silence radio sur les ZEP ! Et, depuis la rentrée, la réforme « Ambition réussite » initiée par G. de Robien en 2005 semble suspendue, peut-on lire dans Fenêtre sur cours (2007, 58). Les échecs scolaires, les trajectoires chaotiques, les orientations scolaires des plus démunis, les 20% de laissés pour compte sans baccalauréat ne semblent pas être une priorité de nos politiques.

3. La vie familiale
« La vie familiale offre un potentiel de socialisation, d’éducation, de construction identitaire pour chacun des membres de la famille. Les déterminants familiaux de la pauvreté sont corrélés à un ensemble de conditions de fonctionnement de la famille. Les études font valoir que les déterminants les plus importants sont ceux liés à la vie professionnelle des parents (2), à l’entente dans la famille, à la qualité de relation avec chaque enfant » (Crépin, 2007) (3). Comment conjuguer dans ces conditions le fil de la parentalité et de la conjugalité ?

Au niveau parental, on relève, de façon récurrente, dans la littérature chez les mères qui vivent dans des conditions de vie défavorisées - quand on les compare aux mères plus aisées - un niveau de souffrance important, plus de détresse psychologique... et des taux de dépressions maternelles élevées, en particulier chez les mères de jeunes enfants. De nombreuses recherches, notamment canadiennes, indiquent un niveau de souffrance élevé aussi chez les pères avec de la tristesse, de l’anxiété... et surtout une dévalorisation du rôle paternel. Force est de constater que les pères, dans ce contexte, accordent une grande importance au rôle de pourvoyeur, et l’incapacité de répondre aux besoins économiques familiaux peut affecter leur identité et leur rôle paternels. Cette fragilité identitaire entraîne une perception négative de leurs enfants et une augmentation des comportements punitifs.

Dans les familles qui vivent dans des conditions de vie défavorisées, les parents adoptent des pratiques éducatives autour de la discipline et du contrôle, et manifestent moins d’encouragement pour favoriser l’autonomie des jeunes enfants. Sur le registre des interactions parents-enfants, on note moins d’engagement positif, moins de sensibilité parentale (réponses adéquates aux besoins de l’enfant), moins de disponibilité aussi. Par exemple, les mères aisées parlent ou répondent deux fois ou plus à leurs enfants que les mères pauvres. Les mères plus aisées ont davantage tendance à montrer de l’affection à la fois aux plans verbal (sous forme d’encouragements) et physique (sous forme de caresses, de sourires...) envers leurs enfants.

Au sein du couple conjugal, la relation peut se détériorer par le contexte de tension qu’engendre une situation de précarité économique. En présence de désavantage social, la dysharmonie conjugale apparaît de façon plus saillante. Pour beaucoup de pères, la place de la conjointe est essentielle dans la confiance qu’ils peuvent avoir dans leur capacité à s’occuper d’un enfant. Une attitude méfiante de la mère à leur égard est préjudiciable à leur engagement paternel. Si la mère n’a plus de respect pour son conjoint, le méprise et le rend responsable des perturbations dans leurs vies, on peut assister alors chez les pères à un déplacement du conflit conjugal vers un conflit avec l’enfant, pouvant expliquer, au moins en partie, les comportements punitifs que nous avons évoqués précédemment.

Pour citer aussi quelques travaux réalisés en France, je ferai référence à une recherche récente réalisée en Savoie auprès d’allocataires de la CAF « à bas revenus », ayant au moins un enfant. Elle révèle « que la précarité financière peut parfois nuire à l’exercice de la parentalité, au développement des enfants, et peut entraîner le repli des familles sur elles-mêmes ». Ainsi, « le manque de ressources financières, associé à la monoparentalité et à la flexibilité du travail, paraît fragiliser l’exercice du rôle de parents. Par exemple, presqu’un tiers d’entre eux éprouvent des difficultés à faire preuve d’autorité. Les problèmes rencontrés à l’école sont aussi mentionnés, « menaçant de se répercuter sur leur avenir professionnel, et éventuellement de les conduire à reproduire une situation de pauvreté à l’âge adulte ».

Au vu de ces résultats, là encore préoccupants, que l’on retrouve dans la littérature scientifique, on associe encore fragilisation et altération des liens familiaux avec la précarité De même, notre méconnaissance de la parentalité dans ce contexte induit rapidement une dévalorisation et une stigmatisation de ces familles...
Ce faisant, comment, dans cette mouvance, les familles peuvent-elles se déprendre de « l’héritage trangénérationnel », « du caractère potentiellement reproductible de la précarité » ? Bien sûr, on ne peut faire l’impasse sur le fait que le rôle de parent est rendu difficile par des conditions de vie pénibles mais sans pour autant en faire des parents démissionnaires. Le métier de parent est un métier impossible, disait Freud, et, quoi que l’on fasse, on le fera toujours mal. Ainsi, une enquête menée dans la région de Lille (in Convergence n°168) a montré que les préoccupations éducatives des parents étaient fortes, et nous-mêmes, dans une étude menée par entretiens auprès d’une vingtaine de familles, avons montré que les parents mettaient tout en œuvre pour que leurs enfants puissent grandir, être protégés, rassurés et être satisfaits dans leurs besoins.

Ainsi, on ne peut mettre à l’écart les inégalités sociales, économiques, culturelles et pointer du doigt le seul système parental, jugé trop rapidement comme défaillant. Ce n’est sans doute pas de démission dont il s’agit mais plutôt de « difficulté à se positionner en tant que parents » (C. Foucault, 2007, 16). Les parents issus de tous les milieux peuvent évidemment être concernés par un tel propos, mais cette difficulté à « être parents » est d’autant plus saillante que les parents doivent faire face à des « cumuls de vulnérabilité » et à toutes sortes d’épreuves quotidiennes douloureuses...

4. L’environnement proche

4.1. Le domaine de la santé
Je ne citerai, pour mémoire, que les situations sanitaires les plus préoccupantes : l’asthme, la symptomatologie ORL, dus à l’humidité des logements, aux moisissures, au chauffage insuffisant ou défectueux ; le saturnisme : d’après le défenseur des enfants (4) (dans son rapport annuel de 2005, 202-206), 85 000 enfants ont une plombémie élevée. En raison d’une alimentation déséquilibrée (trop de sucres et de graisses qui sont les aliments les moins onéreux), l’obésité se développe chez ces enfants ; enfin, on peut aussi relever une hygiène défaillante, des troubles de la vision non corrigés (avec peu d’accès aux lunettes), des problèmes bucco-dentaires, des problèmes dermatologiques de toute nature...

4.2. Manque de logement
A la question des « sans domicile fixe » s’ajoute dorénavant le « mal logement », avec toutes les déclinaisons possibles qu’il implique : les nuisances, l’insalubrité, l’exiguïté, l’insécurité, la dangerosité, voire la mort... Cette nouvelle donne en rapport avec le logement apporte un autre éclairage à la notion de précarité, soit en termes « d’indice supplémentaire », soit comme « révélateur d’une nouvelle définition de la précarité ». La question du logement (surface habitable, salubrité et confort), avec la ghettoïsation des plus démunis, devient - est - une véritable urgence sociale, comme en témoignent plusieurs événements tragiques qui ont affecté douloureusement les populations les plus démunies dans notre pays. En France, 500 000 foyers sont insalubres. Selon la Fondation Abbé Pierre, si l’on prend en compte les critères de base, soit 12 m2 par personne, 5,5 millions de personnes seraient mal logées, sans compter les 86 000 sans abri recensés (au minimum) en France (5).
« Malgré la loi de 2000 relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbaine (SRU), les amendes pour les villes qui n’offrent pas suffisamment de logements sociaux, la taxe prévue pour les logements vacants, les possibilités de réquisition pour les préfets n’ont pas été suffisamment appliquées pour qu’une amélioration soit perceptible, augmentant encore les inégalités sociales » (Crespin, 2007).

Ce « mal logement » (caravanes, voitures, squats, logements HLM surpeuplés... ) illustre comment peuvent advenir les difficultés affectives et cognitives du jeune enfant que nous avons évoquées. L’insalubrité, les nuisances sonores, le surpeuplement atteignent - nous l’avons vu - la santé physique des enfants. Il entraîne aussi d’autres effets moins facilement identifiables tels que l’exiguïté de l’espace vital et de l’espace intime qui engendre, entre autres, une promiscuité préjudiciable à un bon développement socio-affectif et à un développement adéquat au plan cognitif et scolaire.

4.3. Equipements collectifs et modes de garde
S’ajoutent à ces conditions de logements déplorables une qualité de l’environnement à l’intérieur du foyer familial particulièrement affectée. Les enfants disposent notamment de moins de supports d’apprentissage comme les livres et les jouets, ou bien ceux-ci, lorsqu’ils existent, sont souvent moins appropriés à leur stade de développement. Les parents pauvres sont le plus souvent contraints, de par la faiblesse de leur revenu, dans leur choix d’habitat, de voisinage et d’école (cf. le débat sur la carte scolaire). Les aires de jeu, les parcs, les loisirs extrascolaires, les équipements culturels et sportifs... sont insuffisants dans de nombreux quartiers.

Au sein de cet environnement proche, la question des modes de garde est aussi posée. La littérature anglo-saxonne nous donne plusieurs conclusions intéressantes dans ce domaine. Les recherches indiquent que les enfants qui tirent le plus bénéfice d’une structure d’accueil de bonne qualité dans les registres de l’habileté cognitive et du comportement social sont ceux qui habitent dans un milieu pauvre, ou qui ont des mères déprimées, ou qui ont des interactions de qualité insuffisante avec leurs parents. Lorsque la pauvreté se combine avec d’autres risques, telle la qualité insatisfaisante des structures d’accueil de la petite enfance, il existe des effets défavorables et cumulatifs sur le développement de l’enfant. Inversement, la qualité d’un service de garde peut atténuer les effets défavorables d’un attachement insécurisé des enfants qui vivent dans des familles à faible revenu, en leur fournissant un environnement plus stimulant que celui dont ils auraient fait l’expérience dans leur foyer.

Il faut de ce fait faciliter l’accès aux structures d’accueil de la petite enfance pour soutenir l’accompagnement des parents en recherche d’emploi. La loi récente du 23 mars 2006 cherche à remédier à cette situation et à faire en sorte que la garde des enfants ne soit plus un obstacle pour les plus démunis, avec un mécanisme de places garanties au sein des structures d’accueil de la petite enfance. Ce qui est certes un pas en avant pour les parents mais aussi pour les enfants. Le développement de l’enfant inclut aussi des facteurs de protection qu’il convient de ne pas négliger. Une réflexion similaire pourrait être actualisée pour ce qui concerne la scolarisation précoce à 2 ans.

En guise de conclusion
La France connaît une aggravation du nombre de situations de pauvreté. La pauvreté n’est pas un phénomène isolé : « il n’existe pas de rupture entre les situations des pauvres et des non-pauvres, mais bien un continuum de situations de personnes qui connaissent des difficultés » (6), ce que confirme le nombre de titulaires de minima sociaux » (Crespin, 2007). Certes, il n’y a pas de réponse miracle. Mais, premièrement, les réponses resteront inadaptées tant qu’elles ne prendront chaque domaine de vie que de façon isolée - emploi, santé, logement, éducation, modes de garde... L’ensemble forme un tout et tous les domaines d’existence sont forcément interdépendants.

Les réponses à adopter, en matière de prévention, exigent, entre autres, cohésion, cohérence et complémentarité. L’Observatoire National de la Pauvreté recommande aussi « d’intervenir simultanément dans les différents domaines de lutte contre la pauvreté » : illettrisme, santé, logement.

Deuxièmement, il faut inverser les modes de représentation de la pauvreté et des causes de l’exclusion et développer une « culture de la prévention ». Il revient aux institutions d’accompagner les personnes dans leur parcours de vie pour que « les étapes de la vie, les ruptures et les transitions soient franchies de façon dynamique ». « Prévenir pour mieux lutter contre l’exclusion », telle est la recommandation du Conseil National des politiques de Lutte contre la pauvreté et l’Exclusion sociale (CNLE). Mettre en évidence la nécessité, pour la société, de s’engager dans la recherche des causes de la pauvreté permet de mieux l’éradiquer. Car « la prévention est un investissement sur l’avenir et relève de la responsabilité morale et civique de tous ».

Pour conclure, « le non-accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi, les inégalités de revenus sont des facteurs de désinsertion sociale, de délitement de liens, d’exclusion et de marginalité sociales, et sont sources de tensions. A l’inverse, l’accès de tous à ces droits fondamentaux est une condition pour créer un contexte d’égalité, de cohésion, de conciliation, et de développement des droits de l’homme et des enfants ».

Notes

(1) UFE « Comment les enfants pauvres sont-ils traités par les minima sociaux ? »
(2) Nezosi Gilles, « Chômage et famille », CNAF, Recherches et Prévisions, n° 52, 2000.
(3) Crépin, C. (2007). Familles et enfants pauvres dans le monde. Vers quelles politiques. Dossier d’Etude, CNAF, n°96.
(4) Défenseur des enfants. Rapport annuel, La documentation française, 2005.
(5) Selon Crespin (2007), « La pauvreté en France agrège un ensemble de facteurs associés : habitat indécent ou insalubre ou surpeuplé ou situé dans des zones retranchées ou dans un environnement insuffisamment aménagé. 3 millions de personnes mal logées, 200 000 sans domicile fixe en sont les signes visibles ».
(6) Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), 2005.

Références bibliographiques

Zaouche-Gaudron, C. (2005). Les conditions de vie défavorisées influent-elles sur le développement du jeune enfant ? Toulouse : Erès.
Zaouche-Gaudron, C. (2006). Enfants et précarités. Journal des psychologues, 204, 63-66.
Zaouche-Gaudron, C., & Sanchou, P. (2006) (Eds.). Précarités. Empan, 60.

Débat

L’animateur : Les enfants pauvres on ne les voit pas, ils ne sortent pas. La scolarisation à deux ans semble le seul moyen de faire échapper ces enfants à cet enfermement, puisque la crèche et les autres modes de garde leur sont inaccessibles financièrement. Qu’en pensez-vous ?
Chantal Zaouche Gaudron : Toute structure qui peut amener une ouverture pour ces enfants est un bienfait, à condition que les moyens soient suffisants, ce qui n’est pas le cas de l’école maternelle actuelle, et que les personnels prennent la mesure de l’importance de l’ouverture pour ces enfants. Il ne s’agit pas seulement d’ouverture sociale et culturelle mais aussi de faire entrer les familles pauvres dans la culture scolaire.

Un participant : A propos de l’environnement scolaire, notons qu’il n’y pas vraiment de frein budgétaire pour les sorties scolaires de ces enfants car les municipalités financent à la place des familles qui ne peuvent payer. Par ailleurs, on peut se demander si certains enfants pauvres ne manifestent pas une motivation particulière, une « surmotivation ».
CZG  : Les « enfants pauvres » ne sont pas de « pauvres enfants ». C’est la raison pour laquelle je préfère parler des « enfants en conditions de pauvreté ». D’ailleurs, j’emploie peu ce terme de pauvreté et préfère parler de « conditions de vie pauvre ou précaire ». On pourrait parler aussi de « pauvretés » au pluriel car il y a un continuum entre toutes ces situations.
Le terme de surmotivation ici est un peu ambigu : il suffit de dire que ces enfants sont tout autant motivés que les autres pour éviter leur stigmatisation.
Il ne faut pas confondre « pauvreté « et « misère ». Un sentiment souvent exprimé par les gens vivant en situation de pauvreté est celui de « honte », surtout chez les hommes, qui souffrent davantage de ne pouvoir assurer leur rôle traditionnel de « chef de famille » et de ne pouvoir « nourrir » celle-ci.
A cause de cette honte, la misère fait perdre la capacité à s’exprimer.

Un participant : On avait souvent l’habitude auparavant de distinguer d’une part le « Quart Monde », composé de familles essentiellement d’origine française, ne vivant pas nécessairement en milieu urbain et ayant un long parcours de pauvreté (A l’OZP, on fait souvent référence à un « échec scolaire qui se transmet de génération en génération »), et d’autre part des populations migrantes ou issues de l’immigration, qui peuvent connaître aussi la pauvreté mais qui semblent mieux y résister grâce à une structure familiale plus forte et un sens communautaire plus développé et aussi grâce à un projet de promotion sociale qu’elles reportent sur la réussite scolaire de leurs enfants. Pour ces familles migrantes d’ailleurs, la question de la langue maternelle et du bilinguisme ont amené certains à poser de façon un peu différente la question de la scolarisation précoce. Cette distinction entre ces deux types de population est-elle encore valable, par exemple avec le développement de la question des familles de sans-papiers ? Existe-t-il des études, globales ou par ethnie, sur le phénomène de la pauvreté chez les familles immigrées ?
CZG : Oui, certainement, mais je ne suis pas spécialiste du domaine et ne peux vous fournir d’éléments de réponse précis.
Une militante d’ATD Quart Monde : On constate de plus en plus une montée de la pauvreté dans ces populations immigrées, en particulier dans le cas, plus fréquent qu’auparavant, de familles monoparentales, de femmes qui se retrouvent seules sans ressources.
CZG : Les données montrent en effet que ce sont ces populations les plus atteintes par la pauvreté.

Une participante : Ce qui me gêne un peu dans votre intervention c’est que les pauvres y sont le plus souvent présentés sous l’angle de carences, de manques, notamment vis à vis de la scolarité : les manques culturels, de vocabulaire par exemple, seraient explicatifs en grande partie des échecs scolaires. Ce point de vue ne nous a pas conduits jusque-là en tant qu’enseignants à des actions très constructives car combler les manques supposés s’est avéré aussi inefficace qu’impossible.
Ne peut-on prendre en compte aussi les difficultés du système éducatif à analyser les malentendus structurels entre l’école et les familles populaires, à reconnaître qu’il y a rencontre et souvent confrontation entre deux logiques de socialisation, comme a pu le faire Daniel Thin [NDLR " Quartiers populaires : L’école et les familles ", PUF, 1998] ? Cette façon d’envisager le problème (que peut faire l’école pour comprendre le point de vue et la logique des familles, ce que sont ces personnes, et non pas seulement ce qu’elles ne sont pas ?) me semble plus porteuse de solutions et d’actions sur le plan professionnel. Qu’en pensez-vous ?
CZC : Les manques existent. Nous sommes bien en présence de certaines personnes, de certains enfants qui ne « vont pas bien ». N’ayons pas peur des mots et n’édulcorons pas nos propos dans le but, louable par ailleurs, d’éviter la stigmatisation. C’est d’ailleurs cette tendance au « politiquement correct » qui explique l’absence d’études sur la pauvreté.

Un participant : Votre constat est sombre, et, même si vous vous défendez d’avoir une position « déterministe », les enseignants qui vous écoutent peuvent éprouver un sentiment de découragement : « Que pouvons-nous faire devant de telles situations ? »
CZG : On ne peut pas envisager la pauvreté seulement sous l’angle du revenu, comme le font parfois les Anglo-Saxons. En Australie, des études ont montré qu’augmenter les aides n’avait guère de résultats. Comme je l’ai dit en tout début d’intervention, il faut bien une approche multidimensionnelle et agir dans tous les domaines de vie pour proposer des débuts de solutions.
Nous pouvons donc tous faire quelque chose car ces situations ont des effets subjectifs importants et sur ce point les enseignants ont un rôle particulier à jouer.

Compte rendu rédigé (pour la partie « Débat ») par Jean-Paul Tauvel

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